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Culture - Rencontre

Aïda Cherfan : L’art ne m’a donné que du bonheur

Si la patronne des arts fête aujourd’hui les 20 ans de sa galerie éponyme, elle se remémore surtout un parcours heureux, jalonné de hasards organisés et de belles rencontres. À « L’Orient-le Jour », elle confie avec beaucoup d’humilité : « J’ai eu beaucoup de chance, je suis reconnaissante à la vie... »

Aïda Cherfan : L’art ne m’a donné que du bonheur

Aïda Cherfan : « Il ne faut jamais visiter une galerie d’art avec une idée préconçue pour choisir une toile. »

Elle est entrée dans l’art par la porte du hasard et a porté sa galerie sur deux décennies avec une élégance, une joie de vivre et une passion grandissantes, sans jamais regretter le tournant que sa vie a pris un jour, car « cette vocation, dit-elle, était accidentelle ».

Élève studieuse et appliquée, Aïda Cherfan se projetait déjà dans l’univers médical. Sa scolarité achevée, elle prépare le concours de médecine avec beaucoup de détermination. Découragée par son père qui ne voyait pas dans ce métier un parcours compatible avec la vie d’une femme, elle prend un chemin parallèle pour accomplir une formation de laborantine. Mais toute jeune déjà, la galeriste aimait dessiner et peindre. « Je recevais en cadeaux de petites boîtes avec des dessins numérotés que je passais des heures à remplir avec les couleurs que je puisais dans les petits pots. Ma mère avait souscrit un abonnement au magazine hebdomadaire Tout l’Univers et je parcourais la rubrique art avec avidité en m’amusant à découper les pages que je gardais précieusement pour en faire un album. Un jour où ma mère a voulu relier les magazines, elle a découvert mon activité clandestine et m’a passé un savon », se souvient Aïda Cherfan.

Résignée à choisir le domaine scientifique plutôt qu’artistique, les longues heures passées les yeux collés à la lentille du microscope la passionnent. « Il fallait colorer les lames pour les placer sous le microscope, j’étais subjuguée par toutes ces couleurs qui s’offraient à mes yeux. J’étais projetée dans un monde à part, et moi qui aimais les couleurs et leurs effets, j’y trouvais mon compte, affirme Aïda Cherfane. Un jour, en parcourant une revue, je tombe sur un article où un professeur de pathologie et grand collectionneur développait l’idée que les mondes scientifique et artistique ne sont finalement pas très éloignés. Il publie un champ visuel de pathologie et une œuvre de Van Gogh qu’il met côte à côte. On aurait dit qu’elles se répondaient, et sa découverte confirmait ma vision. »

Pour mémoire

A Beyrouth, les galeristes entre colère, tristesse et (dés)espoir

Aïda Cherfan passera sept ans à l’Hôpital allemand. En 1976, alors que toutes les routes sont bloquées par les bombardements, elle est assignée à résidence à l’hôpital où les religieuses la logent dans un studio, « très confortable », assure-t-elle. Le professeur Georges Cherfan était interne et avait été transféré de l’Hôtel-Dieu à l’Hôpital allemand. C’est ainsi qu’un matin, après une longue nuit de garde à soigner les blessés de guerre, désireux de partager son petit déjeuner, il lance un caillou à la fenêtre de la laborantine. Plus tard, ce sera des fleurs et la promesse, en avril 1979, d’une vie à deux. Un premier hasard heureux ! Ensemble, ils s’envolent pour l’Angleterre où Georges Cherfan terminera ses études en ophtalmologie. Ils y passeront sept ans, durant lesquelles Aïda Cherfan élève ses trois enfants et découvre le monde enivrant de l’art, visite les musées, observe, s’imprégne, ne rate aucune exposition comme pour rattraper le temps perdu. Après un passage aux États-Unis où son époux effectue sa spécialisation puis en Arabie, le couple décide enfin de rentrer au Liban comme tant d’autres compatriotes exilés. La vie reprenait, Beyrouth renaissait.

Cliente d’abord

Lorsque le professeur et la laborantine s’installent à Beyrouth, Aïda Cherfan fait la tournée des galeries et s’offre sa première toile : un Farid Aouad. La galeriste l’avait pourtant prévenue : « Faites attention, cette toile n’est pas signée », m’avait-elle dit. Qu’importe, le coup de cœur ne s’arrête pas à ça. « Au fil du temps, ce seront des pastels, des sanguines, un peintre nord-africain et, plus tard, des huiles de Claude Weisbuch, un nu de Hussein Madi, qu’elle suspendra sur ses murs. Lorsque le professeur veut ouvrir une clinique hors de la capitale et qu’il trouve un immeuble à trois étages correspondant à ses exigences, il demande à son épouse : « Deux étages sont pour moi amplement suffisants, si je te donne le troisième, qu’est-ce que tu en ferais ? » La réponse a fusé : « Une galerie d’art ! » Et Aïda Cherfan de confier avec un petit sourire satisfait : « Il m’avait répondu : “Vas-y, fonce !” Encore un hasard. Bien sûr, cela avait étonné bien de personnes qui commentaient mon tournant de carrière. “Mais comment une laborantine, mère de famille, réussira-t-elle à monter une galerie d’art ?” disait-on autour de moi. Grace à la passion, tout simplement. »

Lorsque Aïda Cherfan prend la décision de monter sa galerie, elle a une idée en tête : rencontrer à nouveau Hussein Madi. Deux jours avant le rendez-vous, assise dans un café, elle le croise, prend son courage à deux mains et l’aborde : « M. Madi, vous ne m’avez peut-être pas reconnue », et lui de répondre : « Je ne me suis peut-être pas souvenu de votre nom, mais vous n’avez pas quitté mes pensées. » C’est ainsi que la première exposition d’ouverture de la galerie Aïda Cherfan démarre avec ce grand artiste qui l’avait beaucoup encouragée, lui offrant un support inconditionnel. À partir de ce moment, devenir galeriste était devenu pour elle une certitude. La première exposition fut un succès fulgurant et la rencontre avec Hussein Madi, un hasard de plus.

À la galerie Aïda Cherfan, on fête 20 ans de bonheur. Photos Marc Fayad

Galeriste ensuite

Comment devient-on galeriste ? « Il n’y a pas de schéma classique, répond Aïda Cherfan, il n’y a pas d’école pour devenir galeriste. Je crois que tous les gens qui font ce métier sont passionnés par ce qu’ils font. Je n’avais pas de famille dans le milieu de l’art. J’ai commencé mue par ma passion pour l’art, lequel, sous toutes ses formes, vaut tous les efforts. Tout m’intéressait, même si, pour mes expositions, je me limitais à ce qui était proche de ma sensibilité. »

Voilà comment débute l’aventure. « Je faisais des voyages en France et en Italie, et mes choix se portaient sur ce qui me plaisait. Le côté commercial m’importait peu. C’était au départ des pièces pour meubler mes collectifs, et petit à petit, j’ai développé une palette internationale, et j’ai pu prétendre à faire six expositions individuelles par an et six collectives. J’alternais. » Elle découvre ainsi Andrea Cangemi, Jeanne Lorioz, Norberto Martini, Francois Bard, Ronald Dupont et tant d’autres. « J’apprenais des clients, de leurs commentaires qui me renseignaient sur leur bagage culturel. Et il arrivait souvent que face à une toile, ils entrevoyaient quelque chose que je n’avais pas lu. C’était pour moi une acquisition, une richesse supplémentaire à la lecture d’une toile. » Un conseil de pro ? Cherfan indique qu’il ne faut jamais visiter une galerie avec une idée préconçue pour choisir une toile. Laisser les « je n’aime pas les fleurs », « je suis contre le surréalisme », « l’abstrait me laisse indifférent » à la porte. « Il faut être réceptif pour se laisser habiter, dit la galeriste. C’est l’artiste qui nous choisit, et pas le contraire. » En deux décennies au service de l’art et du beau, Aïda Cherfan n’a jamais été déçue. « L’art ne m’a donné que du bonheur. Chaque matin que je tournais la clé dans la serrure, je savais qu’une merveilleuse journée m’attendait derrière la porte de la galerie. »

Questionnaire express à Aïda Cherfan

Une seule toile, une seule sculpture à garder ?

Un Van Gogh ou un Cézanne. Une sculpture de Lalanne.

Un artiste avec qui passer une journée ?

Picasso, pour la richesse de sa créativité et son audace.

Un mouvement artistique qui ne vous interpelle pas ?

Le street art.

Un sujet artistique que vous n’exposerez jamais ?

Un sujet religieux.

Votre plus beau souvenir de galeriste ?

Quand j’ai réussi à vendre, lors d’un vernissage, toutes les oeuvres de l’exposition.

Qu’est-ce que l’achat d’une toile peut-il apporter ?

Une grande satisfaction et surtout un très grand bonheur. C’est une passion des plus silencieuses et des plus coûteuses. D’ailleurs, le choix des tableaux en dit long sur la sensibilité de l’acquéreur.

Un regret ?

La petite galerie, place de l’Étoile, que j’ai occupée pendant 14 ans. C’était un des premiers commerces à s’établir dans cette magnifique rue piétonne du centre-ville en 2001. Un lieu de rencontre enrichissant qui accueillait une clientèle hétéroclite.

Elle est entrée dans l’art par la porte du hasard et a porté sa galerie sur deux décennies avec une élégance, une joie de vivre et une passion grandissantes, sans jamais regretter le tournant que sa vie a pris un jour, car « cette vocation, dit-elle, était accidentelle ». Élève studieuse et appliquée, Aïda Cherfan se projetait déjà dans l’univers médical. Sa...

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