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Culture - Performance

Tourner autour du corps immobile de Nadim Choufi

Pour la première fois au Liban, ce jeune artiste de 23 ans fait le mort, mais son art est des plus vivants : bienvenue dans le monde des arts interactifs.

Dans cette salle de Haven for Artists, le corps de Nadim Choufi est immobile et le public tourne autour de lui en construisant une documentation imagée. Photo D.R.

Debout face à un rideau en papier qui dissimule une pièce nimbée d’une lumière blanche, une longue file attend religieusement. D’abord se déchausser, ensuite enfiler aux pieds des protections façon milieu hospitalier. Et l’on ne peut s’empêcher de se poser la question : que réserve donc cet espace où même le silence vous est imposé de facto ?

Cinq personnes à la fois peuvent pénétrer dans la salle où Nadim Choufi tient sa performance à Haven for Artists (Mar Mikhaël). Les autres devront attendre leur tour, pendant que l’imaginaire emporte chacun où bon lui semble. Une fois le seuil traversé, la réponse vient toute seule. Il s’agit là d’art corporel ou de body art, à la manière de Marina Abramovic, celui où l’artiste repousse les frontières du potentiel physique – du moins on le suppose. Plus tard, l’expérience de la petite chambre à la lumière blanche éclairera nos suppositions pour nous emmener plus loin, là où l’artiste a voulu justement aller. Celui-ci est attaché en position horizontale par des cordes qui lui retiennent ses chevilles, ses cuisses, ses avant-bras, ses épaules, ses poignets et sa tête. D’une certaine manière, il ressemble à un hamac sur lequel on n’a pas envie de s’étendre. Les yeux mi-clos, il force le respect. Toute la pièce, quatre murs et un sol, est habillée de papier blanc divisé en petits carrés grandeur photos prêts à recevoir celles que le public est invité à prendre et qui seront collées par la suite dans chaque petite case. Nadim Choufi fait le mort, mais son art est des plus vivants. Bienvenue dans le monde des arts interactifs.


Quand le public devient l’artiste
De parents libanais, Nadim Choufi est né et a grandi à Abou Dhabi. Il a poursuivi ses études en Californie à l’université UCLA où il a obtenu un master en ingénierie, avec une option en art et performance. « J’avais, depuis très jeune, l’âme d’un artiste, mais à 18 ans, je ne réalisais pas encore que l’on pouvait vivre de son art et en faire son métier », sourit-il. Son diplôme obtenu, il est engagé dans une galerie d’art à Dubaï où il fera ses premières armes artistiques. Il s’occupe d’archiver le travail de Hassan Sharif (1951-2016), un artiste émirati qui a vécu et travaillé à Dubaï.

« De ses performances très simples, raconte Choufi, comme Walking in a Desert ou Jumping, il ne restait qu’une documentation très limitée, et lorsque j’ai voulu m’approfondir dans la compréhension de son œuvre, un sentiment d’énorme frustration s’est emparé de moi. N’ayant pas vécu la performance, j’étais limité à ces quelques photos que l’artiste décédé en 2016 avait laissées derrière lui. » C’est alors que lui vient l’idée de se pencher sur cette problématique. Comment peut-on vibrer pour une performance sans l’avoir vécue ? Est-ce par le biais de la documentation qui en est faite ? Et peut-on par un simple film vidéo la revivre à l’identique ? C’est à partir de ces interrogations que IPhotos distance* est venue au monde pour établir l’équilibre entre la performance elle-même et le travail d’archives qui lui préserve sa mémoire.

Dans cette salle de Haven for Artists, le corps de Nadim Choufi est immobile et le public tourne autour de lui en construisant une documentation imagée. Deux heures durant, l’artiste se livre aux regards et à l’œil des appareils photo. La performance tire à sa fin et les murs au blanc immaculé au départ sont éclaboussés de mille photos aux mille visions.


Héritage
Nadim Choufi a voulu placer la performance et la documentation dans la même pièce pour voir l’effet sur le public et l’inviter à construire lui-même la documentation de sa performance et ainsi créer le rapport entre l’espace et la performance qui le reçoit. Mais aussi pour se poser la question suivante, sans prétendre avoir la réponse : combien est-il important de vivre une performance en live, et peut-on se contenter d’une audience numérique à travers les réseaux sociaux et les films vidéo ?

Choufi est soucieux du patrimoine artistique et de ce qui reste une fois le rideau tombé, les toiles rangées ou l’artiste disparu, soucieux de cet héritage qu’il incombe à chacun de transmettre aux générations futures pour que l’art de la performance perdure et continue à nous interpeller. S’il n’était pas resté des traces de ses grands artistes pour nous rappeler leur passage, le public aurait-il pu mesurer leur véritable valeur ?

Pour Nadim Choufi, la question ne se pose même pas. Le travail d’archiver les œuvres leur permet de transcender le passage du temps et de continuer à être.


Haven for Artists

Rue d’Arménie, Mar Mikhaël

Tél. 961/1-571 297

Jusqu’au lundi 17 septembre.


Debout face à un rideau en papier qui dissimule une pièce nimbée d’une lumière blanche, une longue file attend religieusement. D’abord se déchausser, ensuite enfiler aux pieds des protections façon milieu hospitalier. Et l’on ne peut s’empêcher de se poser la question : que réserve donc cet espace où même le silence vous est imposé de facto ?Cinq personnes à la fois...

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