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Moyen Orient et Monde - Algérie

Entre le régime et le Hirak, le bras de fer se durcit

Le pouvoir veut des élections pour assurer sa survie, la rue souhaite un changement de la classe dirigeante.

À Alger, les gens étaient dans la rue hier, pour le 35e vendredi d’affilée. Ryad Kramdi/AFP

Des visages de tous âges, tous genres et toutes classes sociales, arborant la même expression déterminée, brandissaient hier des drapeaux algériens et des pancartes.

« Gaïd Salah dégage ! », « Pas de vote cette année ! » : en parcourant la ville, la foule répète en chœur les mêmes slogans contre l’homme fort de l’armée et contre sa volonté de convoquer une élection présidentielle le 12 décembre prochain. C’est l’enjeu du bras de fer qui oppose depuis plusieurs semaines le régime au Hirak (mouvement de contestation) : le premier veut l’élection pour assurer sa survie politique, le second la refuse tant que le régime sera en place.

Malgré la chute de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika le 2 avril dernier, les tensions perdurent. Les Algériens descendent dans la rue tous les mardis et vendredis depuis 34 semaines. L’élection d’un président serait, pour l’armée, un moyen de mettre fin à ces manifestations hebdomadaires qui durent déjà depuis février. « Pour une majorité d’Algériens, accepter cette élection signifie accepter encore une fois le jeu de dupes où les décideurs imposent un candidat et le peuple se déplace aux urnes pour lui offrir une certaine légitimité », observe Dalia Ghanem, chercheuse résidente au Carnegie Middle East Center, contactée par L’Orient-Le Jour.

Après l’échec de l’élection d’avril, puis de celle de juillet, faute de candidats, rien ne garantit que celle du 12 décembre aura bien lieu. « Nous ne sommes pas contre cette élection en tant que concept, à un certain moment ce sera la solution, mais on ne peut pas opter pour une présidentielle tant qu’il n’y aura pas eu le changement qu’on espère depuis février, tant que nos camarades sont toujours en prison », souligne Dounia*, étudiante en architecture à Alger, qui manifeste depuis février. « À quoi bon faire tout ce Hirak qui date depuis 8 mois si on va vers un scrutin qui aurait pu se tenir le 18 avril ? » ajoute-t-elle, en référence à la présidentielle qui devait assurer un cinquième mandat à l’ex-président Bouteflika.

Plusieurs personnalités publiques, telles que Ahmad Taleb Ibrahim, homme politique, et Ali Yahia Abdenour, avocat et militant des droits de l’homme, ont signé mardi une déclaration ouverte au gouvernement actuel en vue de la présidentielle à venir. Ils qualifient cette initiative de « parodie électorale » et soutiennent que « le pouvoir n’a trouvé d’autre issue à sa crise chronique que de tenter (…) un passage en force vers une élection, et de persister en imposant sa main de fer pour consolider sa tutelle permanente sur le peuple ». De son côté, le général Salah a accusé une partie des manifestants d’être payés avec « de l’argent sale », tout en soulignant « l’empressement » du peuple algérien « à participer massivement à la présidentielle ». L’actuel homme fort du pays pourrait être le grand perdant d’un nouveau report du scrutin. « Si l’élection est encore une fois annulée, il semble plausible que Gaïd Salah soit sacrifié, car il ne pourra pas survivre à une autre annulation en plus d’être l’une des personnalités dont le mouvement ne veut pas, et ce depuis le 22 février », analyse Dalia Ghanem.


« La révolution du sourire »

En attendant, les figures de l’opposition réclament avant tout des mesures d’apaisement, en particulier la libération des détenus d’opinion. Depuis le mois de septembre, journalistes, activistes, militants, mais également étudiants sont victimes d’arrestations arbitraires. D’après le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), il y aurait actuellement 81 personnes détenues dans les prisons algériennes. Mardi 8 octobre, les forces de l’ordre ont violemment dispersé la manifestation estudiantine, une première depuis le début de la contestation pacifique, en février. « Pour avoir vu et assisté aux premières manifestations, je peux dire que la répression est aujourd’hui plus évidente et directe », souligne Dalia Ghanem.

Une répression qui reflète l’ambivalence du pouvoir face à ces événements. « Ce qui est surprenant, c’est que certains détenus ont été libérés dans certaines régions d’Algérie alors qu’à Alger, pour le même motif, des personnes sont toujours en détention », observe Hassina Oussedik, Directrice d’Amnesty International Algérie, contactée par L’OLJ.

« Certains mardis sont caractérisés par des dizaines d’interpellations violentes et aléatoires, qui cachent en fait l’interpellation ciblée de certains individus considérés comme meneurs et déclencheurs des marches », raconte Nabil*, étudiant à l’USTHB à Alger, « ce qui est insensé car ces marches sont spontanées ». Le temps semble toutefois jouer en faveur de la rue. En dépit de la répression plus violente, les manifestations battent leur plein. Après avoir décrit les policiers frappant les étudiants à coups de matraque, Dounia explique : « Ce n’est pas facile de rester calme et de sourire face à ça. C’est la révolution du sourire, c’est comme ça qu’on appelle notre révolution. C’est ce qui énerve le plus les forces de l’ordre, je pense. »

Dimanche dernier, les Algériens sont descendus dans les rues, hors du cadre des manifestations habituelles, pour protester contre une loi votée par le Parlement sur les hydrocarbures. Mardi, étudiants et non-étudiants n’ont pas hésité à se rendre place des Martyrs, malgré la violente répression de la semaine précédente. Pour Hassina Oussedik, si la répression en Algérie n’est pas nouvelle, « la mobilisation et la solidarité d’une grande partie de l’opinion publique, pour défendre les libertés fondamentales », est sans précédent. « En tant que jeunesse algérienne, c’est notre moment. Nous voulons une meilleure version de notre Algérie », s’enthousiasme Dounia. Elle raconte l’évolution du Hirak depuis février, qui est désormais mieux organisé, plus spontané, et présente « un peuple solidaire et uni ». Les citoyens de tous âges participent désormais régulièrement aux manifestations des étudiants du mardi, et protègent les jeunes des violences policières. « On change avec ce Hirak, et il nous change aussi », conclut-elle.

*Les prénoms ont été changés.


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