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Culture - One-man-show

Abou el-Ghadab se fait La Bruyère à Gemmayzé

Tout en faisant toujours le gugusse, Joe Kodeih revisite les années de guerre libanaise. Bien sûr, avec lui en joyeux luron, mieux vaut en rire qu’en pleurer...

Photo Maya Alameddine

Dans sa nouvelle création, Abou el-Ghadab, qu’il présente au théâtre Gemmayzé, Joe Kodeih reste fidèle à son image de marque, ne renonçant pas à ses facéties langagières et gestuelles, mais réduisant notablement ce qui était autrefois farci d’outrances scatologiques. Tout en se donnant à cœur joie à ses narrations comiques, à ses fantasmes détournés, à ses piques sociétales, à ses critiques sans virulence excessive, douces et légères comme des coups de houppette. Un peu à l’image d’un La Bruyère pointant les rubans, les soieries et les collerettes dentelées des bas-bleus et des marquis poudrés de son époque. Pour le grand plaisir de son public, venu l’applaudir nombreux et largement déjà acquis à son humour et à son parcours.

Sur une scène nue, avec pour seuls compagnons de scène des stocks de bouteilles de vin et des caisses de bois – un décor signé Raymond Saïd –, l’acteur-scénariste-metteur en scène de ses one-man-show avance d’un pas chaloupé dans un nuage de fumée blanche et annonce le retour aux années de guerre… De triste mémoire, certes, mais l’heure est au rire, à la dérision, à la parodie. Entre moult railleries et clowneries, les propos – laborieusement travaillés et enfilés en un chapelet d’images aux associations verbales et gestuelles – font parfois des étincelles. Caricature non explosive, certes, mais aux traits tracés au fusain, sans appuyer, assez évocateurs. Avec aussi certains moments où le verbiage et les clichés l’emportent.

Balles vs mouches
Joe Kodeih raconte un temps où, dans un Beyrouth enseveli sous des tas d’ordures (paysage hélas toujours d’actualité), les balles qui sifflaient rivalisaient avec des mouches surnourries. Il se souvient d’une époque où les bobos aux attitudes d’aristos de pacotille dévalent les escaliers sous des bombardements intensifs, en lâchant des phrases-mitraillettes hilarantes, tout comme le font leurs compatriotes avec des tonalités plus gouailleuses, cha3bi et drôlement baladi, de l’autre côté d’une ville ravagée et scindée comme une poire fendue. On n’a pas oublié « gharbié-char’ié » où, par-delà toute ligne de démarcation, les couleurs locales changent, mais pas l’essentiel d’une (sur)vie.

Parmi les récits qui passent, celui d’une famille coquine possédant un sens narquois de la tolérance, sous des mots acides enrobés de miel, et qui batifole en sexe à voile et vapeur, avec le concierge moustachu comme un Artaban ou plutôt Abou el-Abed… Des virilités chatouilleuses des chabeb, querelleurs et agressifs, aux scènes dans les urgences des hôpitaux, où les blessés par balles sont assistés par des infirmières qui n’ont rien à voir avec Florence Nightingale, en passant par les veillées dans les abris, passées à jouer aux cartes ou à s’envoyer des shots de whisky, tout est répertorié pêle-mêle. Tout y est épinglé, comme dans un livre de comptes, avec un clin d’œil complice au haut des pages…

Tableau picaresque et criard, regorgeant de personnages sans consistance qui traversent la flaque de lumière à la vitesse d’un mercure fuyant, saisis sur le vif des mots, le spontané des comportements et la confession des attitudes. « Qui a tué Jésus ? Les musulmans ! Les juifs ! Certainement pas les maronites ! » Et les spectateurs d’éclater de rire, tout en réalisant que la guerre a dénudé la société libanaise qui en a vu, non sans broncher, des vertes et des pas mûres.

Dans Abou el-Ghadab, Joe Kodeih se fait le porte-étendard, rigolo et rigolard, d’une époque dont on a parlé déjà avec usure… Il en tire des accents, peut-être pas nouveaux, mais portés par une charge vaguement analytique, malicieusement polémique et frondeuse. Avec des tics de présence scénique qui font certes mouche, mais qui, au bout de soixante-dix minutes d’une performance solo, finissent par être répétitifs.

L’Achrafiote-Akkariote, dont l’esprit a été profondément marqué par la guerre, propose ici un divertissement farfelu et branquignol pour d’anarchiques chroniques des années de guerre, avec quelques bons éclats de rire à la clé. Et se moquer de ses blessures, n’est-ce pas tenter de les cicatriser enfin ?

Théâtre Gemmayzé

« Abou el-Ghadab » de Joe Kodeih
Jusqu’au 25 février 2018 (de jeudi à dimanche) à 20h30
Réservation : 76/409 109, ou Librairie Antoine


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commentaires (2)

C'est l'attitude qu'on aimerait que tout libanais ai !! Idhak tadhak laka aldunia... Merci Joe et bon courage!

Wlek Sanferlou

17 h 25, le 07 février 2018

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • C'est l'attitude qu'on aimerait que tout libanais ai !! Idhak tadhak laka aldunia... Merci Joe et bon courage!

    Wlek Sanferlou

    17 h 25, le 07 février 2018

  • Bdoun ghadab, kilou, dehek Une forme de philosophie populaire. Bravo Il y a probablement un mélange de sagesse et d'humour.

    Sarkis Serge Tateossian

    04 h 08, le 07 février 2018

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