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Agenda - Hommage

Samir Frangié, un peu plus qu’une rencontre

J’ai rencontré Samir Frangié en personne pour la première fois à la veille des législatives de 2009. Michel Hajji Georgiou nous avait présentés au siège du 14 Mars à Achrafieh. J’étais suffisamment intimidée. Lui me posait des questions pour me connaître et moi je l’écoutais attentivement. J’étais par ailleurs impressionnée par les 10 ou 12 photos des martyrs politiques du 14 Mars, imprimées en grand et alignées les unes à côté des autres de part et d’autre de la salle de réunion. J’avais vécu leurs morts, mais voir leurs photos ainsi alignées rendait le poids de leurs assassinats encore plus visible. Je pensais au gâchis de leur disparition et à la nécessité de la bataille électorale : le clan qui avait remercié le régime syrien et rendu hommage, dans la rue, à ses troupes sortantes pour 40 années d’occupation du Liban, synonymes pour moi d’assassinats politiques, d’assassinat de la souveraineté et de tentatives de sape des assises identitaires et culturelles libanaises, ne pouvait tout simplement pas gagner les législatives.
La photo du rassemblement du 14 mars 2005 était là aussi, étalée en grand sur le mur. Mon vote dans les urnes était déjà joué. J’avais quitté le siège du 14 Mars ce jour-là en gardant le souvenir d’un homme bon et très cultivé.
En octobre 2011, j’assistais à la table ronde autour du livre de Samir Frangié, Voyage au bout de la violence, au Salon du livre francophone de Beyrouth. À la signature de la dédicace, quand mon tour est arrivé dans la file, je me suis approchée de lui, je l’ai salué et je lui ai donné mon nom : Zeina Zerbé. Il s’est arrêté alors et m’a regardée. J’ai donc répété mon nom plus lentement, croyant qu’il ne l’avait pas bien saisi. Il me dit alors : « Pourquoi tu n’écris plus ? » À mon regard interrogateur, il poursuivit : « Je ne te lis plus dans L’Orient. »
Je n’en revenais pas. J’étais très touchée qu’il se souvienne d’une brève rencontre qui avait eu lieu deux ans plus tôt et qu’il ait lu les quelques articles que j’écrivais par intermittence et que L’Orient-Le Jour publiait dans le courrier des lecteurs. La dédicace – « À Zeina Zerbé, amicalement » – ne rendait certainement pas compte de l’intensité touchante de ce moment pour moi et de la reconnaissance que Samir Frangié m’avait apportée.
En 2014, je l’avais croisé par hasard au café Najjar. J’avais effectué alors une recherche qui mettait en exergue les raisons psychosociales et politiques qui avaient poussé les fedayin palestiniens d’une part et les Kataëb de l’autre à porter les armes et à faire la guerre ainsi qu’une analyse sur les conséquences actuelles du destin de ce conflit à l’échelle psychosociale.
Cette recherche dormait dans mon ordinateur depuis 2013. Je ne savais pas quoi en faire, si je devais la publier dans un journal ou en faire un livre comme me l’avait suggéré un ami commun à nous, le père Richard Abi Saleh.
Je lui avais alors dit : « J’ai besoin de votre avis sur un papier que j’ai écrit… » Il m’a accueillie favorablement. Il l’a lu et m’a dit : « Zeina, tu ne dois pas t’arrêter là. Il faut définitivement aller plus loin et en faire un livre. »
Il m’a confié une clef USB avec plein d’articles liés à mon sujet de recherches, m’a donné les coordonnées de personnes à rencontrer et m’a accordé plusieurs entretiens. Tous les quelque temps, il me demandait où j’en étais.
La dernière fois que j’ai vu Samir Frangié, c’était en novembre 2016, aussi au Salon du livre au BIEL. L’Orient-Le Jour lui rendait hommage.
Aujourd’hui, 9 ans après notre rencontre de 2009, je me retrouve sur le terrain rocailleux, tortueux, douloureux et passionnant de la recherche sur la guerre du Liban. Ce qui me manque le plus, c’est la discussion avec lui, son éclairage, pouvoir échanger avec lui mes idées puis les revisiter ; son humilité enfin, qui me faisait sentir que lui aussi apprenait.
Mon chemin vers la recherche pour comprendre la guerre du Liban, la penser et mieux l’apprivoiser avait rencontré un jour son intifada de la paix et son credo du vivre-ensemble. Ces deux graines poussent désormais en moi tout doucement. Si parfois elles fleurissent, se fanent ou plient au gré des saisons de l’actualité politique libanaise, elles demeurent pourtant bien implantées.
Pour avoir été qui il fut, je le remercie.


J’ai rencontré Samir Frangié en personne pour la première fois à la veille des législatives de 2009. Michel Hajji Georgiou nous avait présentés au siège du 14 Mars à Achrafieh. J’étais suffisamment intimidée. Lui me posait des questions pour me connaître et moi je l’écoutais attentivement. J’étais par ailleurs impressionnée par les 10 ou 12 photos des martyrs politiques du...