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Culture - Exposition

Le règne en bronze des oppresseurs

Ils sont légion. Généraux, ministres, hommes d’État ou de religion qui traversent les âges en laissant derrière eux massacres et horreurs. Les sculptures de Muatasim al-Kubaisy s’élèvent contre la tyrannie de ces machines de guerre à la galerie Agial*.

« Le pouvoir se concerte », sculpture en bronze de Muatasim al-Kubaisy. Photo Paul Hennebelle

Partout où elle sévit, la guerre sème le même paysage et le même cortège d’horreurs. De la Syrie au Yémen et de l’Irak à l’Iran en passant par le Liban, il n’y a que destruction, mort et désolation. Muatasim al-Kubaisy ne peut rester silencieux ou les bras croisés devant tant d’injustice et devant l’oppression des peuples. Il réagit en artiste : il fait des moulures, prend son burin et avec des larmes de tout son vécu, sculpte des figurines impressionnantes, crée la vie. L’art devient soudain, entre ses mains, une réalité en trois dimensions qui éclate à la figure.

L’artiste irakien avait quitté son pays en 1997, après des études en 1992 à la faculté des beaux-arts de l’université de Bagdad, pour s’installer aux Émirats arabes unis « où il fait bon de travailler dans la tranquillité et le calme », affirme-t-il. Mais les événements le rattrapent et, en 2003, il se donne une seconde chance et rentre au pays natal. « Le peuple a cru que tout était fini et qu’on allait entrer dans l’ère du changement et de la reconstruction. Nous étions aveugles et ignorants. Nous ne savions pas qu’un autre ennemi beaucoup plus coriace que Saddam Hussein nous attendait. » Un puissant au pouvoir avait troqué sa place contre un autre superpuissant. « Encore une fois, j’ai été contraint de faire mes valises et de repartir... Aujourd’hui, tous ces hommes au pouvoir parlent de victoire. Laquelle ? De celle qui foule au sol des milliers de cadavres ? De celle qui se fait sur le sang versé du peuple ? »

Écorché vif, l’artiste, tout en ressentant encore la douleur dans son corps, véritable caisse de résonance, se met aussitôt au travail. Il va devenir le poète des formes. « L’exécution du projet est toujours aisée par rapport à son élaboration, à sa pensée », dit-il.

Le fait de donner forme à la pensée est un premier obstacle. C’est à son retour dans un Irak détruit et dévasté qu’il avait eu comme une « décharge », presque une illumination. Et après de longues macérations, toutes les émotions giclent et prennent forme sous le thème de « The Last Generals ».

L’autre obstacle serait, comme l’a expliqué Jean-Paul Sartre, comment faire de l’art de l’immobile un art en mouvement ? « La sculpture doit alors se tendre dans un effort constant pour surmonter l’immobile, dit-il. Le philosophe dit comment graver dans l’immobile afin d’ attraper de vrais mouvements vivants et de les façonner. »

La pensée dans le mouvement

La sculpture est une technique artistique que Muatasim al-Kubaisy a adoptée il y a déjà deux décennies. Établi actuellement aux Émirats, son travail est exposé dans les pays arabes mais aussi en Europe, notamment à Paris.

Exposées à la galerie Agial, les sculptures en bronze de taille moyenne représentent des mastodontes, des corps pesants comme ancrés au sol, derrière un micro ou encore sur un WC (comme s’ils c… sur le peuple). « Mes personnages, généraux, ministres, hommes d’État ou de religion, sont comme des figures de BD, aux traits burlesques et accentués, et aux formes marquées. J’ai voulu amplifier les allures déformées car, pour moi, ces personnages, par leur nature, n’appliquent pas les lois et ne font pas régner la justice mais ont pour tout rôle d’exacerber les passions et les haines et de diviser pour régner. » Ces hommes puissants sans identité spécifique qui gouvernent le monde sont sans yeux, sans état d’âme, des quasi-robots sans aucune empathie humaine en eux.

Contrairement aux figurines militaires – en plastique ou en métal, objets de collection qu’on retrouve sur le marché des jouets – les sculptures d’al-Kubaisy, à l’air fallacieux, sont grimacières et risibles. Parfois même, si on lit entre les « lignes », on comprendrait que les hommes religieux s’immiscent parmi ces « superhéros » en habits militaires, masqués.

« Depuis le début de ce siècle, confie Muatasim al-Kubaisi, les conflits sont devenus plus religieux que politiques et cela est navrant car les peuples, souvent baignant dans l’ignorance, s’y lancent tête devant. J’espère que mon travail ouvrira un peu les yeux et servira à en éclairer certains. Sinon, comme le bronze dure des millénaires et est résistant à la chaleur et au froid, il me survivra et sera comme un document vivant qui témoignera que j’ai été l’artiste de ce temps. Telle est ma responsabilité à travers mon art. »

*Galerie Agial

Rue Abdel Aziz, Hamra.

Jusqu’au 31 décembre.

Partout où elle sévit, la guerre sème le même paysage et le même cortège d’horreurs. De la Syrie au Yémen et de l’Irak à l’Iran en passant par le Liban, il n’y a que destruction, mort et désolation. Muatasim al-Kubaisy ne peut rester silencieux ou les bras croisés devant tant d’injustice et devant l’oppression des peuples. Il réagit en artiste : il fait des moulures,...

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