
Le président russe Vladimir Poutine et son homologue américain Donald Trump lors du sommet du G20 à Buenos Aires, le 30 novembre 2018. Photo d’archives/Marco Brindicci/Reuters
Donald Trump a certes déçu le Kremlin, mais le républicain conserve ses faveurs, le camp démocrate ayant quelques comptes à régler avec les Russes. Mais à défaut, Moscou trouverait aussi son compte dans une crise postélectorale aux États-Unis. La Russie, dont la relation avec les Occidentaux était déjà désastreuse, espérait beaucoup de Donald Trump en 2016. Au point, selon le renseignement et la justice américains, que Moscou a parasité la campagne électorale pour favoriser le milliardaire, notamment en piratant le Parti démocrate. Mais malgré les intentions affichées par Trump, il « n’a pas été le président qui a sorti les relations russo-américaines de l’impasse », relève Maria Lipman, du cercle de réflexion Pomars Eurasia.
D’abord parce que la question de l’ingérence russe a empoisonné son mandat, les dénégations des deux dirigeants russe et américain étant contredites par les enquêtes réalisées aux États-Unis. Aussi parce que ces quatre années ont vu s’accumuler les désaccords sur les grands dossiers : frappes américaines en Syrie, retraits américains de l’accord nucléaire iranien ainsi que des traités militaires INF et « Ciel ouvert », représailles contre le gazoduc Nord Stream... En parallèle, les États-Unis ont multiplié les sanctions visant des alliés de Moscou, du Venezuela à la Biélorussie. Et l’empoisonnement en Angleterre de l’ex-agent double Sergueï Skripal a entraîné la plus grande expulsion réciproque de diplomates russes et américains depuis la guerre froide.
La déception de Poutine
Interrogé par la télévision russe début octobre, Vladimir Poutine a fait les comptes : sous Trump, des sanctions ont visé la Russie à 46 reprises. « Il faut regarder les choses objectivement, a-t-il noté, les intentions dont parlait le président Trump ne se sont pas réalisées. » Le Kremlin ne préfère pas pour autant Joe Biden, notamment car l’ingérence de 2016 a laissé des traces. Vu « la rhétorique démocrate des quatre dernières années (...), il serait logique qu’ils exigent un durcissement des sanctions » en cas de retour au pouvoir, estime Alexandre Baounov, du centre Carnegie de Moscou.
Face à la possibilité d’une victoire de Joe Biden, Vladimir Poutine a néanmoins soudainement rendu hommage au Parti démocrate qui partagerait avec la Russie, selon lui, des « valeurs communes » et une « base idéologique ». Il a même salué le « candidat Biden », favorable au prolongement du traité de désarmement nucléaire New Start. Celui-ci expire en février 2021 et les négociations en cours restent incertaines malgré un rapprochement cette semaine. Pour les analystes, l’hommage est cependant opportuniste : « Il a vu qu’il avait de meilleurs sondages », lâche Alexandre Choumiline, de l’Académie des sciences de Moscou.
« Chaos postélectoral »
Pour lui, Donald Trump reste le candidat de prédilection du Kremlin : « Il a montré qu’il n’était pas prêt à renforcer les sanctions et a même essayé de les adoucir. » Mais Moscou sait que le locataire de la Maison-Blanche ne fait pas tout : il doit composer avec le Congrès, qui mène depuis quatre ans la vie dure au Kremlin. Au final, « Trump ou Biden, je ne pense pas qu’il y ait une perspective favorable pour la Russie », tranche Maria Lipman.
Ce que résumait aussi dans une interview à la chaîne russe RTVI le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov : « Nous comprenons qu’il n’y aura pas de changement radical ni avec les démocrates ni avec les républicains. » Moscou pourrait en revanche profiter d’une crise politique aux États-Unis, par exemple en cas de refus de Donald Trump de reconnaître sa défaite. Un scénario évoqué par M. Lavrov. « Nous ne voudrions pas voir un pays, une puissance comme les États-Unis, basculer dans une crise profonde, si de nouvelles perturbations s’ajoutaient aux manifestations actuelles de violences et de racisme », a-t-il relevé auprès de l’agence de presse publique TASS. Il a même pointé du doigt comme source d’instabilité le caractère indirect de la présidentielle américaine, qui a permis l’élection de Trump sans majorité populaire. D’ailleurs, la Russie, mais aussi la Chine et l’Iran, restent soupçonnés, voire accusés de piratage et d’opérations d’influence à l’approche de la présidentielle. Pour Mme Lipman, un « chaos postélectoral » aurait un grand attrait pour le Kremlin : « Les États-Unis seront focalisés sur eux-mêmes et non sur la Russie, qui en profitera. »
Thibaut MARCHAND/AFP