Hommages

L'élégance martyrisée

On regarde la vie estivale avec primesaut, et soudain un cataclysme frappe un pays ami. En fin d’après-midi, dans le port de Beyrouth, double déflagration aux effets dévastateurs, de type brasier tellurique. Peu d’informations à 20h, mais des bâtiments auraient été soufflés, l’onde de choc a été ressentie à 200 kilomètres. On évoque des morts et des blessés par centaines, une sorte de 11 septembre phénicien. Accident dans un dépôt d’hydrocarbures ou de matières explosives ? Ce pays a été tellement raviné de violences que l’on ne peut écarter le terrible soupçon d’une malveillance. Bouleversé, j’envoie des textos à mes amis. Diane Mazloum répond aussitôt : « Merci Marc, je suis à Beyrouth, tous sains et saufs, quelques blessures superficielles, mais tous nos appartements sont détruits. Merci de tes pensées. » Cela donne la mesure de l’événement. Alexandre Najjar ne répond pas. On avance un premier bilan de 27 morts et 2500 blessés, alors qu’à 20h53 un tweet du président Macron annonce l’envoi immédiat de secours français. Sur BFMTV, un journaliste libanais blessé raconte que des quartiers entiers sont dévastés. Hôpitaux débordés avec le Covid-19 qui rôde, dit-il, rumeurs d’acide nitrique dans l’air, médecine d’urgence par 40 degrés sans électricité, impression d’avoir subi une attaque aérienne massive, voitures fuyant la ville, « apocalypse totale », entrée dans la nuit. Des images arrivent de Beyrouth, la seconde déflagration a envoyé dans l’air une couronne de fumée semblable à celle d’un champignon nucléaire, on perçoit visuellement l’énorme effet de souffle. L’aéroport serait touché. Une fois de plus, comme par fatalité existentielle, voici au Liban une situation de guerre qui n’a peut-être pas d’origine belliqueuse. Il est douloureux d’entendre la plupart des témoins s’exprimer dans un français parfait, nous sommes blessés dans notre langue commune. Je n’ai reçu de ce pays, quand j’y séjournais et aussi à Paris, que des aménités, des amitiés et l’exemple d’un stoïcisme allègre. C’est une terre d’élégance martyrisée.

À 22h52, bilan porté à 73 morts et 3700 blessés. Sans doute provisoire. « Les rues sont blanches de verre brisé », dit l’un des témoins. Diane Mazloum me fait savoir qu’Alexandre Najjar est indemne. Je reçois ce texto d’Amin Maalouf : « Bien cher Marc, merci de ton message d’amitié. Décidément, rien ne sera épargné à notre malheureux pays… ». Message où je discerne une sorte de fatalisme désarmé. Mais Amin sait qu’il s’agit d’un peuple-phénix, où la vie est prisée à sa juste valeur.

Souvenir de Beyrouth en 1994 : des quartiers entiers évoquaient un Stalingrad oriental. On voyait des flancs d’immeubles surcriblés de shrapnels, tant les mortiers et les canons s’étaient acharnés en une orgie d’overkill.

En 2015, Solidere avait tout reconstruit.

Journal du 4 août 2020

On regarde la vie estivale avec primesaut, et soudain un cataclysme frappe un pays ami. En fin d’après-midi, dans le port de Beyrouth, double déflagration aux effets dévastateurs, de type brasier tellurique. Peu d’informations à 20h, mais des bâtiments auraient été soufflés, l’onde de choc a été ressentie à 200 kilomètres. On évoque des morts et des blessés par centaines, une...

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