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Idées - Commentaire

Comment concilier souveraineté, démocratie et mondialisation

Plusieurs centaines de milliers d'Espagnols manifestant contre l'indépendance de la Catalogne dans les rues de Barcelone le 8 octobre 2017. Rafael Marchante / Reuters

Dans son dernier livre (Straight Talk on Trade : Ideas for a Sane World Economy), l'économiste de l'université d'Harvard Dani Rodrik revient sur le concept de « trilemme politique de l'économie mondiale », selon lequel souveraineté nationale, démocratie et mondialisation ne peuvent coexister simultanément. Il développe l'idée qu'une mondialisation excessive érode la souveraineté des États-Nations démocratiques en les soumettant de plus en plus aux forces économiques et financières qui peuvent être en contradiction avec ce que veut la majorité de la population.


De ce point de vue, un État autoritaire serait mieux adapté à la mondialisation, car il n'est pas tenu par des préoccupations électorales. De même, dans un environnement moins mondialisé, un État-Nation démocratique serait plus libre de ses décisions, car moins dépendant des forces extérieures – notamment des marchés financiers. Enfin, mondialisation et démocratie, sans État-Nation, sont aussi compatibles, même si Rodrik se demande dans quelle mesure des institutions démocratiques peuvent fonctionner à l'échelle mondiale.


Certes, il ne présente pas ce trilemme comme une règle absolue. Il cherche plutôt à souligner les difficultés qu'il y a à associer souveraineté, démocratie et mondialisation. Cependant, pour exploiter au mieux son idée, il faut prendre en compte un autre élément, à savoir le grand nombre d'échelons de gouvernance qui coexistent.
L'État-Nation géré par un gouvernement national reste l'élément fondamental de l'ordre international. Mais en dessous de l'État-Nation on trouve les régions ou les États (dans un État fédéral), les provinces et les villes qui ont leur propre structure de gouvernance, et au-dessus, les blocs supranationaux tels l'Union européenne et les institutions internationales comme l'ONU. Toute discussion sur le trilemme doit prendre en compte ces échelons de gouvernance.


Citoyens impuissants
La désillusion si répandue à l'égard des gouvernements est en partie une réaction contre la mondialisation qui donne l'impression de s'imposer aux États-Nations. Mais cette désillusion tient aussi au fait que les citoyens ressentent qu'il y a un fossé entre eux et les autorités gouvernementales. Les autorités locales ne paraissent pas aussi distantes et les citoyens ont l'impression qu'ils peuvent encore les influencer. C'est pourquoi la tension entre démocratie et mondialisation est moins forte au niveau municipal par exemple, d'autant que la mondialisation semble moins peser sur les préoccupations locales telles que les infrastructures, l'éducation ou le logement.


A l'autre extrémité de l'échelle du pouvoir, on trouve les structures supranationales telles que l'UE qui traitent régulièrement de questions touchant à la mondialisation (le commerce par exemple). Or les citoyens européens se sentent impuissants face au pouvoir de Bruxelles qui leur semble hors de portée, au point d'estimer qu'il viole la souveraineté des États-Nations. Ce sentiment qu'illustre le Brexit s'observe à travers toute l'Europe.


Ces dynamiques compliquent encore le trilemme politique de Rodrik, ainsi qu'on le voit en Catalogne où les tensions entre démocratie locale et État-Nation sont encore plus fortes que celles liée à la mondialisation. Beaucoup de Catalans sont plus méfiants à l'égard du gouvernement espagnol qu'à l'égard de la mondialisation ou de l'UE ; il en est de même de l'Ecosse à l'égard du Royaume-Uni. Dans ce contexte, un repli sur un État-Nation opposé à la mondialisation (ainsi qu'on le voit aux USA sous la présidence de Trump) est encore plus problématique, car il menace de raviver les pathologies économiques et politiques liées au nationalisme et d'en susciter de nouvelles.


Affaiblir le trilemme
Dans ces conditions, pourquoi ne pas adopter une stratégie qui renforcerait à la fois la démocratie locale et la souveraineté ? Dans de nombreux pays, les villes sont au centre de l'innovation et du progrès, car la proximité, les économies d'échelle et les retombées positives qu'elles induisent attirent les entreprises les plus performantes. Les citoyens se sentent proches des autorités municipales et fiers de leur ville, mais cette fierté ne s'accompagne pas de nationalisme.


Si les États-Nations concèdent une partie de leur pouvoir aux échelons inférieurs, le trilemme s'affaiblit. La démocratie (avec le sentiment d'appartenance qui l'accompagne) et la mondialisation sous l'impulsion des grandes villes ouvertes sur le monde peuvent alors toutes deux se développer sans qu'aucun pays n'ait à renoncer à sa souveraineté. Cette stratégie pourrait être très avantageuse, mais elle comporte des risques importants. Tandis que les zones urbaines prospères attirent une part croissante du capital, de la main d'œuvre qualifiée et des capacités d'innovation, les campagnes notamment risquent le déclin économique : moins d'emplois, fermeture des hôpitaux et des écoles et abandon des infrastructures. Ainsi que nous l'avons vu, cette tendance engendre un terrain fertile aux politiciens populistes qui proposent des solutions simplistes enracinées dans des idéologies extrémistes qui sèment la division et s'opposent au progrès.
C'est pourquoi il faut à tout prix trouver le moyen d'aider les laissés-pour-compte d'un tel système avant même que n'apparaissent les premières difficultés. Ici encore l'État-Nation jouerait un rôle crucial, mais il faudra trouver l'équilibre approprié pour éviter que le trilemme ne réapparaisse.

 

© Project Syndicate, 2017.
Traduction Patrice Horovitz

Kemal Dervis est vice-président de l'Institut Brookings et a été ministre de l'économie de la Turquie (2001-2002) et responsable du Programme des Nations unies pour le développement (2005-2009).

Dans son dernier livre (Straight Talk on Trade : Ideas for a Sane World Economy), l'économiste de l'université d'Harvard Dani Rodrik revient sur le concept de « trilemme politique de l'économie mondiale », selon lequel souveraineté nationale, démocratie et mondialisation ne peuvent coexister simultanément. Il développe l'idée qu'une mondialisation excessive érode la souveraineté des...

commentaires (2)

EN S,OCTROYANT LES SERVICES D,UN FAKIR ! MNAJEM MEGHRABI BEL 3ARABI...

LA LIBRE EXPRESSION

19 h 43, le 08 décembre 2017

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Commentaires (2)

  • EN S,OCTROYANT LES SERVICES D,UN FAKIR ! MNAJEM MEGHRABI BEL 3ARABI...

    LA LIBRE EXPRESSION

    19 h 43, le 08 décembre 2017

  • " L'amitié est le seul ciment qui empêchera le monde de se disloquer. " Thomas Wilson

    FAKHOURI

    17 h 00, le 08 décembre 2017

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