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Liban - Artisanat

Yervant Balian, 86 ans, un des derniers orfèvres de Beyrouth

Enfant, il a dû quitter les bancs de l’école pour vendre des chewing-gums. Des années plus tard, il exportait sa production d’orfèvre jusque dans les pays du Golfe...

Yervant Balian dans son atelier d’orfèvre, rue d’Arménie, à Beyrouth.

Assis devant son atelier, rue d’Arménie, à Beyrouth, Yervant Balian a un œil sur les passants et un autre sur ses employés. Dans le quartier, cet orfèvre, qui officie depuis 68 ans, est connu sous le nom de « moallem » Yervant.

Ce n’est que cette année qu’il a arrêté d’opérer les machines lui-même, mais il continue de superviser la fabrication de l’argenterie qui sort de son atelier. Une façon, peut-être, pour cet homme qui travaille depuis son plus jeune âge de préparer sa retraite. « Je suis fatigué. 86 ans, c’est beaucoup », lance-t-il dans un soupir. Yervant fabrique de la vaisselle de table en argent, des chandeliers, des bouilloires en cuivre. Mais sa spécialité, ce sont les coupes et les médailles que l’on décerne dans tous les championnats de la région. « Je suis le seul au Liban à fabriquer ces coupes, assure-t-il. Je les exporte dans les pays du Golfe. Mais de plus en plus de personnes achètent désormais des coupes fabriquées en Chine, alors qu’elles sont de mauvaise qualité. »

Moallem Yervant fournit également des pièces en gros aux commerçants libanais, notamment à Tripoli, à Tyr, à Saïda ou encore à Bourj Hammoud. « Les couverts et ustensiles en cuivre que vous trouvez aujourd’hui dans la plupart des restaurants de Gemmayzé proviennent de chez moi », dit-il, pas peu fier de son entreprise, montée à la sueur de son front.

À 86 ans, Yervant Balian est sans doute un des orfèvres en activité les plus âgés du pays. C’est en autodidacte qu’il a appris ce métier après être entré, à 17 ans, dans une usine de fabrication de produits en aluminium. Aujourd’hui, Yervant fait partie des piliers de la rue d’Arménie, un quartier dont il constitue la mémoire vivante. Sans surprise, tout le monde le connaît dans cette rue, et lui-même se considère, en raison de son âge avancé, comme « le père de tous ».

C’est à six ans, en 1939, alors que la Seconde Guerre mondiale vient de commencer, que M. Balian débarque à Beyrouth avec ses parents. Son père, ouvrier, peine à joindre les deux bouts et à élever ses quatre enfants. « Quand nous sommes arrivés au Liban, nous nous sommes installés rue d’Arménie, dans un appartement constitué d’une seule chambre. Depuis, je ne suis jamais vraiment parti d’ici », confie l’artisan. Son père n’ayant pas les moyens d’assurer une éducation à tous ses enfants, Yervant, qui est né à Alexandrette (Iskenderoun) en Turquie, doit quitter les bancs de l’école, et passe ses journées à écumer les tramways pour vendre des chewing-gums. « Je gagnais plus d’argent que mon père à l’époque, rien qu’en vendant mes chewing-gums ! Au début, il avait peur que je ne sois en train de voler », se souvient le vieil homme. « J’aurais pu mal tourner, reconnaît-il aujourd’hui. Mais chez nous, ce n’était pas permis, je devais soit apprendre un métier, soit aller à l’école. Mon frère, lui, a pu faire des études. »

Polyglotte et globe-trotter

Dans son atelier est affichée sur un mur une photo d’Andranik Ozanian, commandant de l’armée arménienne et figure de la lutte contre l’Empire ottoman à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. « Andranik pacha est un héros ! Mon oncle a combattu avec lui », raconte Yervant avec fierté. Cet oncle, l’orfèvre a pu le rencontrer, il y a quelques années… en Azerbaïdjan, et au moment où il s’y attendait le moins. « Lors d’un de mes déplacements en Arménie, du temps de l’Union soviétique, j’ai appris que mon oncle était encore en vie, raconte M. Balian. J’ai finalement retrouvé sa trace à Bakou, en Azerbaïdjan, et j’ai été le voir. L’année suivante, je suis retourné lui rendre visite en compagnie de mon épouse. »

Moallem Yervant a beaucoup voyagé dans sa jeunesse. Et malgré le fait qu’il a dû déserter les bancs de l’école à un très jeune âge, l’octogénaire est polyglotte. « En plus de l’arménien, je parle arabe, turc, polonais, français et anglais. J’ai beaucoup voyagé, partout dans le monde. J’ai été au moins 10 fois en Espagne, en Italie et en Pologne. Et je connais l’Arménie mieux que ceux qui y habitent », lance-t-il.

Yervant Balian a même été engagé en politique à un moment, notamment dans les rangs du Henchag… « On m’a tiré dessus, le 18 octobre 1958 (lors de la crise politique et des affrontements armés qui ont eu lieu au Liban à l’époque), dit-il en montrant des traces de balle sur sa poitrine… J’ai même travaillé comme garde du corps pour certaines grandes personnalités politiques. Mais aujourd’hui, c’est terminé. » « Ma politique, c’est ma famille », assure-t-il, sans vouloir donner de nom. La page est tournée.

Comme beaucoup de Libanais, Yervant a vu ses trois enfants émigrer un à un après leurs études et aucun d’entre eux n’a jamais exprimé le souhait de reprendre son entreprise. « Mon beau-frère travaille avec moi maintenant, mais le secteur industriel est en déclin, partout dans le pays. Plus personne ne veut faire ce métier, c’est coûteux d’acheter les machines et les modèles à partir desquels on travaille. D’ailleurs, le Liban est dans un état de chaos. Il n’y a plus rien qui fonctionne dans ce pays », déplore-t-il.

Assis devant son atelier, rue d’Arménie, à Beyrouth, Yervant Balian a un œil sur les passants et un autre sur ses employés. Dans le quartier, cet orfèvre, qui officie depuis 68 ans, est connu sous le nom de « moallem » Yervant. Ce n’est que cette année qu’il a arrêté d’opérer les machines lui-même, mais il continue de superviser la fabrication de l’argenterie qui...

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