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Moyen Orient et Monde - Dans la presse

Afghanistan Papers : comment les officiels américains ont caché la vérité

Le « Washington Post » publie une longue enquête dans laquelle des centaines d’officiels américains décrivent la réalité de l’échec de leur intervention en Afghanistan.

Un soldat américain dans le sud-est de l’Afghanistan le 4 août 2019. Alejandro Licea/U.S. Army/Handout via Reuters

Trois présidents, 18 ans de guerre, des millions dépensés, 775 000 soldats déployés et plus de 2 000 morts du côté américain. Des centaines d’officiels ont décrit le plus long conflit armé dans l’histoire des États-Unis comme un échec cuisant.

C’est ce que révèlent les Afghanistan Papers, 2 000 pages d’interviews secrètes récoltées par le Washington Post après trois ans de bataille juridique face à SIGAR, ou Special Inspector General for Afghanistan Reconstruction. L’institution, créée par le Congrès Américain en 2008 dans le but d’enquêter sur les fraudes et abus dans les zones de guerre en Afghanistan, a ensuite développé un projet en parallèle, nommé « Lessons Learned », afin de comprendre les échecs de la politique américaine dans ce conflit : pour cela, des centaines d’officiels américains ont été interviewés. Initialement, le Washington Post n’avait eu vent que d’un seul de ces nombreux entretiens. Petit à petit, le journal a obtenu de nombreux documents, notamment grâce au Freedom of Information Act qui oblige les agences fédérales à transmettre leurs documents à quiconque le requiert. Si de nombreuses personnes demeurent anonymes, des généraux, diplomates, ou personnalités politiques influentes telles que Donald Rumsfeld ont participé à l’enquête.

« Je n’ai aucune visibilité sur qui sont les méchants en Afghanistan ou en Irak », admet Donald Rumsfeld lors d’une interview en 2003. Il est alors secrétaire américain à la Défense. « Je lis les rapports confidentiels et il semble que nous en savons beaucoup, mais en réalité, en creusant un peu, nous n’avons rien de concret. Nous manquons de renseignements humains », ajoute-t-il. Plusieurs officiels se posent les mêmes questions : Qui sont les ennemis ? Quel est le but de cette guerre ? Frustrations, confusions, manque de compréhension… beaucoup partagent ce diagnostic et admettent l’échec de l’intervention américaine : « Nous n’envahissons pas des pays pauvres pour les enrichir, nous n’envahissons pas des pays autoritaires pour les rendre démocratiques. Nous envahissons des pays violents pour les rendre pacifiques, et nous avons clairement échoué en Afghanistan », confesse James Dobbins, un ancien diplomate américain envoyé spécial sous Bush et Obama.


(Pour mémoire : Pas de retrait d’Afghanistan sur le modèle syrien)

« Oussama devait rire dans sa tombe »

Suite aux attentats du 11 septembre 2001, l’administration Bush lance en représailles la « guerre contre le terrorisme » et envahit l’Afghanistan le 7 octobre 2001, dans le but de renverser le régime des talibans et d’éradiquer el-Qaëda. Les objectifs semblent rapidement acquis, mais la situation s’enlise. Face à l’impossibilité de stabiliser le terrain et aux offensives à répétition, chaque président promet un retrait de troupes qui ne se matérialise jamais. « Qu’avons-nous gagné de cet effort d’un millier de milliards? Est-ce que cela valait un millier de milliards ? » s’interroge Jeffrey Eggers, un ancien Navy SEAL et officiel de la Maison-Blanche sous Bush et Obama. « Après la mort d’Oussama ben Laden, je me suis dit qu’Oussama devait rire dans sa tombe en voyant combien nous avons dépensé en Afghanistan. »

Pour le Washington Post, l’opinion générale révélée par ces documents tranche avec le discours officiel tenu à l’égard de la population américaine depuis 2001. Bush, Obama, Trump… chacun promet tour à tour une résolution du conflit et un retrait des troupes. Chacun assure que la stratégie est claire. Mais la réalité est toute autre : « Nous n’avions aucune réelle compréhension de l’Afghanistan – nous ne savions pas ce que nous faisions », déclare en 2015 Douglas Lutte, un général de l’armée américaine ayant servi en Afghanistan. Les informations réelles auraient par ailleurs été manipulées par les officiels américains afin de « présenter la meilleure image possible » et rassurer l’opinion publique. Dès 2002, Donald Rumsfeld prend conscience de l’impasse : « Nous n’allons jamais retirer l’armée américaine d’Afghanistan, à moins de veiller à ce qu’il se passe quelque chose qui apportera la stabilité qui nous permettra de partir. » Depuis, dix-sept années se sont écoulées, mais la situation n’a pas fondamentalement évolué : l’année dernière, 3 804 civils afghans ont été tués, le nombre le plus important de victimes civiles depuis 2009, d’après l’ONU.

Ces documents ne semblent être que le début : des 428 personnes interviewées par SIGAR, seules 62 ont été identifiées, et de nombreux passages demeurent inaccessibles. La bataille juridique du Washington Post est toujours en cours, alors que SIGAR demeure réticente à divulguer la totalité des informations.


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