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Culture - Exposition

Robert Messarra : la rétrospective d’un artiste qui a dompté la lumière

À la villa Audi, un bel et nécessaire hommage à cet artiste trop tôt disparu et qui s’est hissé au niveau des grands.

Robert Messarra, « Église à Santorini », 1990, huile sur toile.

Dans le macrocosme de l’art pictural libanais, il y a bien sûr les peintres du dimanche qui exposent leurs frustrations et leur talent avorté, ou ceux qui s’agrippent à un pinceau et à une palette croyant que quelques taches de couleur, un bout de bois calciné ou un morceau de jute émietté leur permettront d’extirper une émotion ou de franchir le seuil des musées. Mais, d’un autre côté, il y a heureusement les artistes qui font la fierté de leur pays, ces peintres qui depuis le XIXe siècle n’en finissent pas d’exalter la grandeur de leur talent et de susciter le bonheur d’un public reconnaissant. Ils trônent dans les musées ou les foires artistiques, ils dorment chez les collectionneurs ou dans les demeures de leur famille. Robert Messarra est parmi ceux qui ont accouché d’un labeur de toute une vie, qui ont passé des nuits les mains endolories et les ongles minés par une passion fulgurante, de ceux qui ont étudié, révisé, récité leurs classiques avant de prétendre s’en approcher ne serait-ce que d’un iota. Il a contemplé la vie, l’a décryptée pour la mettre en couleurs. Il a ingéré la beauté, en a traduit les sens, les a couchés lentement, longuement en étudiant chaque coup de couteau et chaque battement de ventricule, sur du canevas. Un canevas qui mérite enfin le nom de toile ou d’œuvre à contempler et devant laquelle on peut s’incliner, admiratif.


La verticalité est une perspective

Lumière et puissance de la vie sont les premiers mots qui viennent à l’esprit en arpentant l’exposition à la villa Audi, où les principales œuvres de Robert Messarra, des années soixante jusqu’à la date de sa disparition en 2012, sont regroupées en une rétrospective organisée par sa famille, en collaboration avec la galerie Aida Cherfan Fine Art. L’itinéraire artistique de Robert Messarra est présenté de façon à la fois thématique et chronologique (de la période libanaise 1960-1978 à celle de l’exil 1979-2012).

Né à Beyrouth en 1944, l’artiste a accompli ses études artistiques à l’Académie libanaise des beaux-arts. Suite à un événement tragique, la mort de sa mère, et à l’âge où un enfant est censé rire de tout, il est confronté à la souffrance et au déchirement, et ressent le besoin de les traduire. Une toile témoignant d’une douleur cosmique et d’une solidarité évidente verra le jour et la voie du jeune garçon est toute tracée. La guerre enverra l’artiste en exil où il finira ses jours, entouré de ses pinceaux et de ses souvenirs d’un pays qu’il n’aura de cesse d’évoquer.Ce même pays qui accueille aujourd’hui, à titre posthume, cette rétrospective montrant plus de quatre-vingts œuvres de l’artiste, et où le regard plonge simultanément dans un univers vibrant d’énergie et un monde irradiant d’une sérénité céleste.

Les tableaux de Robert Messarra s’offrent à la vue avec une audace de facture violemment expressive qui leur confère une existence pleinement contemporaine. Car Messarra a beau avoir fait ses débuts dans les années 60, il n’en reste pas moins un artiste d’une modernité redoutable. Ses œuvres racontent les mouvements et les tendances qui ont jalonné l’histoire de l’art mais en se les appropriant et en les intégrant à son propre regard. On y décèle tantôt une influence russe dans ses portraits à la façon Kokoschka, ces œuvres à la touche fragmentée et aux aplats aux teintes vivifiantes, comme Le modèle (2009) ou Le magicien au chapeau rouge (2009) ; et tantôt une influence des artistes fauves qui séparaient la couleur de sa référence à l’objet pour libérer la force expressive. Sans oublier l’influence du grand Van Gogh, notamment quand les lignes dansantes de Robert Messarra tourbillonnent et insufflent leur puissance dévastatrice, comme dans cette Tempête (1973).


Luminosité

La nature, pour l’artiste, est un réservoir infini et se dévoile soit nimbée d’une couleur monochrome, tel ces Camaïeux de verts pour des arbres résolument en fleurs, ou cette Montagne verte rattrapée par un ciel d’un bleu infini. La nature se révèle également de la superposition de deux ou trois teintes différentes pour sublimer le règne de la couleur. Quant à ses marines – La falaise de Santorini (non datée), Les barques oranges, Bretagne, 1998 – des compositions aux formes et aux horizons qui regorgent de grands coups de pinceau libre, elles invitent au voyage et à la contemplation méditative. Robert Messarra dépouille les paysages pour réinventer la lumière et noyer les motifs de la nature dans une troublante luminosité qui les immatérialise. Les couleurs flamboyantes sont déployées avec une fulgurante maîtrise. C’est un véritable déluge – d’orange, de bleu et de vert, et de taches en fureur – qui éclate de mille feux jusqu’à quasiment tacher le regard. Quant à la composition, les surfaces planes au bas de la toile voient se succéder des plans étagés qui allongent la perspective. Et le regard accomplit un chemin initiatique qui l’emmène des plaines de la Toscane aux jaillissements des bleus de la Méditerranée. Dessin et couleur ne font plus qu’un, ils sont intimement liés dans la matière même et destinés au même combat. L’œuvre prolifique de Robert Messarra réussit le pari de faire encore croire à la vie et à ce qu’elle recèle comme mystère de beautés occultées.


À la villa Audi

Rétrospective Robert Messarra

Jusqu’au 25 octobre 2018

En collaboration avec Aida Cherfan Fine Art

Dans le macrocosme de l’art pictural libanais, il y a bien sûr les peintres du dimanche qui exposent leurs frustrations et leur talent avorté, ou ceux qui s’agrippent à un pinceau et à une palette croyant que quelques taches de couleur, un bout de bois calciné ou un morceau de jute émietté leur permettront d’extirper une émotion ou de franchir le seuil des musées. Mais, d’un...

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