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Idées - Commentaire

Bombardement français en Syrie : un premier bilan

Le président de la République française Emmanuel Macron à la base navale de Toulon le 19 janvier 2018. Anne-Christine POUJOULAT / AFP.


  S’engager dans un acte de guerre est toujours, pour un chef d’État, une décision grave. Emmanuel Macron n’a sûrement pas décidé à la légère de faire participer la France à une opération punitive, principalement américaine, de bombardement de la Syrie, aux toutes premières heures du  14 avril. Nous n’avons aucune raison de douter de la sincérité du président français lorsqu’il affirme détenir des preuves irréfutables que le régime de Bachar el-Assad a fait, le 7 avril, usage d’armes chimiques, dans son opération de reconquête de Douma.

La décision de l’Élysée a dû être d’autant plus réfléchie qu’en mars 2003, le président  Chirac avait refusé d’associer la France à une opération militaire américaine, beaucoup plus vaste (car visant un changement de régime), contre une autre dictature moyen-orientale, l’Irak, accusé (faussement) de fabriquer clandestinement des armes chimiques et bactériologiques interdites par les Conventions internationales. Le chef de l’État a donc certainement longuement mûri les conséquences à court, moyen et long terme de son action de guerre, qu’il a voulu circonscrite à la seule capacité syrienne alléguée de production d’armes chimiques. Le chef de l’État a donc certainement longuement mûri les conséquences à court, moyen et long terme de son action de guerre, qu’il a voulu circonscrite à la seule capacité syrienne alléguée de production d’armes chimiques.

Avantages

 La participation française à l’opération militaire américaine présente plusieurs avantages :

•    La France montre qu’elle poursuit sa politique constante de bannissement des armes chimiques. Son opération vise à dissuader la Syrie d’en utiliser (conformément au protocole de 1925 dont Paris est dépositaire) ; et d’en produire, et d’en stocker, conformément à la Convention internationale de 1993, dont la Syrie est signataire.
•    Les puissances non nucléaires vont sans doute désormais réfléchir à deux fois avant de se lancer dans la production, le stockage ou l’usage des armes chimiques.
•    Si  des stocks d’armes chimiques ont effectivement été détruits durant le raid, c’est autant qui ne risquera jamais de tomber aux mains des djihadistes internationalistes infiltrés en Syrie.
•    Le président français montre qu’il tient parole. Lors de la rencontre Macron-Poutine du 29 mai 2017 à Versailles, la France et la Russie s’étaient engagées publiquement à frapper le premier qui utiliserait des gaz chimiques dans le conflit syrien. Il est à noter que le Pentagone a plusieurs fois publiquement accusé les groupes islamistes d’avoir eu recours aux armes chimiques par le passé. Le problème est que les Russes considèrent qu’il n’existe aucune preuve qu’Assad ait fait usage d’armes chimiques, et qu’il n’avait en outre pas le moindre intérêt à agiter un tel chiffon rouge devant les Américains, qui avaient déjà exercé des frappes punitives contre la base de l’armée de l’air syrienne d’Homs en avril 2017.
•    En termes stratégiques, l’Élysée se réjouit d’avoir réussi à avoir ramené les États-Unis sur le dossier syrien. Le 3 avril,  Trump s’était félicité de la quasi disparition de Daech en Syrie et avait fait part de son souhait de « ramener les troupes à la maison ». Or la France estime de son intérêt que demeurent au Rojava (bande nord du territoire syrien contrôlé par les forces autonomistes kurdes des YPG)  les 2000 hommes des Forces spéciales américaines. La présence américaine joue comme un élément dissuasif, empêchant l’armée turque  de songer à traverser l’Euphrate d’ouest en est. Les Occidentaux ont été félicités publiquement par Ankara, qui s’éloigne ainsi de ses partenaires d’Astana. Mais la France devrait se méfier des caresses d’Erdogan : elles peuvent à tout moment se transformer en chantages, voire en gifles.
•    Stratégiquement, de manière générale, il peut être très utile de montrer sa capacité à utiliser la force, ne serait-ce que pour être respecté dans d’éventuelles futures négociations, avec la Russie notamment.


 Risques

 Face à ces avantages, de nombreux risques demeurent, de nombreuses questions subsistent :
 •    Pourquoi n’avoir pas attendu une semaine avant de frapper, afin de disposer du rapport des experts neutres de l’OIAC (Organisation pour l’interdiction des armes chimiques de La Haye) ? Arrivés à Damas le 14 avril, ils ont commencé leur enquête de terrain à Douma le lendemain. Ici réside le principal risque – dont la probabilité d'occurrence est, certes,  très faible – pris par Emmanuel Macron : si l’opinion publique obtenait un jour des preuves que l’attaque chimique de Douma était en fait  imputable aux rebelles, la position du président français deviendrait très difficile. En 2003, le premier ministre britannique  Tony Blair,  avait prétendu, devant la Chambre des Communes, que Londres était à la merci d’une attaque de missiles chimiques irakiens, qui ne laisserait à la capitale britannique que « 45 minutes » pour se protéger. Ce qui était fallacieux, comme l’a montré plus tard le rapport Chilcot.
•    En s’alignant sur la position de Donald Trump, la France n’a-t-elle pas fait le jeu d’une opération de diversion intérieure du président américain, actuellement harcelé par le FBI ?
•    Adoptée à l’unanimité le 27 septembre 2013, la résolution 2118 du Conseil de sécurité de l’Onu exige très clairement le désarment chimique complet de la Syrie. Les Occidentaux estiment qu’ils n’ont donc fait que l’appliquer. Mais la Charte de l’Onu exige clairement un vote préalable du Conseil avant tout usage de la force. Si, un jour, la Russie employait à nouveau la force contre l’un de ses voisins sans passer par un vote préalable du Conseil, il sera plus difficile de la rappeler à l’ordre au nom du droit international.
•    Emmanuel Macron se rend à Washington du 23 au 25 avril 2018. Sa participation aux frappes américaines lui permettra-t-il d’obtenir des concessions de Donald Trump ? Parviendra-t-il à convaincre le président américain de ne pas déchirer l’accord nucléaire du 14 juillet 2015 avec l’Iran, négocié et signé par son prédécesseur Barack Obama ? De ne pas transférer son ambassade en Israël à Jérusalem, avant qu’une solution durable ne soit trouvée au conflit israélo-arabe et qu’un État viable ne soit donné aux Palestiniens ? Si Macron n’y parvient pas, n’aura-t-il pas été inutile pour la France de s’être alignée au Levant sur une grande puissance dont elle ne partage pas la politique moyen-orientale ?
•    Emmanuel Macron doit se rendre en Russie au mois de mai 2018. Les Russes le considéreront-t-ils toujours comme un intermédiaire indépendant, crédible et efficace ?
•    La France a un ennemi principal. Ses frappes sur la Syrie baasiste contribueront-elles à son combat à mort contre l’islamisme, ou profiteront-elles à ses ennemis djihadistes ? En février 2013, dans le massif des Ifoghas (nord du Mali), les forces françaises firent prisonnier un djihadiste tunisien. Elles lui demandèrent : « Pourquoi nous fais-tu la guerre ? »  Sa réponse étonna les officiers du renseignement militaire français : « En fait, je m’étais engagé pour aller faire la guerre contre Assad en Syrie. Ce sont mes chefs qui, pour des contraintes de logistique, m’ont envoyé ici ! ».
•    Cette opération militaire va-t-elle vraiment améliorer, à moyen et long terme, la situation des populations civiles syriennes ? N’est-ce pas qu’une demi-mesure ? Un coup pour nourrir l’Ogre médiatique ?

Il est bien sûr trop tôt pour conclure définitivement ce bilan coûts-avantages. Mais il faut reconnaître que la coalition occidentale a réussi à éviter tout engrenage.  Le président Macron s’était entretenu le 13 avril 2018 avec le président Poutine au téléphone, de manière à éviter tout incident. La France se présente aujourd’hui comme la stricte défenderesse d’une réglementation internationale d’interdiction des armes chimiques. Il est difficile de la prendre en défaut sur ce point.


Ce texte est une version raccourcie, en accord avec l'auteur, d'une tribune publiée le 16 avril dans Le Figaro.

Renaud Girard est chroniqueur international au quotidien Le Figaro et professeur de stratégie à Sciences Po Paris. Dernier ouvrage :  « Quelle diplomatie pour la France ? Prendre les réalités telles qu’elles sont  » (Cerf, 2017).


  S’engager dans un acte de guerre est toujours, pour un chef d’État, une décision grave. Emmanuel Macron n’a sûrement pas décidé à la légère de faire participer la France à une opération punitive, principalement américaine, de bombardement de la Syrie, aux toutes premières heures du  14 avril. Nous n’avons aucune raison de douter de la sincérité du président...

commentaires (1)

Pour macron cela n'a nullement été une décision difficile à prendre , il s'est exécuté comme ses maîtres anglo-saxons lui ont ordonné de faire . C'est quoi la France d'aujourd'hui ? Un état liliputien dans lequel sarko l'a enfermé.

FRIK-A-FRAK

13 h 34, le 20 avril 2018

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Commentaires (1)

  • Pour macron cela n'a nullement été une décision difficile à prendre , il s'est exécuté comme ses maîtres anglo-saxons lui ont ordonné de faire . C'est quoi la France d'aujourd'hui ? Un état liliputien dans lequel sarko l'a enfermé.

    FRIK-A-FRAK

    13 h 34, le 20 avril 2018

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