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Culture - Exposition

Francis Alÿs au pays des ritournelles

L’artiste belge dont les œuvres sont imprégnées par l’errance et le lien entre l’effort et le résultat continue de faire joyeusement tourner en rond dans « Knots’n Dust » qu’il a cousue sur mesure avec Marie Muracciole pour le Beirut Art Center.

Installation des croquis qui constituent l’animation « Exodus 3:14 ».

Lorsqu’on le rencontre à la veille de l’ouverture de son exposition au Beirut Art Center, debout dans la poussière des choses qui s’accrochent et qu’il supervise d’un silence affûté telle une dague, ce sont d’abord ses bras et ses jambes qui cambriolent l’attention. Interminables, on parierait volontiers qu’ils recèlent des ailes tant ils semblent avoir prédestiné leur propriétaire à son goût prononcé pour le voyage. Si Francis Alÿs a fait de l’errance la pierre angulaire de son œuvre, documentant ses propres mouvements – avec Green Line où, pot de peinture verte (58 litres) percé dans une main, caméra à sa suite, il s’improvisait Petit Poucet autour de Jérusalem – ou ceux des autres – des enfants qu’il a filmés alors qu’ils charrient et suivent une bobine de film dans les ruelles de Kaboul sur Reel/Unreel –, ceux-ci sont souvent promis à « une course impossible après une chimère », dit-il. D’ailleurs, pas étonnant que le geste sans doute le plus saisissant de son œuvre, quand il poussait dans les rues de Mexico en 1997 un bloc de glace, logiquement voué à fondre, ait été baptisé Something Making Something Leads to Nothing.


Une exposition pour Beyrouth

Seulement le voyage d’Alÿs à Beyrouth en 2015 aura mené à quelque chose, ne serait-ce que le déclenchement de Knots’n Dust qu’accueille le Beirut Art Center jusqu’au 8 avril. Évoquant cette visite, Marie Muracciole, directrice du BAC et curatrice de l’exposition, raconte : « Francis était à Beyrouth et, comme le hasard fait bien les choses, c’était au moment de la tempête de sable provenant de Syrie qui avait ravagé Beyrouth. Intéressé par ce genre de phénomènes naturels, surtout leur origine dans ce cas précis, il s’est baladé dans la ville et y a pris des photos des voitures recouvertes de poussière où il a gravé des phrases réflexives et ludiques telle “Sometimes losing is winning/Sometimes winning is losing”. On présente aujourd’hui ces images sous forme de cartes postales. » Et de poursuivre : « Bien que Francis se soit penché sur les zones de conflits, entre autres le Moyen-Orient, cette exposition n’est pas un commentaire sur la situation politique du Liban, mais plutôt l’allégorie de sa situation au cœur d’une tornade. » De fil en aiguille, dans le flot des conversations entre Alÿs et Muracciole, un premier rapport mystérieux se tisse organiquement entre la tempête de sable libanaise illustrée par l’artiste belge et ses essais filmés entre 2000 et 2010 intitulés Tornado, Milpa Alta, à travers lesquels il se pliait à un jeu échevelé, aussi palpitant que périlleux, en se jetant à répétition au cœur d’une tornade.


Quelque chose de Sisyphe

« Par la suite, comme il était question de connecter les œuvres à présenter, j’ai fait le lien entre la poussière et les nœuds qui peuplent le travail de Francis, à partir d’un de ses croquis où la chevelure d’une femme est torsadée à la manière d’une tornade », éclaircit la curatrice française. Par-delà tous les « dusts » et « knots » – moins anodins qu’ils n’y paraissent – qui scandent l’exposition beyrouthine de Francis Alÿs, l’artiste multiplie les types de support, filmés, dessinés ou peints, afin de « marquer les différents angles de perception d’un même objet, et de souligner la différence entre l’effort fourni et le résultat d’une action. Marquer le temps qui passe en fait », confie-t-il. Par exemple, à l’image d’une comptine enfantine, répétitive jusqu’à tomber dans l’obsession, Exodus 3: 14 met en scène une héroïne esseulée, croquée par Alÿs, qui se noue et dénoue la chevelure à l’infini. L’animation est accompagnée de plus de 300 croquis (qui constituent l’animation) dont l’accrochage remarquable ainsi qu’une table de tracés préliminaires et d’études précédant l’œuvre mettent en lumière la vulnérabilité et l’absurdité de la condition humaine qu’on penserait encagée dans un cercle vicieux, mais dont l’artiste réussit pourtant à extraire une poésie de ritournelle. Là où l’œil s’égare, les actions sont répétées, dupliquées puis bouclées, à l’image du langage propre de l’artiste qui se double d’un brodeur de mots qui résonnent : ses Camguns faussement enfantins jouent sur le terme « shoot » qui signifie à la fois prendre une photo et tirer une balle. Dans son ensemble, l’éventail du corpus d’œuvres présentées, de L’imprévoyance de la nostalgie où deux paires de chaussures semblent cadenassées par des chaussettes à Knots et sa corde elle-même constellée de nœuds, en passant par l’installation vidéo Do, Undo qu’un tas de papiers feuilletés font hésiter entre les deux termes de son titre, donnent la sensation de basculer dans une sorte de vertige entêtant. Toute ressemblance avec le mythe de Sisyphe n’est pas fortuite. D’ailleurs, dès l’entrée de l’exposition, il est écrit noir sur blanc : « Ever tried. Ever failed. No matter. Try Again. Fail again. Fail Better », signé Samuel Beckett.


Beirut Art Center

« Knots’n Dust », de Francis Alÿs. Jusqu’au 9 avril 2018. Jisr el-Wati.

Lorsqu’on le rencontre à la veille de l’ouverture de son exposition au Beirut Art Center, debout dans la poussière des choses qui s’accrochent et qu’il supervise d’un silence affûté telle une dague, ce sont d’abord ses bras et ses jambes qui cambriolent l’attention. Interminables, on parierait volontiers qu’ils recèlent des ailes tant ils semblent avoir prédestiné leur...

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