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Culture - Rencontre

Georges Hachem : Nul n’est prophète sans son pays

« Nar min nar », ou « Still Burning », raconte, à travers un triangle amoureux, le cinéma dans son essence même. Son réalisateur, Georges Hachem, répond aux questions de « L'Orient-Le Jour ».

Georges Hachem : Je ne suis ni pour les fioritures ni pour les superflus...

Depuis « Stray Bullet », vous avez mis du temps à refaire un autre film. Il semble que vous le cuisinez, le macérez. Quelle est la partie la plus difficile dans la fabrication d'un film ?
Les sept ans écoulés entre financement, tournage, montage ne sont pas énormes. Même dans les pays où il y a une vraie industrie du cinéma, les films d'auteur prennent du temps avant de sortir en salle avec tout ce qu'on leur fait subir comme pitch, « script doctoring » et contraintes avant le développement. Pour ma part, l'écriture prend beaucoup de temps, car elle s'étale. Ainsi je dors et me lève avec le script en prenant constamment des notes. C'est une période délicieuse durant laquelle j'essaye ainsi de me passer d'un droit de regard et d'être seul maître à bord. Les autres artistes, comme les peintres ou les poètes, ne demandent pas l'avis de quelqu'un pour leur œuvre. Je préfère donc faire ma propre autocritique en prenant le temps qu'il faut.

Vous avez eu beaucoup de difficultés pour le financement de ce film...
Le financement ne prend pas beaucoup de temps, car il faut dire que le refus, en général, est rapide. Mais c'est une étape difficile, douloureuse, parce que le pays nous traite comme des demandeurs, voire des mendiants. Pour ma part, je ne le ressens pas de la sorte. Car, à mon avis, ce n'est pas l'argent qui fait un film. Il faut surtout un auteur, un bon raconteur d'histoires, un réalisateur pour que ce dernier prenne forme.
Pour ce film, je n'ai pas eu une aide de l'État, mais de personnes averties qui ont cru en ma démarche. Avec Stray Bullet, c'est la rencontre miraculeuse avec Georges Schoucair qui a permis la finalisation du projet. Cette fois, avec Nar min nar, je me suis lancé tout seul et j'ai tourné par étapes. Ce film a été ainsi tourné entre Beyrouth et Paris sans coproduction. Je finançais, tournais, montais et ainsi de suite. Comme une grappe. Et à chaque tournant, je rencontrais quelqu'un, non pour soutenir le long-métrage, mais pour contribuer à ce que la machine continue à avancer. Cette stratégie s'appliquait uniquement à ce seul projet. Je suis persuadé qu'un projet est plus grand que son auteur. Il oblige ce dernier à faire de tout pour voir le jour au risque même de laisser des plumes. Je ne veux être tributaire de personne. Seulement de l'argent et du public libanais. Au proverbe « nul n'est prophète en son pays », j'opposerais l'adage nul n'est prophète « sans » son pays.

Décèle-t-on un peu d'amertume quant à l'indifférence du pays à l'égard des auteurs ? Et avez-vous peur actuellement que votre film, une fois fini, ne plaise pas au public ?
Je ne peux pas être amer, puisque j'ai réussi à achever mon film. De plus, j'en suis satisfait. Je suis simplement lucide et dès le départ je ne me fais pas beaucoup d'illusions quant au soutien de l'État. D'autre part, je ne considère pas que le film est fini tant qu'il n'a pas rencontré son public. De plus, je tiens à ce qu'il aille vers le spectateur libanais avant quiconque. Car ce film en particulier traite de notre identité culturelle multiple. Certes, le public n'est pas une masse compacte. Il est formé de différents individus. Donc, ce film s'adressera à eux, un à un, et chacun l'accueillera à sa façon. Tout ce que je cherche ce n'est pas de faire des chiffres, mais d'atteindre le spectateur en faisant partager l'expérience filmique avec lui.

Vous avez un casting très intéressant : Wajdi Mouawad, Fadi Abi Samra, Adila Bendimerad, Rodrigue Sleiman et Rami Nihawi. Comment s'est fait le choix de cette distribution ?
Le film raconte le parcours d'André, cinéaste libanais installé en France, mais venu au Liban pour tourner un film. Il va retrouver son ami Walid. Dans le passé, tous les deux se sont passionnés, dans leur jeunesse, à Beyrouth en temps de guerre, pour le cinéma et pour la même femme. Leurs retrouvailles, à Paris, réveillent les vieux démons.
Le film traite des pouvoirs d'un metteur en scène et d'une manière métaphorique d'un démiurge. Quelles sont les limites de son pouvoir ? Et, sous-jacent, le rôle du cinéma qui manipule souvent la vérité. J'avais besoin d'un acteur qui comprenne les doutes d'un metteur en scène et, par conséquent, qu'il le soit effectivement. Pour l'interprète principale, il fallait qu'elle soit également actrice pour comprendre le paradoxe des comédiens. Il fallait qu'il y ait aussi bien, pour l'un que pour l'autre, ce problème de langue maternelle qu'on tente de retrouver. Quant à Fadi Abi Samra, il a une physionomie tellement forte et un profil si sombre qu'il était plus qu'évident de l'avoir dans mon casting.

Comment travaillez-vous avec les acteurs ? A-t-il été difficile de travailler avec quelqu'un comme Wajdi Mouawad qui a le même statut que vous, d'auteur et de metteur en scène ?
En ce qui concerne le travail, tout se fait à partir de premières rencontres, quand on se met autour d'une table et qu'on discute. On ne parle pas du film en soi, mais de presque tout. Cela me permet de connaître mes acteurs. Je ne change rien dans mon scénario, car je sais que ces comédiens s'approprieront certainement les personnages. Quant à Wajdi, j'ai déjà expérimenté la même situation avec Nadine Labaki. Tous deux sont de véritables « bêtes de travail », au bon sens du terme qui se laissent guider docilement, sans ego, car ils aiment et respectent leur profession.

L'action repose sur un film dans le film. Une idée souvent traitée... ?
Oui, en effet, sauf que j'apporte un plus... un peu différent. Ce n'est pas La Nuit américaine ou comment faire un tournage. Ni Le Mépris, où le film est l'occasion d'un règlement de comptes. Nar min nar est différent de l'exemple de Providence de Resnais. Dans mon film il y a réellement deux actions parallèles et similaires. Comme un effet miroir. On ne sent même pas les flash backs tant ils sont discrets.

Vous avez une touche particulière ? Une influence cinématographique à laquelle vous vous référez ?
Tout ce que je sais c'est que je vais dans le cœur des choses. Dans l'intériorisation. Je ne suis ni pour les fioritures ni pour les superflus, mais pour l'essentiel. Je suis au service de mes acteurs et aussi spectateurs que vous tous.

Depuis « Stray Bullet », vous avez mis du temps à refaire un autre film. Il semble que vous le cuisinez, le macérez. Quelle est la partie la plus difficile dans la fabrication d'un film ?Les sept ans écoulés entre financement, tournage, montage ne sont pas énormes. Même dans les pays où il y a une vraie industrie du cinéma, les films d'auteur prennent du temps avant de sortir en salle...

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