Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Égypte

« L’oppression a toujours rendu les Frères plus forts »

Face à la répression violente dont ils sont victimes, les Ikhwan adoptent une stratégie qu'ils connaissent bien : disparaître.

Des membres de la force antiémeute évacuant le camp des Frères musulmans au Caire, le 14 août 2013. Stringer/Reuters

« La seule chose qu'on nous dit c'est "attendez, laissez Allah décider" », assurent-ils. Alors que les différentes branches de la confrérie des Frères musulmans à l'étranger, au Qatar, en Turquie ou en Europe continuent de faire un travail de communication pour dénoncer les exactions du régime contre ses sympathisants en Égypte, les Ikhwan (les Frères musulmans) à l'intérieur du pays sont devenus silencieux. « Ils ne peuvent plus communiquer, ça leur ferait prendre trop de risques », note Stéphane Lacroix, chercheur au Centre de recherches internationales et spécialiste de l'islam politique.

Car si les Frères musulmans sont une organisation perçue comme transnationale, dans les faits, cela relève plus du mythe que de la réalité. « Ils sont plus Internationale socialiste que Comintern : des partis frères avec un petit "f" qui partagent la même idéologie, les mêmes références avec des liens personnels entre les dirigeants, mais pas de structure centrale qui dirige tout et donne les ordres, ça n'a jamais été ça, rappelle le spécialiste. Ils ont essayé de construire dans les années 70 quelque chose de transnational pour unifier la prise de décision, mais ils ont complètement échoué. »

Les militants basés dans d'autres pays ne sont donc que d'un soutien très limité pour leurs frères égyptiens face aux nombreuses violences qu'ils subissent depuis 2013. Les grands leaders de la confrérie Mohammad Morsi, Mohammad Badie, Mohammad Kamal, emprisonnés ou tués, les rescapés en fuite ; les quelque 2 millions de sympathisants sont laissés à leur propre sort en Égypte.

 

(Lire aussi : Les Frères musulmans ont toujours le couteau à la gorge)

 

Si dans les premiers mois suivant la destitution du président islamiste, ils ont repris la rue chaque vendredi, la dureté de la répression les a rapidement poussés à adopter une stratégie de repli, ce que les spécialistes appellent « la mise en veille ». Les Frères musulmans ont littéralement disparu du paysage égyptien : il est désormais impossible d'entrer en contact avec les quelques responsables vivant dans la clandestinité quand le sympathisant de base ne se revendique plus comme tel. « C'est un groupe secret où on ne met pas en avant son identité organisationnelle. Aujourd'hui, à plus forte raison, ils n'ont aucune raison de se dire Frères, puisque ça peut leur coûter cher », rappelle Stéphane Lacroix.

Une tactique qui avait d'ailleurs soulevé des critiques en 2005 avec une génération des blogueurs qui souhaitaient briser le tabou de leur appartenance à la confrérie. Abdel Monhem Mahmoud, fondateur d'« Ana Ikhwan », figure de proue de cette contestation, estimait que les Frères musulmans ne pourraient jamais devenir un mouvement légitime et rentrer dans le débat public sans s'assumer. Mais cette pratique est historiquement intégrée chez les Frères depuis les années 60, avec un certain succès.

Après l'assassinat du guide suprême Hassan el-Banna en 1949, c'est sous Gamal Abdel Nasser, qui entretenait pourtant des liens privilégiés secrets avec la confrérie, que la répression atteint son paroxysme. Au cours de ces années noires, elle va apprendre à devenir une organisation dormante et se construire une identité victimaire pour mieux séduire. « Ça fait partie de la culture, il y a cette idée qu'on retrouve chez tous les islamistes : on souffre parce qu'on a raison, c'est le "martyre" dans le sens étymologique du terme, c'est celui qui par sa mort prouve la justesse de sa cause », explique Stéphane Lacroix. « Nous, islamistes, on sait que c'est après les périodes les plus sombres que le soleil est le plus éclatant, commente ainsi pour L'Orient-Le Jour Abdel Khouddous, seule figure connue de la confrérie encore en liberté en Égypte. L'oppression a toujours rendu les Frères plus forts. C'était vrai dans le passé, ça l'est tout autant aujourd'hui. »

« À la moindre opportunité de revenir, nous le ferons »
C'est dans cette atmosphère de « martyrisation » que les Frères ont toujours gagné le plus en popularité. Silencieux sur la scène politique, ils sont parvenus dans le passé à rallier des sympathisants avec la mise en place d'activités caritatives et sociales destinées à capter les couches populaires. Si cet activisme clandestin était bien toléré – ou du moins mal appréhendé – par les autorités égyptiennes sous Nasser et Hosni Moubarak, depuis l'élection du président Abdel Fattah al-Sissi, cet aspect est aussi largement réprimé. La seule forme d'organisation qui est encore partiellement acceptée aujourd'hui par le pouvoir est l'aide aux prisonniers : une charité qui s'adresse à des personnes isolées, perçue comme moins risquée.

 

(Pour mémoire : Nouvelle peine de prison à vie pour le chef des Frères musulmans)

 

Mais ce serait pourtant une erreur de penser qu'absente de la politique et du caritatif, l'organisation est morte. La culture et l'identité « fréristes », elles, demeurent. « Si par organisation, on entend hiérarchie, chaîne de commandement, oui, cette dimension-là est morte, mais la permanence d'une identité qui se replie sur le religieux et plus sur le politique est toujours là. Dans un climat qui le permettrait, l'organisation pourrait se reconstruire assez rapidement », précise Stéphane Lacroix.
« Nous restons aujourd'hui une force potentielle très forte, cachée juste sous la surface. Le bureau politique est inactif, mais les Frères sont répartis en branches : éducation, santé, religion, etc., qui ont gardé une certaine activité. À la moindre opportunité de revenir sur le devant de la scène, nous le ferons », confirme Abdel Khouddous. Car il y a encore suffisamment de gens qui s'identifient aux Frères pour que le jour où on leur en donnera la possibilité, ils reconstruisent naturellement leur structure.

Et de fait, la confrérie mise désormais sur ce qu'elle a de plus solide : ses liens sociaux. Les Frères ne sont pas un parti politique au sens classique du terme qu'il est possible de quitter en rendant sa carte de membre. Quitter la confrérie signifie renoncer à des cercles sociaux, quitter ses amis, ses voisins, déménager. « Les gens restent dans ce monde social qui a toujours été le leur. C'est une logique de groupe, ce n'est pas une logique d'individus », souligne Stéphane Lacroix.

Les liens persistent donc dans la clandestinité en se recentrant sur l'humain : les Frères continuent de se voir en petit comité pour lire le Coran, se retrouvent à des événements festifs ou des célébrations religieuses. « N'importe quelle occasion sociale, un mariage par exemple où les invités sont tous sympathisants de l'organisation, devient potentiellement une réunion de Frères, assure Stéphane Lacroix. Et ça, pour l'État, c'est très compliqué à contrôler. »

 

Pour mémoire
Le Qatar voudra-t-il rompre avec les Frères musulmans ?

Les Frères musulmans à genoux, cinq ans après la chute de Moubarak

Des législatives sans les Frères musulmans, une première en 30 ans en Egypte

« La seule chose qu'on nous dit c'est "attendez, laissez Allah décider" », assurent-ils. Alors que les différentes branches de la confrérie des Frères musulmans à l'étranger, au Qatar, en Turquie ou en Europe continuent de faire un travail de communication pour dénoncer les exactions du régime contre ses sympathisants en Égypte, les Ikhwan (les Frères musulmans) à l'intérieur du...

commentaires (2)

L,OUVERTURE SERAIT CATASTROPHIQUE !

LA LIBRE EXPRESSION

08 h 48, le 19 août 2017

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • L,OUVERTURE SERAIT CATASTROPHIQUE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 48, le 19 août 2017

  • Peut-on savoir pourquoi L'Orient-Le Jour se fait le défenseur des Frères musulmans??? Deux articles en deux jours!!! C'est incroyable!!!

    NAUFAL SORAYA

    07 h 06, le 19 août 2017

Retour en haut