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Lifestyle - Pendant ce temps, ailleurs...

Kongthong, le village d’Inde où les noms deviennent ritournelles

« La composition de la mélodie vient du fond de mon cœur, elle dit ma joie et mon amour pour mon bébé », explique Pyndaplin Shabong, 31 ans et mère de trois enfants, sa dernière-née de deux ans et demi sur ses genoux. Biju Boro/AFP

Dans la jungle de Kongthong, une localité isolée du nord-est de l’Inde, de curieuses mélodies se détachent d’une symphonie de pépiements d’oiseaux et stridulations d’insectes : ce sont les chants des villageois qui s’interpellent en musique, une tradition inouïe.

Dans ce bourg perdu des collines luxuriantes de l’État reculé du Meghalaya, toute mère de ce clan de l’ethnie des khasis compose pour son nouveau-né une mélodie personnelle. Jusqu’à sa mort, celle-ci servira à ses pairs pour l’appeler. Son vrai prénom ne sera, lui, que rarement utilisé à l’oral dans la vie de tous les jours. En parcourant la rue principale de ce village de huttes de bois et de tôle ondulée, perché sur une ligne de crête au milieu de nulle part, on entend fuser de toutes parts des chansons à la sonorité proche de hululements ou de chants d’oiseaux : ici, une maman qui demande à son fils de rentrer, là, des enfants qui jouent, plus loin, des amis se hèlent. Chaque mélodie est unique et s’éteint avec son porteur. Dans cette tribu khasie, habitant cette région limitrophe du Bangladesh, ces airs sont une expression du lien maternel, censé ainsi s’incarner non en mots, mais en musique. « La composition de la mélodie vient du fond de mon cœur, elle dit ma joie et mon amour pour mon bébé », explique Pyndaplin Shabong, 31 ans et mère de trois enfants, sa dernière-née de deux ans et demi sur ses genoux.

Longtemps, Kongthong a vécu coupé du monde. Plusieurs heures de marche éreintante à travers une jungle épaisse étaient nécessaires pour atteindre les communes les plus proches. L’électricité n’est arrivée qu’en 2000, la route – une piste de terre cabossée – en 2013.

Le jour, les habitants disparaissent dans la profondeur de la forêt pour y couper de l’« herbe à balais », principale source de revenus du village. À l’exception de quelques enfants traînant autour de la place centrale, le bourg paraît désert. Pour s’appeler dans la nature, les villageois recourent à une version longue des musiques personnelles. Dans cet univers de grands espaces, où la vie pastorale se mène en harmonie avec une végétation grouillante, les bruits de la nature semblent avoir inspiré les mélodies nominatives qui en reproduisent certains sons. « Nous sommes entourés par une forêt dense, par des collines. Nous sommes au contact de la nature, de toutes les gracieuses créatures que Dieu a créées, décrit Rothell Khongsit, un leader communautaire. Les créatures ont leur propre identité, les oiseaux, tant d’animaux ont des façons de s’appeler les uns les autres. »

Une société matriarcale

Le nom dialectal de cette tradition, jingrwai lawbei, se traduit par « chanson de la première femme du clan », en référence à la mère originelle mythique des khasis. Les femmes occupent en effet une place centrale dans la société khasie, qui est matrilinéaire, une exception en Inde. Après le mariage, l’homme vient emménager chez son épouse et prend son patronyme ; la terre et les biens passent de mère en fille. « Nous considérons la mère comme la déesse de la famille. Une mère s’occupe des siens, de la nourriture, de l’héritage de nos ancêtres », indique Rothell Khongsit. Une description toutefois nuancée par l’anthropologue Tiplut Nongbri, qui note que les femmes khasies n’ont aucune responsabilité publique ni aucun pouvoir décisionnaire. « S’occuper des enfants, c’est la responsabilité des femmes. La gestion des affaires publiques et tout cela, c’est le domaine des hommes », pointe cette professeure à l’université Jamia Millia Islamia de New Delhi.

En l’absence d’archives et de recherches ethnographiques, les origines du jingrwai lawbei sont inconnues. Les responsables du village de Kongthong estiment que sa pratique est aussi ancienne que le hameau, qui existerait depuis quatre ou cinq siècles. À part Kongthong et ses 700 âmes, seules quelques localités alentour y recourent aussi. Les mélodies étant une expression d’amour, elles seront évitées dans certaines situations au quotidien. « Si mon fils a fait quelque chose de mal, que je suis en colère contre lui, qu’il a brisé mon cœur, alors je l’appellerai par son prénom », raconte Rothell Khongsit.

Alexandre MARCHAND/AFP

Dans la jungle de Kongthong, une localité isolée du nord-est de l’Inde, de curieuses mélodies se détachent d’une symphonie de pépiements d’oiseaux et stridulations d’insectes : ce sont les chants des villageois qui s’interpellent en musique, une tradition inouïe.Dans ce bourg perdu des collines luxuriantes de l’État reculé du Meghalaya, toute mère de ce clan de...

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