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Culture - Exposition

Lorsque l’extravagant Greco rétrécit le céleste !

Le Grand Palais de Paris rend hommage à l’artiste de l’âge d’or de la peinture espagnole, à travers une exposition abondante à l’image de l’œuvre et la première de cette envergure.

El Greco, « Pietà ». © Collection privée/RMN

De l’art de l’icône à une peinture indépendante, fougueuse et passionnée, l’œuvre du Greco ne cessera d’étonner et de susciter de multiples exégèses.

En effet, 70 œuvres du Greco sont présentées au public dans une scénographie théâtrale au Grand Palais de Paris depuis le 16 octobre 2019 et jusqu’au 10 février 2020.

Peintre méconnu jusqu’au XIXe siècle, il sera depuis adulé grâce à sa redécouverte par des intellectuels tolédans et dans l’ouvrage de Maurice Barrès publié en 1909. Quelques œuvres importantes n’ont pu faire le voyage d’Espagne, vu la fragilité de certains tableaux ou bien constituant des trésors de l’histoire de l’art.

Domenikos Theotokópoulos, dit El Greco, peintre crétois né en 1541, recevra dans sa jeunesse un apprentissage dans l’art des icônes byzantines à fond d’or et aux canons rigides et statiques. En 1567, il décide de rejoindre Venise avec pour ambition de devenir un grand peintre de la Renaissance. Il approfondira sa formation sous l’impact de Véronèse, du Tintoret et du Titien et s’éloignera désormais de la technique a tempera ou à l’œuf ainsi que des fonds dorés, propres aux icônes, en faveur de la peinture à l’huile. En 1570, il séjourne à Rome, en partie au palais Farnèse, mais il ne trouvera pas dans cette ville une place digne de lui et n’obtiendra pas des commandes publiques ou privées comme il le désire, dans une Italie inondée d’excellents peintres de la Maniera Moderna ou de la Renaissance.

C’est en Espagne qu’il sera consacré ; il passera la plus grande partie de sa vie à Tolède, de 1576 jusqu’à sa mort le 7 avril 1614. Les commandes pleuvent, les critiques aussi, vu l’originalité de cette peinture très personnelle et dans laquelle Greco crée avec subtilité des personnages sacrés, propres à sa technique, qui étrécissent le céleste. On le taxera de fou, d’astigmate, de prétentieux. De nombreux critiques loueront à tort sa peinture maniériste car son travail décèle une peinture maniérée et non maniériste, le maniérisme étant un mouvement qui succède à la Renaissance et précédant le baroque, marqué essentiellement par un travail à la manière de Raphaël et de Michel-Ange, avec des envolées plus sensuelles que platoniciennes (voir les peintres Pontormo, Bronzino ou Rosso Fiorentino).


Des corps réveillés de leurs chimères

La période tolédane demeure la plus féconde et la plus intéressante de cette peinture, de plus en plus personnelle et avant-gardiste, où les personnages harmonieux et inquiets s’exhument des ombres. Chétifs, ils s’offrent en leurs spasmes, tout juste sustentés. Mouvements et couleurs se fondent dans les arrière-plans, souvent sombres et bistrés ; des tempêtes en latence ?

El Greco a l’art de faire chanter la toile pour troubler notre existence en des lamentations et des oratorios provoquant une vive émotion. Il y a dans son pinceau l’outrance du sensible, le moyen de transmettre les effets les plus opalescents, dans des sujets en élongation qui relèvent du ciel. Nul calme dans les tableaux d’incessantes gésines qui emplissent de rêve, dans les pensées imprévisibles des tracés. Au milieu de plages de flocons sirupeux qui forment le fond, comme des taches fraîches de semence. Sous l’auvent du ciel, il peint les flous que l’on voit s’accroître, au milieu desquels les corps d’infini, réveillés de leurs chimères, des personnages de coïncidences, nés pour leur propre rencontre. Est-ce une déformation du monde, une prévarication ?

On s’attache aux représentations du Greco, à ses tableaux assombris, à ses personnages écorchés, pathétiques, à peine éclos. Des saints ou des figures célestes qui ont renoncé à leur nimbe et qui sortent de leur sommeil par exsudation, pour obstruer leurs ombres omniprésentes. Tout est ouaté chez lui en de ravissantes floculations ; le ciel gronde dans les nuances de gris, le baromètre n’annonce guère du beau temps. C’est plutôt l’automne qui règne avec la contagion d’un hiver improbable et en couleurs, par-ci et par-là ; l’or des icônes complètement occulté, comme si le peintre avait renoncé à ses origines crétoises.

Sa confrontation avec la Renaissance italienne est rangée dans les tiroirs de l’histoire, au profit d’un mysticisme ibérique et énigmatique au sommet de l’âge d’or de la peinture espagnole. Il y a de la ferveur chez Greco, ses œuvres nous parlent et interpellent jusque dans les abysses. C’est un rapport d’homme à homme, de tableau au spectateur, de part et d’autre, dans une copulation des sensibles.

La contemplation est alors un appel profond dans des accents de dilection sincères et pénétrants. Des œuvres de dévotion, des nus asexués traités à la manière du peintre, dans une Espagne très catholique, comme une attaque frontale au protestantisme iconoclaste.

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