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Idées - Point de vue

Le mensonge politique et constitutionnel de l’abolition du confessionnalisme

Hyam Mallat

Le communautarisme qui règle la vie constitutionnelle et institutionnelle libanaise est constamment visé par des revendications d’abolition de ce système issu historiquement et sociologiquement de l’évolution de la société à partir de 1516 et consacré, avec la création du Grand Liban le 1er septembre 1920, par la Constitution du 26 mai 1926 puis du pacte national en 1943.

Depuis la fin de la guerre civile et la signature l’accord de Taëf, qui prévoit un mécanisme de transition vers cette abolition, cette thématique revient ainsi constamment dans le débat public. Et ce, parfois de manière inattendue, comme lors de la polémique qui a opposé le mois dernier le président de la République et certains groupes parlementaires autour de la question de la représentativité communautaire au sein de la fonction publique. Or cette revendication abolitionniste nous semble pour le moins inconsidérée voir relever du mensonge au regard des spécificités d’un système qui a une triple origine : historique, sociologique et institutionnelle.

Triple origine

Historique d’abord car l’occupation humaine du sol au Mont-Liban, qui s’est faite progressivement selon les aléas du temps, a imposé l’exigence de prendre en compte au niveau de la gestion publique la représentativité des familles communautaires chrétienne, musulmane et druze. Certes d’autres régions directement intégrées au système des wilayets ottomanes ont connu également pareils regroupements communautaires. Mais la spécificité de ce phénomène multicommunautaire du Mont-Liban est d’avoir conduit à une signifiance politique qui, reconnue dès le XVIIe siècle, a été progressivement consacrée par des textes d’ordre institutionnel.

Sociologique ensuite car le communautarisme est tout simplement le fait que, durant des centaines d’années, des hommes et des femmes de communautés différentes se sont retrouvés sur ce sol pour tenter de vivre – et souvent de survivre – au milieu de conflits et d’intrigues – souvent sanglantes – dont témoigne bien l’histoire du Liban. Ces populations se sont constituées en sociétés originales avec leurs us et coutumes, leurs traditions de vivre, de prier, d’étudier et de travailler. Mais surtout de vivre côte à côte en dépit de leurs conflits au point de constituer véritablement les familles spirituelles de ce Liban qui s’est constitué en 1926 en une République libanaise. Ainsi, aucune décision ou firman d’un sultan ou d’un émir n’est venu instaurer arbitrairement et bureaucratiquement le confessionnalisme. Seules les évolutions historiques et sociologiques ont doté le Liban de cet antidote aux aventures à condition que les politiques régionales ou locales ne viennent en perturber l’exercice et la qualité.

Institutionnel enfin avec la consécration de l’État communautaire par les grandes puissances de l’époque dont l’Empire ottoman lui-même avec l’adoption du règlement de 1861 par la Conférence internationale de Beyrouth, véritable première mondiale sur le plan de la diplomatie et de la politique internationale. Les articles 2 et 6 de ce texte reconnaissaient le fait du communautarisme comme une donnée politique issue de la formation humaine du Mont-Liban. Rien d’artificiel dans ces dispositions mais une conformité de raison politique de nature à impliquer toutes les communautés dans la chose publique en une répartition équitable sans tenir compte d’un équilibre démographique. Les dispositions de l’article 2 ont ainsi été reprises dans la Constitution libanaise promulguée le 26 mai 1926, qui dans la formulation originelle de son article 95 disposait qu’à « titre transitoire et dans une intention de justice et de concorde, les communautés seront équitablement représentées dans les emplois publics et dans la composition du ministère sans que cela puisse cependant nuire au bien de l’État ».

Interprétations constitutionnelles

Cela dit, il est évident qu’il y a lieu de s’interroger sur la formation de la commission nationale de l’abolition du confessionnalisme politique prévue à l’article 95 amendé de la Constitution et de ses conséquences. Cette question constitue un débat où tous les Libanais se considèrent d’instinct comme parties prenantes. Et pourtant, il y a bien lieu de garder la tête froide et de bien distinguer le discours constitutionnel du discours politique.

Que dit la Constitution, c’est-à-dire le texte de droit positif, source et référence de tout débat juridique et politique dans une démocratie normale ? L’article 95 de la Constitution amendé par la loi constitutionnelle du 21 septembre 1990 a bel et bien disposé les modalités de cette suppression « suivant un plan par étapes », et ce sur trois plans. D’abord, la compétence de la formation de la commission nationale de l’abolition du confessionnalisme qui est du ressort du seul Parlement élu sur une base paritaire entre musulmans et chrétiens. Présidée par le président de la République, cette commission comprend le président de la Chambre des députés, le président du Conseil et des personnalités du monde politique, culturel et social. L’article 95 a déterminé ensuite dans son alinéa 2 les missions de cette commission, à savoir : « L’étude et la proposition des moyens assurant l’abolition du confessionnalisme ainsi que leur soumission à la Chambre des députés et au Conseil des ministres et la poursuite de l’exécution du plan intérimaire. »

Les derniers alinéas de ce même article ont enfin défini la phase transitoire précédant l’abolition, et si souvent citée, comme suit : « Au cours de la phase intérimaire : (a) Les communautés seront représentées de manière équitable dans la formation du gouvernement. (b) L’abolition de la base de la représentation confessionnelle et l’adoption de la spécialisation et de la compétence dans les postes publics, la magistrature, les institutions militaires, sécuritaires, les établissements publics et mixtes conformément aux exigences de l’entente nationale à l’exception des postes de première catégorie ou de ceux équivalents à la première catégorie lesquels resteront à égalité entre les chrétiens et les musulmans sans consécration de tout poste à toute communauté et en respectant les principes de la spécialisation et de la compétence. »

Ainsi le Parlement peut, à la majorité simple, former cette commission selon les dispositions établies. Est-ce à dire que le président de la République et le président du Conseil, arguant de toute raison, pourraient ne pas se joindre à ce comité ? La Constitution n’a prévu aucune disposition particulière à ce sujet. Ainsi toute décision inappropriée est de nature à susciter une crise constitutionnelle et politique dont par exemple la convocation des députés par le président de la Chambre pour la formation de cette commission – à condition bien sûr d’être assuré de la majorité parlementaire requise pour emporter le vote.

En outre, l’article 95 a utilisé deux termes différents – « transitoire » (dans sa formulation originelle comme dans le titre VI qui le précède) et « intérimaire » (dans l’alinéa 3 de sa version actuelle) – pour démarquer la mission de la commission nationale de celle de l’état actuel des choses. On pourrait en déduire que les résultats auxquels parviendraient la commission ne sont pas ceux nécessairement appliqués actuellement dans la phase « transitoire » précédant sa formation. Est-ce à dire que la répartition équitable des charges entre chrétiens et musulmans est une exigence constitutionnelle pour la commission nationale de l’abolition du confessionnalisme ? Cela reste sujet à interprétations. Et c’est pourquoi le discours constitutionnel qui devrait rester dans sa cohérence logique d’identification et d’application des dispositions constitutionnelles comme cela devrait l’être dans les systèmes démocratiques déborde instantanément – voire « instinctivement » – en un discours politique plein de dits et de non-dits.

Car le propre du discours politique libanais est de viser à se présenter comme une cohérence naturelle alors que l’arbre cache une forêt de sous-entendus et de méfiances. Certes tous les sujets d’ordre public n’ont pas la même sensibilité pour les citoyens. Mais celui du communautarisme est particulièrement grave car il concerne la solidarité dans toutes ses composantes – religieuse, politique, culturelle, économique et sociale. C’est dire qu’aborder l’abolition du confessionnalisme dans une perspective uniquement constitutionnelle suscite d’emblée une interprétation politique pour en identifier les voies. Et que cela pourrait déboucher rapidement en une aventure aux conséquences imprévisibles. Car au-delà de la tentative de dépasser la simple répartition confessionnelle des responsabilités publiques, il est possible d’arriver rapidement aux éléments constituants de cette société en s’attaquant à des ossatures historiques qui sont bien plus profondes et stables que les institutions politiques elles-mêmes. Ainsi, par exemple, la chute de l’État entre 1975 et 1990 n’a pas conduit à une chute de la société libanaise qui a su trouver dans ses racines les ressorts de la survie.

Cela ne revient pas à dire que cette société libanaise doit rester dans une situation de défense passive de ce qui peut être considéré comme privilège ou héritage dépassé. Travailler avec les hommes et pour les hommes reste incontestablement la plus noble et la plus ingrate des missions. Et l’intelligence libanaise – ou ce qu’il en reste – devrait considérer avec sérieux les alternatives permettant de faire progresser nos institutions. Et s’il faut débattre de l’abolition du confessionnalisme, n’oublions pas qu’il faudrait une autre grandeur politique que celle des temps actuels pour pouvoir transmuer l’histoire et le patrimoine en un simple événement politique du quotidien. Car, en période de crise ou de déclin, le propre des responsables politiques est de susciter des questions d’une haute gravité pour tenter d’occulter leur incapacité à répondre aux défis qui tourmentent actuellement le pays et la région.

Par Hyam G. MALLAT

Avocat à la Cour, ancien président du conseil d’administration de la Sécurité sociale puis des Archives nationales.

Le communautarisme qui règle la vie constitutionnelle et institutionnelle libanaise est constamment visé par des revendications d’abolition de ce système issu historiquement et sociologiquement de l’évolution de la société à partir de 1516 et consacré, avec la création du Grand Liban le 1er septembre 1920, par la Constitution du 26 mai 1926 puis du pacte national en 1943.Depuis la...

commentaires (2)

Effectivement, tout un chacun essai de se convaincre par le Aaysh Al Mouchtarak et tous savent que c'est impossible et les preuves sont infinies... Si l'on doit retourner au temps de la Suisse de l'orient la solution serait une fédération à la Suisse sinon ce sera l'immigration intensive de communautés entière chassées vers d'autres horizons. La vérité blesse c'est vrai.

Wlek Sanferlou

03 h 55, le 18 août 2019

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Commentaires (2)

  • Effectivement, tout un chacun essai de se convaincre par le Aaysh Al Mouchtarak et tous savent que c'est impossible et les preuves sont infinies... Si l'on doit retourner au temps de la Suisse de l'orient la solution serait une fédération à la Suisse sinon ce sera l'immigration intensive de communautés entière chassées vers d'autres horizons. La vérité blesse c'est vrai.

    Wlek Sanferlou

    03 h 55, le 18 août 2019

  • Superbe "mise a jour"/rappel des verites cachees, ou plutot simplement ignores(dans les 2 sens du mot ) j'opterais pour le titre meme de cet article :: ""Le mensonge politique et constitutionnel de l’abolition du confessionnalisme"" car mensonge etait, est et restera ad vitam aeternam , ne serait ce qu'en prenant pretexte de cette fichue constitution sciemment sujette a mille interpretations ou pas ! PIRE encore ET DE TOUTES MANIERES ,PERSONNE n'est dispose a l'appliquer meme au prix de l'existence du pays et des ses pauvres citoyens.

    Gaby SIOUFI

    13 h 02, le 17 août 2019

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