Rechercher
Rechercher

Culture - Exposition

Et si le vivre-ensemble passait par le parler schtroumpf ?

Ils sont sans doute parmi les personnages les plus célèbres de la bande dessinée belge. À l'initiative de l'ambassade de Belgique, une exposition* raconte en planches grand format la genèse de ces petits bonshommes bleus et l'histoire de leur créateur, Pierre Culliford, alias Peyo.

Pierre Culliford, Pierrot pour les intimes et Peyo pour un petit cousin qui ne savait pas prononcer les r, adopte finalement ce pseudonyme enfantin. Un petit boulot qu'il décroche pour se faire de l'argent de poche comme gouacheur dans un petit studio de dessin animé (la Compagnie belge d'actualité) lui permet de rencontrer Franquin, Morris et Eddy Paape. Sa vocation est confirmée, Peyo veut raconter des histoires. Il travaille le jour, dessine la nuit, place des petites bandes dessinées dans des magazines et avoue avoir une fascination pour le Moyen Âge avec ses troubadours et ses enchanteurs. Johan et Pirlouit voient le jour et les enfants des années 50 assistent à leur lever, les paupières lourdes d'avoir chevauché toute la nuit. Quand Peyo réfléchit au scénario d'une nouvelle aventure de Johan et Pirlouit, il a pour idée de départ de mettre dans les mains de Pirlouit une flûte enchantée, un peu comme dans le conte « Le joueur de flûte de Hamelin ».

Il fait surgir ces petits lutins d'abord roses, coiffés d'un bonnet à fleurs, en les considérant d'ailleurs, à l'époque, comme des personnages secondaires. Ces petits farfadets seraient à l'origine de la création de la flûte. C'est Nine, sa femme, qui a l'idée d'utiliser du bleu pour colorier ces petites créatures. Pour les nommer, il ressort un mot que Franquin aurait utilisé au cours d'un repas pour designer la salière, ce néologisme entraînera toute la tablée à causer le schtroumpf. Le langage schtroumpf est né et va souvent servir à l'énigme, en laissant le lecteur dans un complet désarroi jusqu'à la fin de l'histoire. Ainsi « un schtroumpf qui schtroumpfe du schtroumpf » renverra à mille hypothèses, du fléau à la menace, ou au grand méchant loup. Le lecteur devra aller au bout du récit pour en saisir le sens et vivre l'aventure pleinement.

La découverte de ces nouveaux personnages par les amateurs de BD se fera progressivement et Johan et Pirlouit se verront voler la vedette. C'est ainsi que 100 petits personnages à caractère humain feront un long chemin et parcourront le monde.

 

Combien y a-t-il de Schtroumpfs ?
Dans Le Schtroumpfissime, album préféré de l'ambassadeur de Belgique Alex Lenaerts, qui avoue trouver dans cette histoire une fable sur le pouvoir, on assiste au départ du Grand Schtroumpf, suivi d'un vote avec 96 voix pour le Schtroumpfissime, deux contre et un blanc. On en déduit qu'il y a 99 Schtroumpfs + le Grand Schtroumpf, soit 100 Schtroumpfs. S'ensuivra un désordre au sein du village qui divisera les Schtroumpfs, une problématique qui, jusqu'aujourd'hui, se perpétue si l'on réfléchit aux systèmes politiques responsables de tant de scissions au sein d'une même société. Et si les Schtroumpfs représentaient la condition humaine déclinée en 100 caractères propres aux humains et concentrés dans ce petit village qui ne serait autre que la Terre ? Si Peyo avait voulu recréer une cosmogonie à petite échelle pour décrire un monde où la prétention est servie par l'ego, où la gourmandise est un péché véniel, où la sagesse est une vertu perdue, où la distraction éloigne du chemin à suivre, où l'amour est toujours malheureux, où le farceur se joue du timide, où le triste envie le joyeux, sans oublier celui qui est montré du doigt, les charlatans qui prolifèrent et la femme source de tous les maux, blonde de surcroît. Peyo aurait ainsi réussi une magnifique métaphore. Le Schtroumpf déguisé, le bavard, le charitable, le frileux, le moralisateur, le joyeux, le toujours vexé, l'amoureux, le distrait, le malpoli et on en passe ne seraient autres que l'homme dans tous ses états d'âme, ses faiblesses, ses désirs et ses ambitions, vu à travers la lentille bleue de Peyo.

 

Grands adolescents ?
À partir des années 80, les mutations qui affectent le milieu de la bande dessinée sous l'influence d'un certain nombre de facteurs suscitent l'apparition d'une nouvelle génération d'auteurs et de lecteurs rejetant le modèle artisanal qui dominait jusque-là. La bande dessinée s'affranchit de ses traits enfantins pour s'adresser résolument à de grands adolescents ou à de jeunes adultes. « Plus c'est dégueulasse, plus il y a de la violence et du cul, plus ça marche », explique un scénariste. Cette mutation s'est en effet traduite par un éclatement du champ de la bande dessinée, avec une distinction croissante entre les différents sujets qui la font entrer dans une ère nouvelle. Heureux temps où elle s'adressait aux 7 à 77 ans, heureux temps où même la violence de Blueberry, de Bruno Brazil et de Bernard Prince pouvait être appréhendée par des yeux innocents. Heureux temps où la bande dessinée était le monde des fées, des dragons, des sorciers et des détectives bien élevés, où les albums pouvaient traîner partout sans risque de choquer ou de traumatiser.
Le génie de Peyo aura été d'avoir créé un personnage certes, mais un langage surtout. Aujourd'hui, à l'heure où la communication est rompue et où les malentendus, les maladresses linguistiques, les discours trompeurs entraînent des nations dans le chaos, peut-être faudrait-t-il songer à parler schtroumpf pour espérer trouver un terrain d'entente.

*L'exposition « Schtroumpfe la vie » est organisée par l'ambassade de Belgique au Liban dans le cadre du mois de la francophonie, au souk des bijoutiers, centre-ville. Jusqu'au 30 mars, de 12h à 18h.

 

Pour mémoire

Décès du Belge Pascal Garray, un des dessinateurs des Schtroumpfs et de Benoît Brisefer

Des Schtroumpfs aux couleurs du Liban

Pierre Culliford, Pierrot pour les intimes et Peyo pour un petit cousin qui ne savait pas prononcer les r, adopte finalement ce pseudonyme enfantin. Un petit boulot qu'il décroche pour se faire de l'argent de poche comme gouacheur dans un petit studio de dessin animé (la Compagnie belge d'actualité) lui permet de rencontrer Franquin, Morris et Eddy Paape. Sa vocation est confirmée, Peyo veut...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut