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Culture - Disparition

Stavro, caricaturiste frondeur et prolifique...

À soixante-dix ans, il abandonne ses crayons à la mine bien taillée, ses Bics à la pointe jamais sèche et sa caméra, amie fidèle et complice. Un des princes du rire libanais avec ses innombrables caricatures. Mais aussi grave témoin, sur le vif, par ses généreux instantanés. D'un humour mordant qui ne craignait pas un soupçon de grasse vulgarité, Stavro est passé de l'autre côté du miroir et de la page blanche, après un dur combat avec la maladie.

La force du métier, le don de l’inspiration et surtout le secret d’une signature. Photo Facebook de l’artiste

La tignasse fournie, lisse et partagée par une raie au milieu de la tête (sombre au départ, puis blanchie par le temps), le sourire toujours large et avenant, les moustaches frémissantes et fières comme celles d'Artaban, les doigts replets et pliés à une gesticulation de maestro, la voix forte, Stavro Jabra a laissé son empreinte. Partout. Aussi bien dans la presse locale qu'internationale. Et il s'est mêlé, frondeur, patachon, pince-sans-rire, infatigable voyageur et impertinent critique, à tout et de tout. Avec talent, efficacité et parfois complaisance et facilité.

Nul humoriste et caricaturiste n'a autant croqué de célébrités et de non-célébrités ! De Rafic Hariri à Haïfa Wehbé en passant par Hafez el-Assad, Bill et Hillary Clinton, Barack Obama, Erdogan, Chirac, Sarkozy, Naomi Campbell, Oussama Ben Laden, Benazir Bhutto... Il y a foule dans sa galerie ! Pour tous les goûts, toutes les classes, toutes les nations. Un défilé extravagant. Avec toujours le souci de défendre le droit des vivants, des démunis, ceux que la vie n'a pas gâtés...

Tous sont passés sous sa plume comme sur le plateau d'une télé. La télé, ça le connaît aussi, lui qui a commenté les ordres du jour pour de longues années sur une chaîne locale. Avec une remarquable et foisonnante désinvolture dans les traits et les détails, grossis jusqu'à la boursouflure. Et avec facilité, il en décochait des flèches. Cela s'appelle sans nul doute la force du métier, le don de l'inspiration et surtout le secret d'une signature. Une signature attendue, car elle éclairait, peut-être sans grande pertinence, mais sans ménagement.

 

 

 

 

Workaholic épicurien
Têtes couronnées ou roturiers, présidents, politiciens, lettrés, snobs, chanteurs ou chanteuses de charme (ou sans charme), acteurs, actrices ou bimbos, personne n'échappait à ses foudres, à son tableau de chasse, à ses pochades, à son regard. Un regard incisif et détecteur comme un scanner. Parfois guère tendre. Car ses flèches avaient un petit poison inoffensif, presque guérisseur tant il faisait rire. Gentiment! Du moins sourire car il y a là aussi, par-delà tout esprit corrosif, un côté bon enfant et épicurien. Il ne faut pas l'oublier, Stavro, s'il a été un immense homme de labeur, un vrai stakhanoviste du travail, un workaholic comme on dit, il était aussi un homme du monde qui ne savait pas ce que c'est que d'être pudibond ou austère. Et il ne se privait pas de le clamer bien haut. L'attestent ses dessins si sensuels, si charnels, si épris de la vie, sans contraintes dans leur ironie, parodie et sarcasme.

Des hommes dodus même s'ils sont ascétiques et des femmes plantureuses ou juteuses même si elles occupent les plus respectables (ou haïes !) des fonctions. Avec des nichons renversants ! Condoleezza Rice en a payé le prix, avec toujours des lèvres charnues comme négresse sur un plateau à fruits exotiques... Et cerise sur le gâteau, une dentition à râper le parquet et des cils longs comme des tirs de mitraillettes ou des fourches de jardinage...

Que l'on ne soit absolument pas tenté de faire un recensement des prolifiques et tentaculaires ensembles de caricatures nées de sa plume ultraféconde. Car l'œuvre est monumentale. Vie politique, sociale, culturelle, rien n'a été laissé à l'ombre. Avec le même sens du ludique. Tout en traquant travers, saillies et excès. Sans nul doute il y a dans ces dessins charmants et drôles un peu de la graine des Caractères de Jean de La Bruyère... Grossir pour mieux faire tomber dans la nacelle...

Outre ses multiples albums (20 recueils de dessins et quatre collections de photographies), qui ont fait les délices des lecteurs, outre son propre journal Scoop (quel joli titre pour quelqu'un qui était champion des scoops), Stavro était omniprésent à la une comme à la dernière des pages de tous les journaux. Même dans nos colonnes. Il y était attendu, et fêté.

En cette grise période de récession économique et de mauvaise gestion où les quotidiens et magazines mettent la clef sous le paillasson dans un déconcertant m'en foutisme général, lui ne connaissait pas ce qu'était le repos du guerrier. Avec acharnement, trublion né, agitateur de conscience et imperturbable fonceur, il bataillait sur tous les fronts.

 

Les deux faces de Janus
En presque un demi-siècle d'activité, il croise aussi bien La Revue du Liban qu'as-Sayyad, Le Réveil, et bien d'autres journaux (trop nombreux pour les citer tous), de toutes les obédiences aujourd'hui disparus de la circulation. Le Liban s'enorgueillit d'avoir eu sa signature dans le Der Spiegel, L'Express, Le Monde, le Washington Times... Et on est loin d'avoir tout cité.

Invité aux quatre coins du monde (de Beyrouth à Athènes en passant par la France – ses moments à Cannes restent un morceau d'anthologie – la Suisse, l'Allemagne, le Canada...), son humour était apprécié et rivalisait avec les ténors de la caricature.

Mais il avait aussi sa vie double, c'est-à-dire celle d'un photographe grave, à l'éloquence silencieuse. Ses clichés sur les annales de la guerre sont d'une teneur émouvante. Toutes les horreurs, les destructions, les noirceurs, il les a fixées sur les pellicules en un clic ravageur. On revoit aujourd'hui, en toute consternation, ces photographies échappées à l'enfer des armes, aux décombres et à la mort. Plus que denses et touchantes.

Stavro, spadassin d'une démocratie aux pieds d'argile, en ce pays riche mais dévalisé, avait un cœur grand comme ça pour parler de la détresse, de la misère, de la révoltante opulence des « assis » et de la solitude humaine. Avec lui, par-delà les limites de la censure, disparaît une grande et courageuse valeur satirique. Car sa plume et ses dessins, alliés à sa caméra et à ses photographies, ont illustré les deux faces de Janus : le rire et la gravité, la frivolité et le sérieux, la fantaisie et le témoignage.

Et par ces deux armes, faussement inoffensives, en toute légèreté et sans jamais perdre de vue la compassion, il a ardemment défendu une cause noble : celle de la dignité humaine. Entre moquerie et jeu de massacre, entre allées du pouvoir et sang des pauvres, entre sourires et larmes, salut l'artiste !

 

 

Pour mémoire

Stavro, « trait spécial »

La tignasse fournie, lisse et partagée par une raie au milieu de la tête (sombre au départ, puis blanchie par le temps), le sourire toujours large et avenant, les moustaches frémissantes et fières comme celles d'Artaban, les doigts replets et pliés à une gesticulation de maestro, la voix forte, Stavro Jabra a laissé son empreinte. Partout. Aussi bien dans la presse locale...

commentaires (3)

Paix pour son âme. Stavro était unique. Même le temps et climats politiques étaient favorables à sa liberté d’expression .

Antoine Sabbagha

19 h 23, le 13 mars 2017

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Commentaires (3)

  • Paix pour son âme. Stavro était unique. Même le temps et climats politiques étaient favorables à sa liberté d’expression .

    Antoine Sabbagha

    19 h 23, le 13 mars 2017

  • Un grand dans le monde de l'art , de la photo et de la caricature vient de laisser tomber sa plume . Dieu l'accueillera a Ses Cotes. Stavro , tu as marque ton temps !!!!

    Aoun Imad

    16 h 27, le 13 mars 2017

  • La dignite Humaine fut son objectif...merci...que Dieu ait son ame...

    Soeur Yvette

    10 h 43, le 13 mars 2017

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