Tortelli de veau aux pleurotes : cueillis le matin, les champignons qui ont poussé dans du marc de café recyclé sont servis au déjeuner dans un palace à Paris. Une assiette « qui prend la puissance dix », assure le chef italien Simone Zanoni.
Comme plusieurs autres restaurants parisiens, George (une étoile au guide gastronomique Michelin), de l’hôtel George V, envoie quelque 100 kg de marc de café par semaine à La Boîte à Champignons, une start-up spécialisée dans l’agriculture urbaine située à Saint-Nom-la-Bretèche, près de Paris. « Nous reconstituons un tronc d’arbre à partir des déchets de la ville » en mélangeant le marc de café avec du cageot, explique Arnaud Ulrich, cofondateur de l’entreprise. Les sacs remplis de substrat sont suspendus dans un laboratoire où est maintenue la température de 16°C, celle « du sous-bois en automne ». « Courant XIXe-début XXe siècles les maraîchers récoltaient le crottin de cheval, l’amenaient vers l’exploitation et cultivaient les fameux champignons de Paris et cette filière a été cassée petit à petit. Nous voulons la recréer et permettre à la matière organique plutôt que d’être incinérée de retourner à la terre », souligne Arnaud Ulrich.
Avec un taux d’humidité moindre qu’un substrat industriel, il permet d’obtenir un champignon plus croquant qui ne dégage pas d’eau et reste ferme à la cuisson, une qualité appréciée par des chefs étoilés qui viennent s’y approvisionner. La Boîte à Champignons vend aussi des kits aux particuliers pour faire pousser des pleurotes chez eux. Pour les chefs, La Boîte à Champignons fait du sur-mesure : la partie haute de la grappe pour décorer l’assiette ou du champignon très calibré de la taille d’une pièce de 2 euros, raconte Arnaud Ulrich.
« Ces pleurotes poussent dans un environnement contrôlé, on n’a même pas besoin de les laver. Ne pas rajouter de l’eau, c’est très important », pour garder le côté croquant, explique Simone Zanoni. Le restaurant paie 1 000 euros par mois pour recycler son marc de café et reçoit les champignons gratuitement. « Cela revient au même (que de les acheter sur le marché), mais on fait les choses différemment », souligne-t-il.
Une fois dans les cuisines avec sa provision de pleurotes frais, le chef garde les gros pour faire la farce en les mélangeant avec du veau braisé et saisit les petits dans de l’huile d’olive pour décorer les tortelli faits à partir de la pâte où il rajoute du café. Le plat est saupoudré de café, utilisé comme une épice. Une façon d’être dans la continuité et « donner du sens à l’assiette ». « Quand on explique cela au client, l’assiette prend la puissance 10, il y a une vraie motivation, un vrai intérêt », déclare-t-il. « On essaie de créer des assiettes comme ça, dans l’air du temps. C’est l’histoire que les gens veulent entendre et on aime la raconter », poursuit-il, assurant que l’ingrédient « écoresponsable » est désormais indispensable pour une recette d’une grande table.
Potager à Versailles
Le chef lombard sert aussi les pleurotes dans un panaché de légumes qui viennent du potager du restaurant à Versailles, à l’ouest de la capitale. Tomates multicolores, haricots violets, betterave jaune, microconcombres et herbes aromatiques : démarré il y a un an, le potager couvre désormais 80 % des besoins en légumes du George.
« Ce sont les produits qui dictent ce qu’on a dans l’assiette », dit Simone Zanoni, fils de fermiers, qui envoie ses cuisiniers cueillir des légumes à Versailles estimant qu’ils auront ainsi un autre rapport au produit. « Ce n’est pas évident d’être écoresponsable dans l’extraluxe, mais dès qu’on le fait, les clients adhèrent », se félicite le chef, qui propose par ailleurs de l’eau filtrée dans de belles carafes multicolores. Le restaurant ne vend actuellement que 4 à 5 bouteilles d’eau par jour pour les clients qui le réclament, contre 200 auparavant, précise-t-il. « On ne peut pas empêcher les gens de venir au restaurant parce qu’on pollue, mais on peut réfléchir pour trouver des solutions intelligentes », conclut le chef Zanoni.
Olga NEDBAEVA/AFP