Photo d’archives montrant un position militaire américaine près de la ville de Manbij, au nord de la Syrie. Delil Souleiman/AFP
On imagine les sourires de Recep Tayyip Erdogan, de Vladimir Poutine, de Bachar el-Assad et de l’ayatollah Khamenei en apprenant la nouvelle : Donald Trump a ordonné le retrait des forces américaines en Syrie. Le président américain, qui n’a pas fait d’annonce officielle, s’est contenté hier d’un tweet. « Nous avons vaincu l’EI en Syrie, ma seule raison d’être là-bas durant la présidence Trump », a-t-il écrit, pour justifier ce choix politique qui est loin de faire l’unanimité au sein de l’administration. L’évacuation des officiels américains devait se faire entre hier et aujourd’hui. Le retrait des quelque 2 000 soldats américains présents dans le nord et l’est de la Syrie devrait également être « total » et intervenir « aussi rapidement que possible », a confié à l’AFP un responsable américain sous le couvert de l’anonymat.
Les troupes américaines avaient pour première mission d’encadrer les forces kurdes des YPG (branche syrienne du PKK) pour reconquérir les territoires aux mains de l’État islamique. Plus largement, la présence américaine sur un tiers du territoire syrien avait vocation à endiguer l’influence iranienne en bloquant une partie du corridor iranien qui relie Téhéran à Beyrouth en passant par l’Irak et la Syrie, et à être utilisée comme un levier politique pour faire pression sur le régime syrien. La décision du président américain contredit toute cette stratégie pourtant largement détaillée depuis plusieurs mois, notamment par le biais du représentant américain spécial pour la Syrie, James Jeffrey.
« Nous ne partirons pas de Syrie tant que les troupes iraniennes seront en dehors de leurs frontières et cela inclut les supplétifs et les milices », avait pourtant affirmé John Bolton, conseiller à la sécurité nationale, le 24 septembre dernier. Le secrétaire d’État à la Défense, James Mattis, a pour sa part mis en garde à plusieurs reprises sur les risques d’un départ précipité du sol syrien. Le locataire du bureau Ovale semble avoir pris sa décision contre l’avis du clan des faucons anti-iranien, dont John Bolton est le fer de lance, mais aussi d’une grande partie de son administration, en premier lieu le Pentagone.
Deal américano-turc
Il est pour l’heure difficile de saisir toutes les motivations de Donald Trump, d’autant plus si on prend en compte le caractère imprévisible de sa politique. Plusieurs éléments permettent toutefois de mieux comprendre ce qui ressemble à un virage à 180 degrés. Le retrait des troupes américaines faisait partie des promesses de campagne du président américain, dont la base électorale est plutôt isolationniste. Donald Trump n’a jamais caché son manque d’intérêt pour le conflit syrien et souhaitait déjà engager le retrait des forces américaines au printemps dernier. C’est l’intervention de son administration, particulièrement de James Mattis, qui avait permis de trouver un compromis autour d’un objectif de retrait, sans pour autant fixer de calendrier. À l’instar de son prédécesseur Barack Obama, Donald Trump est convaincu de la nécessité de désengager les États-Unis du Moyen-Orient. Dans une interview accordée au Washington Post en novembre dernier, il affirmait que la présence américaine dans la région était principalement liée à Israël, minorant les autres aspects stratégiques de celle-ci. L’ancien magnat de l’immobilier semblait attendre avec impatience la fin de la reconquête du territoire aux mains de l’EI pour revendiquer la victoire et annoncer le départ des troupes américaines. La reprise en cours du dernier fief urbain de l’EI, la ville de Hajine, à la frontière syro-irakienne, doit conforter le président dans sa vision que la mission antiterroriste est désormais terminée. Les experts considèrent pourtant, de façon unanime, que la fin territoriale de l’EI ne signifie pas que le mouvement va disparaître mais qu’il va au contraire devenir plus souterrain en attendant un moment plus propice. L’influent sénateur républicain Lindsey Graham, proche de Donald
Trump, ne disait pas autre chose hier : « L’EI n’a été vaincu ni en Syrie, ni en Irak, ni en Afghanistan. Et retirer les forces américaines serait une erreur monumentale à la Obama. »
Si Donald Trump semblait dès le départ convaincu, Recep Tayyip Erdogan lui a peut-être fourni le prétexte qu’il attendait. La Turquie, également présente en Syrie, a menacé à plusieurs reprises d’intervenir militairement contre les YPG, qu’elle considère comme un groupe terroriste, dans les régions sous influence américaine. Le président turc a annoncé il y a quelques jours une offensive imminente, alors que les relations entre les deux membres de l’OTAN se sont largement détériorées ces dernières années, notamment à cause du soutien américain aux forces kurdes. Donald Trump aurait pris sa décision de retirer ses troupes de Syrie après avoir échangé au téléphone vendredi avec son homologue turc, selon une source officielle ayant souhaité gardé l’anonymat, citée par Reuters. L’entente américano-turque apparaît d’autant plus évidente que Washington a approuvé hier la vente de son système de missiles antimissiles Patriot à Ankara pour un montant global de 3,5 milliards de dollars. Contre l’avis des Américains, la Turquie avait pris la décision de se fournir auprès des Russes, avec l’achat du système antimissile S-400, ce qui avait ajouté de la tension dans la relation entre les deux alliés. Donald Trump semble vouloir profiter de l’occasion pour ramener Ankara dans le giron américain, en lui offrant les Kurdes syriens sur un plateau. Cette politique, qui devrait être vécue comme une « trahison » côté kurde, envoie un très mauvais signal aux alliés de l’Amérique de Donald Trump, celui d’une puissance qui ne respecte pas ses engagements et sur laquelle on ne peut pas compter.
(Lire aussi : Les Etats-Unis n'essaient pas de se "débarrasser d'Assad")
Renforcement de l’axe prorégime
La décision de Donald Trump devrait surtout avoir d’importantes conséquences sur le terrain. La nature ayant horreur du vide, plusieurs acteurs du conflit vont sans doute essayer de profiter du retrait américain. Les Turcs, tout d’abord, qui vont lancer leur offensive contre les Kurdes et qui pourraient être tentés d’accompagner les rebelles syriens jusqu’à
Raqqa, pour renforcer leur position dans le conflit. Cela fait peut-être partie du deal américano-turc, dont les Kurdes seraient les grands perdants. L’axe prorégime regarde l’Est syrien, à la frontière avec l’Irak et riche en ressources énergétiques, avec au moins autant d’appétit. Il pourrait également chercher à combler le vide américain, notamment en faisant un accord avec les Kurdes, au risque toutefois de compliquer sa relation avec Ankara, avec lequel Moscou et Téhéran coopèrent dans le cadre du processus d’Astana. Le ministère russe des Affaires étrangères a estimé hier que la décision américaine « ouvrait des perspectives en vue d’un règlement politique du conflit ». Si la décision du président américain n’est pas, a priori, annonciatrice d’un rapprochement avec le régime syrien, elle affaiblit clairement la position américaine dans le conflit et renforce directement celle des Russes.
Le retrait américain pourrait surtout avoir comme double conséquence d’affaiblir les Kurdes, qui ont pourtant largement participé à la bataille contre l’EI, et de renforcer l’axe prosyrien, notamment l’Iran, alors que l’administration Trump a fait de l’endiguement de l’influence iranienne son principal objectif dans la région. En cela, il ne fait pas les affaires des principaux alliés des Américains dans la région, Israël et l’Arabie saoudite. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a déclaré hier qu’il avait été informé à l’avance de cette décision dont il allait étudier les retombées. « Donald trump et Mike Pompeo (secrétaire d’État) ont clairement dit qu’ils avaient d’autres moyens d’exercer une influence sur la région », a dit Benjamin Netanyahu, avant d’ajouter que « de toute façon, nous saurons protéger la sécurité d’Israël et nous défendre ». Israël a mené des dizaines de frappes en Syrie pour empêcher l’établissement des forces iraniennes et le transfert d’armes au Hezbollah. Le retrait américain pourrait avoir comme conséquence de rendre Israël plus dépendant de Moscou, qui parraine le régime Assad, pour assurer sa sécurité contre l’Iran.
Leçon Obama
L’EI pourrait être l’autre grand gagnant du retrait américain. « Ces victoires sur l’État islamique en Syrie ne signalent pas la fin de la coalition mondiale ni de sa campagne. Nous avons commencé à ramener les troupes américaines à la maison alors que nous passons à la phase suivante de cette campagne », a précisé hier la porte-parole de la Maison-Blanche, Sarah Sanders, comme pour rassurer les alliés. Un membre de l’administration américaine ayant requis l’anonymat a confié à Reuters que tout le contingent américain sera rapatrié une fois les opérations contre l’EI achevées. Ce retrait, a-t-il ajouté, prendrait alors entre 60 et 100 jours.
Le désengagement des forces américaines pourrait constituer une opportunité pour le groupe jihadiste, tant sur le plan tactique que politique. Les fiefs perdus devraient être plus vulnérables et les tensions entre les différents acteurs qui convoitent ces terres pourraient faire le jeu de l’EI. Barack Obama, qui avait été élu sur la promesse de se désengager d’Irak, avait été obligé d’y envoyer à nouveau ses troupes une fois que le groupe jihadiste était rené de ses cendres. Donald Trump ne semble pas avoir retenu la leçon.
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FAKHOURI
17 h 25, le 20 décembre 2018