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Liban - Publication

Il y a 50 ans, le Mouvement estudiantin de l’éveil révolutionnait le paysage libanais

« La jeunesse est capable de changer la donne, à partir du moment où elle décide de se libérer de son obsession pour l’argent et le pouvoir, et de se libérer de l’emprise des appartenances aux communautés religieuses et aux identités régionales et familiales », assure l’historien et anthropologue Antoine Douaihy.

Une grande manifestation à Beyrouth, en 1974, avec en première ligne des dirigeants et des membres de l'Éveil, dont Paul Chaoul, Akl Awit, Ghazi Hélou, Fadi Badaoui, Charbel Kattar, Georges Stéphan et d'autres. Photo DR

À l’heure où la jeunesse libanaise est partagée entre désespoir et suivisme politique, il est difficile d’imaginer qu’il fut un temps où le mouvement estudiantin au Liban prenait l’initiative au niveau de la société et réussissait à faire fléchir l’État devant ses revendications. Mais le mouvement estudiantin au Liban a bel et bien connu son « âge d’or », entre les années 1969 et 1976, avec le lancement en août 1969 du Mouvement de l’éveil (Haraket al-Ouaï).

À l’occasion du cinquantième anniversaire du lancement de ce mouvement, l’écrivain et anthropologue Antoine Douaihy, qui en a été le penseur et le président, a signé dans son village natal Ehden, au Liban-Nord, le premier et seul ouvrage sur cette expérience. Intitulé Le Mouvement de l’éveil : fut-il la voie du salut pour le Liban ?, l’ouvrage comprend des photos de manifestations des étudiants, des photos du lancement du mouvement lors d’une conférence tenue à Mayfouq, à Jbeil, en présence notamment de Issam Khalifé, figure de proue du mouvement estudiantin, et des archives de la presse libanaise. Toutefois, la particularité de ce livre réside dans la publication, pour la toute première fois, de manuscrits de documents écrits par M. Douaihy, tels que les discours prononcés et les communiqués émis par le mouvement.

M. Douaihy a publié cet ouvrage, explique-t-il à L’Orient-Le Jour, pour inscrire le Mouvement de l’éveil dans les esprits et la mémoire collective des Libanais. « À travers cet ouvrage, je tente de sauver cette expérience de l’oubli total », déclare-t-il. « De toute ma vie je n’ai adhéré à aucun parti ou mouvement politique autre que le Mouvement de l’éveil, et je cherche, à travers ce livre, à prouver aux jeunes Libanais, dont la majorité ignore cette expérience, qu’un changement est possible », enchaîne-t-il.

Outre son président, pour les six années consécutives de son existence, le Mouvement de l’éveil comptait parmi les anciens membres de sa direction, ou responsables de ses diverses sections, Issam Khalifeh, Paul Chaoul, Samir Id, Georges Doumit, Antoine Malek Taouk, Akl Awit, Ghazi Hélou, Antoine Seif, Fouad Mansour, Jereis Jabbour, Élias Saab, Fadi Badaoui entre autres. « Les dirigeants, les cadres et les membres du mouvement appartiennent tous aux classes sociales modestes, ce qui avait conféré à l’Éveil une veine et une dynamique fortement populaires », précise M. Douaihy avant de poursuivre : « En outre, la très grande majorité de ses dirigeants et membres provenait des diverses régions rurales et montagnardes du pays, ce qui lui conférait un caractère combatif et tenace. »




(Lire aussi : N. Gemayel à « L’OLJ » : Si les politiques n’arrivent pas à se mettre d’accord,que les jeunes montrent l’exemple)



Un mouvement indépendant
Quelles étaient les revendications de ce mouvement ? Pour M. Douaihy, le Mouvement de l’éveil était autonome et son action était principalement axée sur des revendications à caractère universitaire, telles que la démocratisation de l’enseignement et le développement de l’Université libanaise. « Les slogans portaient notamment sur la démocratisation de l’enseignement et la création de facultés de sciences appliquées à l’UL, entre autres », précise-t-il avant de poursuivre : « Nous avons réussi à créer des facultés de médecine, de génie, de pharmacie et d’agronomie, entre autres. »

Le Mouvement de l’éveil avait perçu dans l’absence de ces facultés une forme d’injustice sociale. « Les étudiants qui n’avaient pas les moyens de s’inscrire à l’Université Saint-Joseph et l’Université américaine de Beyrouth ne pouvaient espérer devenir médecin ou ingénieur, par exemple. Ils étaient voués, de par leur condition sociale et financière, à se contenter de diplômes en sciences théoriques même s’ils ne s’y intéressaient pas », explique M. Douaihy.

Via ces réformes, le Mouvement de l’éveil cherchait à révolutionner l’économie libanaise en multipliant le nombre des étudiants diplômés en sciences qui pourraient éventuellement développer les secteurs de l’industrie, de l’agriculture et des technologies. « Notre approche de la situation au Liban partait du principe que tous ses éléments étaient étroitement liés les uns aux autres et que, par conséquent, nous ne pouvions espérer opérer un changement au niveau de la société sans qu’il n’y ait de changement au sein de l’Université libanaise et au niveau de la jeunesse et de son avenir », souligne-t-il.

Dans ce sens, la question est de savoir pourquoi le Mouvement de l’éveil a réussi à œuvrer un changement à l’heure où d’autres mouvements, de l’avant-guerre et de l’après-guerre, échouent avant même d’entamer leurs actions ? « Certes, les circonstances et le timing ont joué un rôle dans la montée du Mouvement de l’éveil, mais c’est l’indépendance et l’autonomie du mouvement qui ont assuré sa réussite », affirme M. Douaihy, avant de poursuivre : « Notre mouvement est le seul mouvement politique et syndical de l’histoire du Liban moderne qui n’a pas eu comme base un leadership familial, religieux, régional, militaire ou partisan ou encore qui n’a pas été affilié à des organisations ou courants extérieurs. » Selon M. Douaihy, le Mouvement de l’éveil a vu le jour au cœur de la société de l’Université libanaise mais a été plus tard avorté par le déclenchement de la guerre civile à laquelle il a choisi de ne pas participer.


Plus qu’une action : une vision
Pour M. Douaihy, le Mouvement de l’éveil était doté d’une mission historique. « Nous aspirions à créer un mouvement national libanais pour le changement du paysage politique et social libanais qui était figé et dont les événements se répétaient éternellement », raconte-t-il. « Le Mouvement de l’éveil a réussi à dépasser le clivage politique de l’époque entre gauche et droite, ce qui était loin de plaire à ces deux pôles », se souvient-il. Et de poursuivre : « Le Mouvement de l’éveil était porteur d’une vision qui reposait sur trois piliers essentiels : l’attachement à l’indépendance du Liban et à ses particularités socioculturelles ainsi qu’à son rôle historique dans la région, l’engagement dévoué pour les plus démunis et les catégories marginalisées du peuple libanais, et finalement les instruments de lutte loin de toute sorte de violence révolutionnaire et de putsch et qui privilégiaient la pression démocratique organisée. »

Pour conclure, M. Douaihy assure que si les Libanais aspirent aujourd’hui à un mouvement ou une formation capable de les sauver de la situation déplorable dans laquelle sombre le pays, ce mouvement serait très semblable au Mouvement de l’éveil ou alors ce serait le Mouvement de l’éveil en soi. « Ce mouvement est la preuve que la jeunesse libanaise est capable de changer la donne, du moment où elle décide de se libérer de son obsession pour l’argent et le pouvoir et de se libérer de l’emprise des appartenances aux communautés religieuses, aux identités régionales et familiales. »

À l’heure où la jeunesse libanaise est partagée entre désespoir et suivisme politique, il est difficile d’imaginer qu’il fut un temps où le mouvement estudiantin au Liban prenait l’initiative au niveau de la société et réussissait à faire fléchir l’État devant ses revendications. Mais le mouvement estudiantin au Liban a bel et bien connu son « âge d’or », entre...

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