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Lifestyle - Disparition

Chant Avedissian a rejoint ses divas du Nil

L’artiste égypto-arménien mettait à l’honneur dans ses peintures – entrées dans les plus grands musées – les icônes de la culture populaire cairote des années 50.


Chant Avedissian, « Autoportrait ».

Chant Avedissian s’est éteint jeudi soir, au Caire, des suites d’une maladie contre laquelle il s’était battu durant trois ans. « C’était un artiste parmi les plus talentueux. Il était le plus travailleur, le plus dédié à son art et le plus amoureux de sa culture arabo-égyptienne », a réagi la galeriste et curatrice londonienne Rose Issa, qui était aussi sa grande amie.

« Chant était un homme qui parlait peu, mais sentait tout, confie-t-elle à L’OLJ. Il maîtrisait, pourtant, presque sept langues (arabe, français, anglais, chinois, japonais, arménien, et peut être même le turc…). Mais il était un ermite dans l’âme, qui n’aimait pas trop sortir, voir du monde, ni même des expositions ! À tout cela, il préférait la rue, les gens ordinaires, les artisans surtout, les musiques populaires, même si sa formation était classique. Il avait un sens de l’humour très particulier. C’était un grand voyageur et un merveilleux compagnon de voyage. Il m’a fait découvrir la Chine, Cuba, l’Ouzbékistan et d’autres lieux que je n’aurais pas découverts seule. Il aimait les bazars, les marchés, les lieux incongrus, simples et modestes… » ajoute celle qui a accompagné la carrière de l’artiste durant plus de 25 ans.


Mosaïque de cultures

Si Chant Avedissian était si sensible aux différentes cultures populaires, c’était sans doute parce que sa vie, elle-même, était une mosaïque de cultures. Né en 1951, en Égypte, de parents arméniens ayant fui le génocide turc, il avait grandi au Caire, imprégné d’un mélange de traditions chrétiennes de son pays d’origine et d’imagerie des vedettes de l’âge d’or égyptien. Au début des années soixante-dix, il part faire les Beaux-Arts à Montréal, avant de poursuivre sa formation par un passage de deux ans à Paris, à l’École nationale supérieure des arts décoratifs.

De retour au Caire, Avedissian commence par mettre son talent polyvalent (allant de la photographie à la peinture en passant par la gravure et le dessin pour textile) au service du grand architecte Hassan Fathi. Durant 15 ans, il travaille auprès de « l’architecte des pauvres » qu’il considère comme un maître à penser. S’occupant de ses archives, l’accompagnant dans ses voyages, lui photographiant des monuments historiques et lui prenant des esquisses des architectures islamiques… La relation qu’il entretient avec l’architecte égyptien, qui prônait l’utilisation des matériaux locaux, le mène ainsi à reconsidérer et à privilégier les traditions artisanales égyptiennes.

« Il répétait qu’il devait beaucoup à Hassan Fathi », affirme Rose Issa. Laquelle signale qu’à la mort de l’architecte, cet homme de fidélité et de générosité « avait pris à sa charge sa femme de ménage ainsi que ses chats ».


D’Oum Kalsoum à Dalida...

Pour ce natif du Caire, tous les chemins artistiques mènent à la célébration d’une culture populaire de l’Égypte moderne : spécifique, bigarrée, mélange de glamour et de révolution, de patrimoine et de politique… Et surtout dominée par le pouvoir de l’image.

Avec des œuvres, souvent réalisées en surimpression d’images sur fonds traités au pochoir, il développe au début des années 90 un thème de prédilection qui fera sa signature et son succès. À savoir, celui des icônes de la culture populaire cairote.

C’est à partir de là que l’art de Chant Avedissian commence à réellement prendre son essor à l’international. À Londres, Amsterdam, Los Angeles, Paris ou Bruxelles… Et à Beyrouth, à partir de 1992, lorsqu’il présente à la galerie 50 x 70 (de Nora Joumblatt et May Makarem) sa première exposition personnelle dans un pays arabe autre que l’Égypte.

Mélangeant allègrement dans ses mixed-médias les procédés « occidentaux » et les motifs et influences pharaoniques, ottomanes, géométriques islamiques et japonisantes, il élabore ainsi des tableaux hauts en couleur, représentant tout ce qui peut figurer au panthéon de l’Égypte des années cinquante et soixante. D’Oum Kalsoum, Leyla Mrad, Faten Hamama et Asmahan à Feyrouz, Sabah ou encore Dalida… Des légendaires Farid el-Atrache, Abdel Halim Hafez à Anouar el-Sadate et Gamal Abdel Nasser… Son iconographie restitue, tout à la fois, la nostalgie et l’énergie du Caire cosmopolite des années cinquante. Avec ses divas et vedettes, ses figures politiques marquantes, ainsi que les images de la propagande sociale véhiculées par les médias de l’ère nationaliste…


Lassitude et désenchantement

En 2006, il retourne exposer à Beyrouth, à la galerie Janine Rubeiz, ses Images du Caire, qui avaient également fait l’objet d’une publication (Chant Avedissian, Cairo Stencils, éditions Saqi). Il avait, alors, confié à L’Orient-Le Jour sa « lassitude ». « Tout devient politisé, même l’art », regrettait-il. Alors même que l’ensemble de son œuvre, par sa dénonciation sous-jacente de l’impact des médias sur les masses populaires, était en elle-même une sorte de manifeste politique.

Comme tous les grands sensibles, Chant Avedissian était révolté par l’état actuel du monde. Fatigué de toutes ces guerres traversées au cours de son existence, chagriné par l’injustice, le sexisme, la barbarie qui règnent sur toute la planète…

Il cherchait à y échapper par les voyages. Et par son art, évidemment, qu’il voudra de plus en plus épuré, privilégiant dans ses dernières compositions les motifs sans figures humaines. Des tableaux alliant les formes géométriques les plus pures aux inspirations textiles ottomanes, boukhara ou kilim, qu’il avait toujours prisées mais qui jusque-là lui servaient de fond de toile. Une façon de se délester du superflu pour aller à l’essentiel…


Des enchères record

Il restera cependant pour la postérité l’artiste qui a su, si subtilement, effacer les frontières entre le grand art et l’art populaire, entre la politique et la pop, l’éphémère et l’intemporel, l’Égypte et le reste du monde. Pour preuve : ses œuvres figurent en bonne place dans plusieurs musées et collections publiques : The British Museum, la Smithonian Institution à Washington, l’Institut du monde arabe à Paris, la Banque mondiale, pour ne citer qu’eux...

Et en 2013, ses Icônes du Nil, une très grande œuvre composée de 120 pièces réalisées en techniques mixtes sur carton (gouache, crayons de couleur, peinture à l’acrylique, or et argent), avaient enregistré 1 565 000 dollars (contre une estimation initiale de 1 million) et battu le record de la pièce la plus chère vendue d’un artiste arabe vivant, lors des enchères de Sotheby’s à Doha.

Chant Avedissian s’est éteint jeudi soir, au Caire, des suites d’une maladie contre laquelle il s’était battu durant trois ans. « C’était un artiste parmi les plus talentueux. Il était le plus travailleur, le plus dédié à son art et le plus amoureux de sa culture arabo-égyptienne », a réagi la galeriste et curatrice londonienne Rose Issa, qui était aussi sa grande...

commentaires (2)

La légende de la troisième photo est à rectifier. Il s'agit de Faten Hamama et non pas d'Oum Koulsoum p.

L'ARCHIPEL LIBANAIS

07 h 00, le 26 octobre 2018

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Commentaires (2)

  • La légende de la troisième photo est à rectifier. Il s'agit de Faten Hamama et non pas d'Oum Koulsoum p.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    07 h 00, le 26 octobre 2018

  • Dommage que l'on découvre un artiste d'un tel talent après sa mort ... (franchement c'est la première fois que j'entends parler de ce généreux artiste) Quelles œuvres magnifiques ... un style très particulier Paix à son âme et honneur à sa mémoire.

    Sarkis Serge Tateossian

    02 h 17, le 26 octobre 2018

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