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Culture - En librairie

Infiltration romanesque au Liban-Sud, en temps d’occupation israélienne

Sélectionné pour le grand prix du roman de l’Académie française, le nouvel ouvrage de Jean-René Van der Plaetsen, paru chez Grasset, intrigue par son titre, « Le métier de mourir », qui interroge le choix de servir une armée, à travers les destins de deux soldats chargés de surveiller la frontière du Liban-Sud en 1985.

Infiltration romanesque au Liban-Sud, en temps d’occupation israélienne

Jean-René Van der Plaetsen (avec les lunettes noires), en 1985, alors jeune soldat Casque bleu au Liban-Sud. Photo DR

Le nouveau roman du journaliste et écrivain Jean-René Van der Plaetsen, Le métier de mourir, paru chez Grasset en septembre 2020, emmène le lecteur libanais au Liban-Sud, à travers deux soldats de l’Armée du Liban-Sud (ALS) chargés de protéger la frontière israélienne depuis le Liban. Fondée par Saad Haddad et des dissidents de l’armée libanaise, la milice pro-israélienne, dirigée à partir de 1984 par Antoine Lahd, a été active jusqu’au retrait du Liban-Sud de l’armée israélienne en 2000. La plupart de ses membres, des chrétiens en grande partie, considérés comme des traîtres, ont fui le Liban et trouvé refuge en Israël.

Sélectionné pour le grand prix du roman de l’Académie française, ce roman écrit par Van der Plaetsen, qui fut soldat puis Casque bleu au Liban-Sud, s’éloigne très vite des enjeux géopolitiques pour mettre en valeur l’aridité du cheminement existentiel des personnages, scandé par des citations bibliques, extraites de L’Ecclésiaste. « De là, le Vieux pouvait embrasser du regard toute la baie qui allait jusqu’à Tyr. Il ne se lassait pas de contempler ce panorama grandiose, avec la vieille ville mythique dont il voyait la masse blanche émerger au loin, enchâssée entre le bleu de la Méditerranée et les vertes étendues des plantations d’orangers et de bananiers. Ce paysage, il avait l’impression de le connaître par cœur alors que chaque jour le transformait et le rendait différent de la veille. » En 1985, depuis le check-point de Ras el-Bayada, Ariel Perlman, alias Belleface, ex-légionnaire et officier légendaire de l’armée israélienne ayant rejoint l’ALS, admire le paysage qui s’offre à son regard, tout en surveillant une bande de terre d’une dizaine de kilomètres de large, contrôlée par l’ALS, à la frontière avec Israël. À ses côtés, un jeune Français, Favrier, s’est lui aussi engagé dans les rangs de l’ALS pour prêter main forte aux chrétiens du Liban. Un engagement lié à la mort d’un de ses camarades de classe libanais, Charles el-Khoury, tué en combattant aux côtés de Bachir Gemayel. Belleface, hanté par la perte, la mort et la vengeance, est bouleversé par l’idéalisme du jeune homme. Alors qu’ils guettent un danger latent, dont l’imminence est accentuée par un style nerveux, qui ralentit d’une manière quasiment insoutenable pour le lecteur dans le dernier chapitre, deux destinées militaires se rencontrent. « Et peut-être même que le moment était venu qu’il lui raconte son histoire. Simplement pour que quelqu’un s’en souvienne. » Cette transmission que souhaite Belleface aura-t-elle le temps de s’effectuer ?

©Jean-René Van der Plaetsen. JF Paga

Un rendez-vous manqué ?

Le métier de mourir reflète une connaissance très précise de la situation complexe du Liban-Sud et de ses enjeux, qui est liée à une expérience personnelle de l’auteur. « J’ai été Casque bleu en 1985 dans cette région frontalière, et tout ce que je raconte, au cours de ces trois jours de mai 1985 – comme les trois coups du destin, car tout est symbolique dans ce livre –, aurait très bien pu se passer. J’ai voulu montrer qu’en quelques jours peut se dérouler une vie d’homme complète. À l’époque se trouvait à Ras-el-Bayada un check-point important, tenu par l’ALS. Avec l’unité à laquelle j’appartenais, nous y passions très régulièrement : nous faisions des escortes pour des convois de munitions, de matériaux de construction ou de vivres. Et je m’étais souvent dit qu’un jour, j’écrirais un roman qui se passerait dans ce lieu magnifique de beauté, avec la Méditerranée à 50 mètres, et qui surplombe la route côtière qui mène jusqu’à Tyr. À ce moment-là, l’armée israélienne achevait le retrait de ses forces, qui avaient occupé le Liban depuis 1982, après l’opération Paix en Galilée », se souvient l’écrivain, qui a souhaité relater de la manière la plus fidèle possible le contexte politique noueux et controversé de cette période.

« Jusqu’en 1985, et j’ai assisté à tout cela, la milice Amal, dirigée par Nabih Berry, était la plus puissante dans le sud du Liban. Mais peu à peu, le Hezbollah a pris l’ascendant sur le mouvement Amal en s’emparant des positions abandonnées par l’armée israélienne. Une longue série d’attentats à la voiture piégée a commencé contre les postes de l’ALS et de l’armée israélienne », se souvient l’auteur. « Mon roman raconte aussi l’histoire de ces soldats, dont on a fait des maudits par la suite, un peu comme les harkis en France, qui ont été considérés comme des traîtres et qui ont été contraints pour la plupart de quitter le Liban. J’ai souhaité montrer un point de vue très minoritaire aujourd’hui, mais qui, à l’époque, a eu une certaine réalité », poursuit Jean-René Van der Plaetsen, qui est conscient du fait que le sujet de son livre est explosif, compte tenu de l’actualité libanaise mais aussi de l’actualité française.

« Ce roman montre le processus de désintégration d’un pays, d’un peuple, lorsque sont à l’œuvre des forces centrifuges, et c’est peut-être ce qu’il se passe aussi en France aujourd’hui. Lorsque les Palestiniens sont arrivés au Liban, ils ont été reçus avec enthousiasme et générosité, ce qui n’a pas été le cas en Jordanie, et parfois, les traditions d’accueil d’un peuple peuvent lui nuire », estime le romancier.

« Beaucoup de sagesse, c’est beaucoup de chagrin »

« J’ai compris que cette terre est si belle qu’il paraît tout naturel de vouloir se l’approprier. Et c’est peut-être parce qu’elle est si chargée de la présence de Dieu, que celle-ci soit réelle ou inventée par les hommes, que cette terre est si belle », confie Favrier au cours du récit, insistant sur la présence continuelle du sacré au Proche-Orient. Le romancier reconnaît avoir été frappé par cet aspect pendant son séjour au Liban. « C’était très frappant, pour le jeune homme de 22 ans que j’étais, de voir combien Dieu semblait chez lui au Liban, les uns portaient une croix, les autres une main de Fatma ou une épée de Ali. C’est pourquoi j’ai souhaité que la Bible, et en particulier l’Ecclésiaste, soit au cœur de ce roman. Pour Belleface, qui avait vécu une tragédie dans un camp de concentration, il fallait à la fois l’opium pour oublier la souffrance physique, et l’Ecclésiaste, pour lui donner de l’espoir et une forme de sagesse », explique l’écrivain, dont l’ouvrage interroge les différentes modalités de la guerre.

« Lorsque j’étais en poste au Liban, il pouvait se passer une dizaine de jours sans que rien n’arrive, et soudain, en trois minutes, vous aviez cinq personnes au tapis. C’est sur ce modèle de guerre de position que j’ai écrit le récit, c’est une guerre d’usure, où beaucoup d’innocents trouvent la mort. L’attente peut rappeler Le désert des Tartares de Buzzati, sauf que dans Le métier de mourir, le drame finit par arriver », précise l’auteur, qui a grandi dans une famille de militaires et qui illustre les valeurs autour desquelles s’articule le métier de soldat. « C’est une vocation, comme pour les hommes de Dieu ou les médecins. La guerre fait partie de la vie, et elle est à peu près toujours inéluctable. Il faut donc s’y préparer pour l’empêcher, en développant une sorte d’équilibre de la terreur. En France, on est plutôt antimilitariste, mais peut-être que le regard sur l’armée est en train de changer au regard de l’actualité. J’espère qu’on ouvrira les yeux sur la réelle nature des soldats, qui ne sont pas des mercenaires ou des meurtriers, mais des hommes de paix dans la plupart des cas. Ils ont un idéal élevé et sont prêts à donner jusqu’à leur vie, d’où le métier de mourir, pour les autres, ou pour une idée qu’ils se font de ce que doit être leur pays ou leur devoir. »

Dans son roman précédent, La nostalgie de l’honneur (Grasset, 2017), récompensé par plusieurs prix littéraires, comme dans Le métier de mourir, la question de la transmission est essentielle. « Mon premier livre était l’histoire de mon grand-père maternel, qui fut un grand soldat et qui transmettait son expérience de la guerre à son petit-fils. Cette fois, le désir de transmission existe entre un vieux vétéran, dont l’histoire est tirée d’un personnage ayant réellement existé, et un jeune Français catholique : tous deux aspirent à une vie belle et noble, soutenue par un idéal d’élévation de l’âme. Belleface n’aura pas le temps de le faire, une façon de montrer qu’aujourd’hui la transmission s’accomplit moins bien, on a moins le temps d’écouter les anciens, et ceux-ci comprennent moins les jeunes qu’autrefois. L’autorité et la figure paternelle sont également plus facilement rejetées », conclut l’écrivain, qui a réussi le pari de construire un récit haletant, où le lecteur se laisse happer par la profondeur des personnages et l’incroyable densité de l’intrigue. Lorsque le dénouement fait exploser en plein vol les rêves de la jeunesse, et les larmes d’un homme qui pensait qu’il ne pourrait plus jamais pleurer, une voix interne au récit, celle de l’Ecclésiaste, persiste. « Beaucoup de sagesse, c’est beaucoup de chagrin. »

Le nouveau roman du journaliste et écrivain Jean-René Van der Plaetsen, Le métier de mourir, paru chez Grasset en septembre 2020, emmène le lecteur libanais au Liban-Sud, à travers deux soldats de l’Armée du Liban-Sud (ALS) chargés de protéger la frontière israélienne depuis le Liban. Fondée par Saad Haddad et des dissidents de l’armée libanaise, la milice pro-israélienne,...

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