« Est-il permis que l’on meurt encore de la rage au XXIe siècle ? » s’est indigné hier Boutros Harb, député de Batroun, probablement en écho à de nombreux Libanais qui, abasourdis, ont suivi sur les chaînes télévisées une partie des funérailles d’Élie Nafaa, un jeune de 21 ans habitant de Chekka, mort samedi dernier, un mois après avoir été mordu, le 8 janvier, par un chien non vacciné contre la rage.
Ce jour-là, alors qu’il rentrait à son domicile, M. Nafaa est surpris par le chien d’un voisin qui l’attaque et le mord au visage et à la main, sans qu’il ait le temps de se défendre. Transporté à l’hôpital de Batroun, il y reçoit les premiers soins, avant qu’il lui soit demandé de se rendre à l’hôpital gouvernemental de Tripoli pour se faire vacciner contre la rage et recevoir une dose d’immunoglobulines (anticorps).
Or une semaine plus tard, les symptômes de la maladie se manifestent, puis vont en s’aggravant. Les proches du jeune homme décident de le transporter à l’hôpital Jeïtaoui, à Beyrouth, où il est traité durant quinze jours environ. Mais tombé dans le coma, il ne tarde pas à succomber.
Des questions se posent face à ce drame. Pourquoi Élie Nafaa est mort de la rage alors qu’il est censé avoir reçu les deux produits médicaux propres à le protéger après son exposition ? Les lui a-t-on vraiment administrés ? Questionné par la MTV, un de ses proches a souligné qu’Élie n’a reçu qu’une seule vaccination. Ses dires ont été confirmés par le Dr Akita Berry, responsable de la médecine de prévention à l’hôpital gouvernemental de Tripoli, qui a indiqué à la MTV que l’équipe médicale s’est basée sur les allégations du propriétaire du chien, selon lesquelles l’animal était vacciné contre la rage. Âgé d’une vingtaine d’années, le propriétaire, de la famille Milane, faisait partie de ceux qui ont accompagné Élie à l’hôpital pour y être soigné. Ses propos, probablement dus à la peur, auraient induit en erreur les médecins, qui auraient alors administré un protocole utilisé pour les seuls cas où l’animal qui a mordu est vacciné. Selon un notable de la ville, interrogé par L’Orient-Le Jour, il ne semble pas que la famille veuille porter plainte contre le jeune propriétaire, par ailleurs ami de la victime.
Trois produits
Le directeur général du ministère de la Santé, Walid Ammar, contacté par L’OLJ, affirme qu’ « un chien domestique est supposé être vacciné et ne devrait donc pas être enragé ». Il souligne en conséquence qu’ « il n’est pas nécessaire d’administrer un vaccin à la personne mordue par un tel chien ». « Les membres de l’équipe médicale de l’hôpital gouvernemental de Tripoli ont toutefois voulu s’assurer davantage auprès du propriétaire du chien, et se basant sur ses affirmations, ils n’ont pas injecté à la victime des immunoglobulines, se contentant de lui prodiguer le vaccin contre la rage », note M. Ammar, avant d’enchaîner : « Or lorsqu’un chien non vacciné attaque, il convient d’administrer à la victime trois produits, à savoir le vaccin antirabique, les immunoglobulines et le vaccin antitétanique. »
Il ajoute au passage que « le vaccin antitétanique doit être dispensé quand bien même le chien n’est pas enragé ».
Le responsable souligne par ailleurs que le ministère de la Santé n’a été alerté du cas d’Élie Nafaa que sur le tard, affirmant qu’au moment où il en a été informé, le jeune homme avait déjà perdu conscience. Selon M. Ammar, si dans un délai de 48 heures après l’accident un prélèvement sur le corps du chien avait été effectué, ou si on avait eu la possibilité d’observer chez l’animal des symptômes de la maladie, la victime aurait probablement pu être sauvée. Or, affirme-t-il, le chien a été tué, ce qui a rendu impossible toute prévention. Un habitant de Chekka souligne à ce propos à L’OLJ que l’animal a été abattu par son propriétaire, lequel l’aurait ensuite jeté dans une poubelle publique.
Quelles sont en définitive les précautions à prendre face à une morsure de chien ? Consulté par L’OLJ, un membre de l’ordre des médecins, Marwan Zoghbi, préconise de ne pas tuer l’animal, afin de le surveiller étroitement, notamment les deux premiers jours après l’accident, et pendant près de deux semaines, afin de déceler chez lui de possibles signes pathologiques, telles une hypersalivation ou de l’agressivité. Le cas échéant, il faut se rendre chez le vétérinaire, qui posera son diagnostic, sachant, dit le praticien, que même un chien domestique vacciné peut être enragé, puisqu’aucun vaccin n’est efficace à 100 %. Le praticien recommande aussi de se diriger vers l’hôpital gouvernemental Rafic Hariri, ou à un autre hôpital public, pour se faire inoculer un vaccin antirabique et des immunoglobulines. Il précise que ce dernier produit « est composé d’anticorps assurant une protection immédiate contre l’apparition de la rage, le temps que le vaccin contre ce virus produise lui aussi des anticorps ».
Il faut savoir également que ces produits médicaux ne sont pas disponibles en pharmacie et se trouvent dans une quinzaine de centres dans les hôpitaux publics. Pour en connaître la liste, il faut consulter le site officiel du ministère de la Santé, moph.gov.lb.
Castrer les chiens errants
Le Dr Zoghbi estime toutefois qu’il ne faut pas céder à la panique, le Liban n’étant pas un pays endémique. Pourtant, les habitants de Chekka, où déambulent de nombreux chiens errants, appréhendent de nouveaux accidents mortels. C’est ce qu’affirme à L’OLJ Challita Azar, moukhtar de la localité. « En vue d’éviter la répétition d’un tel drame, nous avons décidé, avec les membres du conseil municipal et des responsables des ministères de la Santé et de l’Agriculture, de rassembler tous les chiens errants de la ville dans un champ clos pour les castrer afin qu’ils ne se reproduisent plus. » « Mais nous les relâcherons ensuite à nouveau », se hâte-t-il de préciser, comme s’il s’adressait aux défenseurs de la race canine.
Pour mémoire
commentaires (6)
On abbat pas un chien comme ça par son propriétaire et on le jete dans une poubelle, le chien doit être incinéré car comme il est malade il propage la maladie partout. On dirait le tiers monde, malheureusement .
Eleni Caridopoulou
13 h 07, le 13 février 2018