Qu’est-ce qu’être bipolaire ? De nombreuses célébrités disent en être atteintes. On pense que Van Gogh l’était et qu’Hemingway aussi. Tous deux possédaient une créativité exceptionnelle et ont connu une fin tragique. Aujourd’hui source de fascination autant que d’inquiétudes, ce trouble du comportement semble jouir d’une popularité paradoxale. Mais combien de gens sont vraiment bipolaires ? Y a-t-il des critères bien précis permettant de diagnostiquer cette maladie et de trouver des traitements adaptés ?
Les psychiatres présents samedi au Salon du livre ont tenté d’apporter des réponses au public au cours d’un débat intitulé « Sommes-nous tous bipolaires ? » organisé par l’Institut pour le développement, la recherche, la promotion et les soins appliqués (Idraac), une ONG libanaise dédiée à la santé mentale. La conférence reprend d’ailleurs le titre de l’ouvrage d’Élie Hantouche, psychiatre spécialiste des troubles bipolaires, qu’il a signé samedi au stand de la Librairie Antoine.
On comptait également parmi les intervenants Élie Karam, psychiatre et président d’Idraac, Aimée Nasr Karam, psychologue clinicienne, psychothérapeute et présidente de l’association libanaise de psychologie. Le débat était dirigé par Alexandre Najjar, écrivain et critique littéraire.
Le Dr Hantouche a lancé la discussion en évoquant la médiatisation à double tranchant de la bipolarité. Lorsqu’elles se mettent en avant comme étant bipolaires dans divers magazines, des célébrités ont selon lui le mérite de briser les stigmates de cette maladie. Cependant, elles frôlent en même temps une dérive, qui est de faire passer la bipolarité pour une sorte de mode. Or si elle peut conférer à un patient une créativité exceptionnelle, la maladie peut aussi se révéler destructrice et mener au suicide. C’est pourquoi la prise en charge du patient est déterminante.
Connu pour avoir contesté les outils de dépistage et les anciennes statistiques libanaises sur la bipolarité, Élie Karam a exposé les chiffres pour montrer que le nombre de bipolaires était en fait largement sous-estimé et les méthodes inadaptées. Un bon diagnostic doit s’appuyer, selon les deux psychiatres, sur une superposition des facteurs cliniques, épidémiologiques et statistiques. Les outils doivent ainsi être dans un réajustement permanent pour mieux identifier la maladie. Correctement diagnostiquée, la bipolarité peut alors constituer une bonne nouvelle pour le patient car elle lui explique ses troubles et lui donne des outils pour vivre avec. Élie Hantouche a ainsi convié Le mythe de Sisyphe, d’Albert Camus, pour montrer que prendre conscience de sa condition est, pour un patient bipolaire, ce qui lui permet d’être heureux en se connaissant mieux.
Aimée Nasr Karam a prolongé le débat en sensibilisant le public à l’importance de la psychoéducation. Il s’agit d’une éducation spécialisée permettant au patient de mieux se connaître afin de mieux choisir son environnement et de faire un meilleur usage de son tempérament. « L’intérêt du diagnostic, rappelle-t-elle alors, n’est pas de mettre une étiquette mais de trouver la solution adéquate. » Normaliser les comportements des patients dès le plus jeune âge, les orienter le plus tôt possible vers une meilleure maîtrise de soi et de leur environnement sont la clé permettant à une sensibilité exceptionnelle de devenir créative et non destructive.
Ch. M.