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Agenda - Hommage

Sélim Jahel ou la vision d’un État fort et moderne

Sélim Jahel n’aura donc pas eu le temps de voir l’État fort et moderne qu’il avait imaginé tout au long de sa vie.

La résistance libanaise a eu l’honneur d’avoir des grands comme Charles Malek, Fouad Frem Boustany et Sélim Jahel dans ses rangs. Oui, c’était un grand, car alors que le pays était détruit ou au bord de la faillite, il n’a jamais cessé d’avoir une vision et de penser à rebâtir le Liban, mais autrement.

Certains ont connu Sélim Jahel, le président de la cour d’appel de Beyrouth, d’autres Sélim Jahel le professeur de droit à l’Université Saint-Joseph ou à l’Université Panthéon-Assas à Paris. Certains l’ont connu à Deir el-Qamar ou à Beyrouth, et d’autres à Paris.

« Mon » Sélim Jahel est celui qui était connu sous le nom de code d’André Saint-Michel et qui avait été nommé ministre de l’Habitat et des Coopératives fin 1980 pour sceller l’alliance tacite entre le président de la République libanaise Élias Sarkis et Bachir Gemayel, le chef de la résistance libanaise, dont il était l’un des conseillers.

Sélim Jahel voulait transformer le Liban.

Pour cela, il avait prôné un coup de force de Bachir Gemayel pour prendre la tête du pays et non son élection par le Parlement comme président de la République. Il est très important de comprendre pourquoi il militait pour un coup de force plutôt que l’élection par ce Parlement élu dix ans plus tôt. Il expliquait cela en avançant deux raisons.

Premièrement, se soumettre à ce processus prévu par la Constitution obligerait, selon lui, Bachir Gemayel à composer et donc à se compromettre. Il voulait que Bachir Gemayel sorte le Liban et les Libanais de l’engrenage et non y entrer lui-même et avoir toutes les difficultés à en sortir. Bachir Gemayel a été tué avant de prendre ses fonctions.

Deuxièmement, seule la force, selon lui, peut libérer les Libanais de la pensée ottomane qui les opprime et qui empêche l’unification et le développement du Liban et l’édification d’un État fort et moderne. D’après lui, la démocratie associée à la pensée ottomane ne peut que conserver le féodalisme, l’anarchie, les allégeances étrangères et le système « ploutocratique » (c’est-à-dire un système dans lequel seuls les plus riches peuvent remporter les élections législatives) aux mains de la même « polyarchie » de factions politico-confessionnelles qui, par essence, n’est pas orientée vers l’action en faveur du développement économique du Liban et l’édification d’un État fort et moderne, mais vers le maintien des équilibres et de ses intérêts.

Sélim Jahel était grec-catholique, mais insistait pour que la présidence de la République reste un « gage » accordé aux maronites et expliquait que ce « gage » n’était pas « un privilège ». Dans son article intitulé « Bachir Gemayel et la prépotence de l’État », publié dans L’Orient-Le Jour du 23 août 1983, il écrivait : « La nuance est importante : un privilège comporte des avantages à son bénéficiaire aux dépens d’autres parties, un gage sert à assurer à son détenteur la sauvegarde de ses droits. Les prérogatives du président maronite doivent répondre de ce fondement. Ainsi, tout ce qui a trait à la défense du pays, son indépendance, l’intégrité de son territoire est de son ressort exclusif, ce qui n’est pas peu conforme à la lettre de la Constitution et à son esprit. Tout partage de prérogatives et de responsabilités en ce domaine précis ne peut être que néfaste, dès lors que risquent de peser sur la décision des considérations relatives aux liens communautaires avec les forces régionales (appelées précisément frères), à l’encontre desquelles la décision doit être prise. Le sang n’a pas encore séché ni la suie disparue du fait d’un exercice bicéphale du pouvoir en matière de défense. Là, l’obstruction d’un copartageant du pouvoir présidentiel a conduit au démantèlement de nos institutions nationales et plus particulièrement de l’armée. Un partage du pouvoir conduit tôt ou tard au partage du pays. » Cet article est une charge, avant l’heure, contre l’accord de Taëf qui a instauré la troïka présidentielle.

Pour lui, la présidence maronite s’inscrit dans le cadre stratégique d’une protection (fonctionnelle) des minorités en Orient et non dans le cadre du confessionnalisme politique qui privilégierait les maronites.

Sélim Jahel avait un ennemi : le statu quo. Il avait un pas d’avance sur tout le monde.

La suppression du confessionnalisme ? Il voulait enclencher un véritable processus de laïcisation avec la mise en place d’un pôle de statut personnel institué au ministère public. Celui-ci serait chargé de donner son avis sur tout litige soumis aux tribunaux confessionnels avec pouvoir d’exercer toute voie de recours contre leurs décisions.

La distanciation ou la neutralité ? Il voulait une garantie internationale (à l’instar de celui dont bénéficiait l’Autriche en 1982 et dont jouit le Turkménistan aujourd’hui) à un statut de neutralité pour le Liban.

Sélim Jahel aura été un « chab » toute sa vie, « jeune » et « combattant » à la fois. C’est pourquoi je ne peux terminer mon hommage qu’en disant un message combatif pour les jeunes en citant un discours en français de Bachir Gemayel qu’il lui avait rédigé et qu’il aimait citer : « Dans les moments de total dénuement, où livrés au bombardement sauvage de l’artillerie syrienne et palestinienne, sans armes, sans argent, sans amis, calomniés, vilipendés par les mass media et les chancelleries du monde entier, nous n’avons jamais, pas un seul instant, douté de l’issue finale. Nous nous sentions pris par le vertige du joueur qui mise sur la totalité de ce qui lui reste, avec la ferme conviction que cette fois il va gagner. Notre espoir ne tenait pas seulement au jeu du hasard, mais à celui de la nécessité. Comment imaginer le Moyen-Orient sans le Liban ? Pour les peuples persécutés de la région, le Liban, c’est le bout du tunnel, la lumière de la liberté. Arracher à ce monde-là cet ultime espoir est un péché contre l’esprit (…). État unitaire ou État fédéral, cela intéresse la superstructure, c’est-à-dire l’organisation de l’État. Notre action, celle pour laquelle cinq mille combattants ont donné leur vie, se situe à un autre niveau, elle se situe au niveau de la nation. Là, nous postulons l’unité, nous n’acceptons que l’unité, nous parions sur l’unité, et nos paris sont toujours gagnants. »

Adieu mon ami.

Dr Fouad ABOU NADER

Ancien chef des Forces libanaises


Sélim Jahel n’aura donc pas eu le temps de voir l’État fort et moderne qu’il avait imaginé tout au long de sa vie. La résistance libanaise a eu l’honneur d’avoir des grands comme Charles Malek, Fouad Frem Boustany et Sélim Jahel dans ses rangs. Oui, c’était un grand, car alors que le pays était détruit ou au bord de la faillite, il n’a jamais cessé d’avoir une...