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Culture - Rencontre

Alain Vassoyan, à la recherche de la Vénus perdue...

L'artiste, qui souffle cette année ses cinquante bougies, revient* sur un fantasme du temps de l'enfance : une statuette antique, sa madeleine de Proust à lui.

Alain Vassoyan a gardé ses boucles et son imaginaire d’enfant. Photo DR

Quand il était petit, Alain Vassoyan (on l'imagine) ne devait pas être très différent d'aujourd'hui. Mêmes boucles libres, mêmes taches de rousseur parsemant un visage au regard amène... L'artiste, né en 1967, aurait-il signé un pacte avec le diable? Ou bien serait-il atteint du syndrome de Peter Pan ? Toujours est-il que ce frêle jeune homme de cinquante printemps a assurément un rapport particulier avec le temps. Il passe sur lui sans altérer ni son allure ni son esprit, tous deux étonnamment juvéniles. Car, comme un enfant, Alain Vassoyan aime s'entourer de personnages fictifs. Des figurines colorées nées de ses vagabondages imaginaires au fil du passé, du présent et du futur : mélange de souvenirs d'enfance et de projections anticipatives... À l'instar de son fameux Djoujou autour duquel il a construit toute une ville (Djoujou City). De petites sculptures qu'il façonne en résine puis rassemble dans des installations tout à la fois ludiques, narratives et au discours subtilement critique, sous une apparente fantaisie.

 

Premier amour
L'exposition qu'il présente actuellement, et jusqu'au 6 juillet, à la galerie Janine Rubeiz, est dans cette même veine. Intitulée Reconstruire Vénus, elle est née de son fantasme de petit garçon pour une statuette antique découverte dans les environs de Chtaura, d'où il est originaire. « J'avais 7 ou 8 ans lorsque j'ai trouvé, accidentellement, cette petite Vénus sans tête et aux membres mutilés », indique-t-il. « Elle m'a tout de suite attiré. Pour l'enfant que j'étais, ce n'était ni un objet de fouilles ni une sculpture, mais une petite fille mutilée, ma protégée en quelque sorte. Je crois même que j'en étais amoureux. Lorsque la guerre a éclaté, nous avons dû fuir notre maison, qui a été squattée par des réfugiés et ma Vénus a disparu. Cela m'a vraiment brisé le cœur. J'ai attendu plus de quarante ans d'être pleinement assuré de ma pratique de sculpteur, avant de la reconstituer », confie l'artiste. Il indique avoir réalisé neuf variations avant d'obtenir celle qui se rapprochait le plus possible de l'originale. Une statuette d'une vingtaine de centimètres, au buste quelque peu sablonneux et au bassin légèrement translucide, réalisée à partir d'un panachage de résine, de sable de mer, de ciment mélangé à de la poudre de fer... Et qui trône au premier plan de l'installation qui lui est consacrée. « Pour la reconstituer au plus près du souvenir que j'en avais gardé, j'ai même été puiser dans ma mémoire tactile, olfactive et auditive de l'époque.

En réécoutant, par exemple, des musiques des années 70 », affirme le sculpteur. Lequel offre là une exposition « métaphore » de cette éternelle tentative de retrouver le temps perdu de l'enfance, de ce rêve inatteignable de raviver le passé, de le restaurer, le rénover, voire même de l'actualiser. Un désir inaccessible. Sauf, peut-être, par le biais de l'art. En témoignent les 14 Vénus ressuscitées (c'est ainsi qu'il les a baptisées) qu'il va concevoir – avec une optique de gosse de 7 ans – comme autant d'avatars actuels de sa protégée. Quatorze figurines (d'une trentaine de centimètres en moyenne) en résine peintes à l'acrylique, reproduisant ce qu'elle aurait pu être avant sa mutilation. « Car, au cours de mes recherches, je me suis rendu compte que la Vénus des premiers siècles ressemblait, sans doute, bien plus à ces effigies colorées et modernes qu'aux statuettes aux couleurs effacées par le temps retrouvées dans les fouilles. Les tanagras antiques étaient, à l'origine, totalement bariolées. Tout comme les statues des temples de Baalbeck qui devaient offrir au regard une véritable explosion de couleurs », signale, avec enthousiasme, l'artiste diplômé en histoire de l'art de l'université de Montréal.

Et qui a ainsi composé, à partir de ses 14 Vénus ressuscitées disposées autour de leur pseudo-ancêtre (la Vénus reconstituée), une installation ludique déclinant un large panel de jeux d'enfants : culbute, acrobatie, marelle, hip-hop, police-voleur, mendiant...

 

Toutes ces vies manquées...
Un ensemble qui, au premier regard, évoque certes une joyeuse cour de récréation. Mais qui, dans une seconde lecture, dégage quelque chose de plus grave. Car, sous les couleurs vives et les allures espiègles, la distorsion (volontaire) des membres de ces personnages ainsi que leurs mouvements en équilibre précaire induisent une tension ouvrant la porte à de nombreuses possibilités d'interprétations. Comme si Alain Vassoyan revenait sur ses pas d'enfant de la guerre aux jeux toujours menacés de basculer dans la tragédie...

Cet artiste à l'univers singulier, souvent qualifié de naïf, reconnaît chercher à travers son art « à retrouver toutes ces vies que j'ai manquées quelque part, à cause de la guerre ».
Et pour cela, ce rêveur ne se contente pas de reconstituer virtuellement le passé, mais se projette aussi dans... l'espace futur. Ainsi, après avoir ressuscité sa Vénus terrestre, le voilà qui se téléporte sur la planète Vénus. Emmenant à sa suite les visiteurs de l'exposition, dans un second volet aux œuvres variées (sculptures, dessins et vidéo) nées de théories spatio-temporelles pour le moins révolutionnaires !
« À partir d'une petite recherche sur Google, j'ai découvert que Vénus tourne dans le sens inverse de la terre. Et qu'elle a un rapport particulier au temps : chaque journée sur cette planète équivaudrait à 240 jours sur la terre. Le fait qu'une seule de ses journées représente presque une année terrestre m'a bouleversé. Et même ému. Car cela bouscule totalement notre perception du temps et nous ouvre de nouvelles portes sur l'avenir », dit-il. « Du coup, j'ai imaginé, de façon très enfantine, une sorte de fusion entre les deux planètes, que j'ai traduite dans une vidéo d'animation montrant Vénus (la planète, symbolisée par la figurine photographiée) qui, en tournoyant, va rejoindre la Terre. À partir de là, il y aurait un nouveau rapport au temps qui rendrait intemporels vestiges antiques et objets modernes », explique-t-il, en substance.

 

Sur une autre planète...
Dans ce nouvel espace-temps, le mythique Jonas, debout sur sa baleine, serait vêtu d'un complet-veston; Don Quichotte partirait, cette fois, à la recherche d'une autre planète ; les motos prendraient des allures de fossiles et les passagers d'un avion supersonique auraient des figures d'icônes byzantines... Tout cela est d'une dérision vertigineuse. Et exaltante, comme un retour à l'univers de tous les possibles : ce monde de l'enfance qu'Alain Vassoyan n'a pas oublié, voire même qu'il ne veut pas quitter. « N'est-ce pas le propre des artistes ? Des saltimbanques que nous sommes ? » lance-t-il. Avant de souhaiter, en conclusion, « que les visiteurs de l'exposition s'attardent plus de 30 secondes devant chaque œuvre. Ils y découvriraient autre chose... ».

*GALERIE JANINE RUBEIZ
Corniche, Imm. Rubeiz, jusqu'au 6 juillet.

 

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