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Culture - Exposition

Les étranges « 9 matins et 13 bonnes nuits » de Shawki Youssef

C’est un peintre qui a « le sens du fugace », un artiste à l’univers hypersingulier, qui présente ses œuvres nouvelles à la galerie Agial.

Shawki Youssef, « Sans titre », techniques mixtes sur carton (150x95 cm ; 2019).

Shawki Youssef n’est pas un « exposant » frénétique. Loin de là ! Voilà 8 ans qu’il ne s’était pas manifesté sur la scène locale, hormis de discrètes participations à des expositions collectives, ainsi qu’une performance chez Tanit. Et pourtant, ses œuvres sont immédiatement reconnaissables, identifiables entre mille par leur thématique singulièrement charnelle et tout aussi singulièrement… putride.

On se souvient notamment de la série picturale sur les corps qu’il avait présentée lors de sa précédente exposition solo beyrouthine en 2011 chez Agial. Il y représentait, de manière quasi répétitive et obsessionnelle, des sortes de carcasses humaines étalées sur des tables – de dissection ? – au centre de chaque toile comme pour mieux exposer aux regards des spectateurs l’horreur de leurs membres disloqués et le pourrissement de leurs chairs creuses et de leurs organes tuméfiés…

Ce sens de l’étrangeté et de la fugacité de l’existence matérielle a souvent valu à Shawki Youssef le rapprochement entre son univers et celui de Francis Bacon, de Lucian Freud ou d’Egon Schiele. Même violence sous-jacente, même expression de la peur, du désespoir et de l’angoisse, même dramatisation du quotidien…

Une présence-absence

Il revient cette fois, toujours chez Agial, avec un nouvel ensemble de toiles (techniques mixtes incluant huile, acrylique et poudre de fer) et d’œuvres sur papier (encre et pastel), traitant du même thème, mais dans une perspective renouvelée. Dans ce nouvel accrochage, curieusement intitulé 9 Mornings & 13 Good Nights (9 matins et 13 bonnes nuits), le corps reste l’élément central des peintures de Shawki Youssef. Il est toujours démembré, décapité, décharné et informe… Sauf que sa présence est nettement moins matérielle, beaucoup plus éthérée et évanescente, devenant même parfois invisible dans certaines toiles. Invisible au regard et pourtant terriblement perceptible, par ce souffle fiévreux qui enrobe la simple représentation d’une table sur un fond aux superpositions de tonalités souvent sombres et terreuses, parfois relevées de touches verdâtres.

Entre table et loup…

La table, symbole de convivialité, ainsi que le lit, espace de repos ou de jouissance, reviennent d’ailleurs de manière récurrente dans cette nouvelle cuvée de peintures. Sauf que ces objets du quotidien le plus banal dégagent, dans les toiles de cet artiste, une charge agressive insoupçonnée, voire même un érotisme macabre. Eux aussi disparaissent parfois « partiellement » de l’espace toile, pour jouer les objets indéterminés (ni vraiment une table ni vraiment un lit) et les éléments d’interférence entre intérieur et extérieur. Accompagnant ainsi les corps dans leur présence-absence, leur séparation de la nature et leur dissolution en son sein.

On serait tenté de dire qu’« il y a du loup » dans les peintures de Shawki Youssef ! Quelque chose d’angoissant, de sombre et de menaçant qui, au détour d’un coup d’œil, ou d’une vision plus rapprochée, vous saute à la figure. À l’instar de cette œuvre longitudinale qui, contemplée de loin, distille une image apaisante d’un paysage entre ciel et terre, et qui, au fur et à mesure que l’on s’en rapproche dévoile d’abord un langoureux nu féminin et, de plus près, une effroyable vision de la mort !

Le corps paysage

Pour Shawki Youssef, « le corps humain est un paysage vivant ». Un fragment mouvant de la nature. « Lorsqu’il s’en détache, il devient un simple objet, un élément terne. Lorsqu’il la retrouve, il recouvre sa vibration, quasiment sa spiritualité, au sens large du terme », dit-il. Une dualité que l’artiste, également professeur d’art à l’ALBA et l’AUB, traduit picturalement dans une permanente oscillation entre deux directions : d’une part, une expression intérieure, intuitive et émotionnelle, qui jaillit de manière spontanée à coups de pinceaux fougueux. Et, de l’autre, une tentative d’intellectualiser le propos et de structurer la composition au moyen de lignes géométriques au tracé fin. Une combinaison qui dégage, au final, une insolite mais puissante expressivité. De celle qui dérange et bouscule le regard, les émotions, le ressenti…

Et c’est dans ce même esprit d’ambiguïté qui secoue les poncifs que Shawki Youssef a choisi le titre de l’exposition : « 9 matins et 13 bonnes nuits ». Il y est question, explique-t-il, du nombre inversé de ses œuvres sur papier et sur toiles, mais aussi et surtout du rapport au temps. « Celui qu’on passe à peindre, celui qu’on passe à vivre, celui qu’on passe à exposer… »

Galerie Agial

Rue Abdel-Aziz, Hamra. « 9 Mornings & 13 Good Nights », jusqu’au 28 septembre.



Pour mémoire

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