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Liban - Portrait de femme

« Je souhaite la mort de mon père. Je pourrais alors me reposer »

À l'occasion de la Journée mondiale des droits de la femme, célébrée le 8 mars, « L'Orient-Le Jour » esquissera le portrait d'une femme chaque mardi du mois de mars. Une femme de chez nous, aux droits bafoués par la famille, par la société, par l'État. Aujourd'hui, Dina, prostituée originaire du Sud, la trentaine, dort parfois dans la rue, sous un pont de Beyrouth. Elle rêve d'un travail décent et d'un logement, pour s'occuper enfin de sa fille.

« Je monte en voiture avec des inconnus, rond-point Cola. » Photo AFP

« J'ai besoin de raconter mon histoire. Mais personne ne veut m'écouter. Personne ne se soucie de ma souffrance, des épreuves que j'ai endurées. Je suis victime de la violence de mon père et de mon mari. Ma mère m'a abandonnée. Je suis seule, sans le sou, sans personne pour m'aimer. Je n'ai nulle part où aller, pas même une chambre où je pourrais vivre et assurer un toit à ma fille. Alors, parfois, je dors dans la rue, sous un pont de Beyrouth. J'offre aussi mes faveurs à des automobilistes de passage, moyennant une vingtaine de dollars. Car il ne leur viendrait pas à l'idée de m'accorder l'aumône gratuitement. »

 

(Notre précédent portrait : Fatmé, 17 ans, mariée, un enfant : « Le plus dur, c’est ma nostalgie de l’école et de mes amies ! »)

 

Coucher avec des hommes pour survivre
Dina (c'est ainsi que nous l'appellerons conformément à son souhait) sourit tristement, dévoilant des dents rongées par les caries. Attablée dans une petite pièce du centre de Dar el-Amal, où elle a l'habitude de prendre une douche, de se reposer et de trouver un peu de réconfort, cette prostituée en jeans et tee-shirt, la trentaine, se confie avec pudeur, les cheveux relevés en un chignon négligé. Elle garde espoir que quelqu'un voudra bien l'aider à s'en sortir, lui proposer de servir le café ou le thé dans une entreprise, un petit logement de fonction, ou une loge de concierge. « Je pourrais aussi vendre des fruits et légumes. Je suis allée à l'école jusqu'au brevet. » La jeune femme n'essaie pas de cacher son œil au beurre noir, encore enflé. De gros cernes noirs sous les yeux, elle semble n'avoir pas dormi depuis plusieurs jours. « L'homme chez qui j'habitais m'a battue suite à un malentendu, avoue-t-elle. J'ai trouvé refuge chez une amie. Combien de temps me supportera-t-elle ? »


La prostitution est le seul moyen pour cette brune à l'allure ordinaire, originaire du Liban-Sud, de ne pas mourir de faim. Même si les risques sont particulièrement élevés et qu'elle en ressent une grande culpabilité. « Je n'ai d'autre choix que de coucher avec des hommes pour vivre, dit-elle. Je monte alors en voiture avec des inconnus au niveau du rond-point Cola. Ils me glissent 25 000 à 30 000 LL dans la poche. » Dina a bien essayé de « prendre, sans rien donner en retour, comme elle dit. Mais rares sont les hommes qui donnent de l'argent sans contrepartie ». Alors, elle supporte tout. La violence de ces inconnus, qui la maltraitent et la frappent, avant de lui payer ses services. Leurs caprices et leurs exigences quelque peu déviantes, aussi. « J'ai fait tellement de choses contre mon gré, je me demande pourquoi, avoue-t-elle. Le fait que je sois à la rue signifie-t-il nécessairement que je suis une mauvaise personne ? »

 

(Lire aussi : Les Libanaises invitées à aller à l’assaut des municipales)

 

La lente descente à 19 ans
Dina se base sur son instinct. Il lui arrive de refuser des avances. Elle a tellement peur d'être frappée à coups de couteau, assassinée. « Il y a quelques jours, un homme m'a abordée dans la rue. Il m'a demandé mon tarif. J'ai répondu que je ne faisais pas ce métier. Il a insisté et griffonné son numéro de téléphone sur un papier. J'ai déchiré le papier. Je n'ai pas aimé sa tête. Il m'a fait peur. »


Cela fait de nombreuses années que Dina a sombré dans la prostitution. « À 19 ans, pour fuir un époux violent, de nationalité syrienne, auquel mon père m'avait vendue pour 15 000 dollars à l'âge de 14 ans, j'ai travaillé dans un hôtel comme femme de ménage. » C'est alors qu'elle rencontre un homme avec lequel elle signe « un contrat de mariage pour la forme ». Mais ce dernier est endetté et lui présente des hommes. « Je devais avoir des relations sexuelles avec eux, moyennant une contrepartie financière. Parfois je refusais. J'ai fini par déchirer ce contrat tacite entre nous. Je n'en pouvais plus. » Si elle reconnaît avoir fait des erreurs, « nous en faisons tous », la jeune femme rappelle qu'elle n'avait nulle part où dormir. « Mon mari était tout, sauf humain. Il me cognait la tête contre le mur. J'ai fini par demander le divorce. Lorsque je me suis réfugiée chez mon père et sa nouvelle épouse, avec ma fillette qui venait de naître, ce dernier m'a maltraitée, avilie même, m'enfermant dans la salle de bains, me laissant dormir au balcon. Il me donnait les restes à manger, et pourtant, il n'était pas pauvre. Il avait des biens et travaillait dans un ministère. »

 

(Lire aussi : Au-delà de l’option des quotas, stimuler l’engagement dynamique de la femme dans la vie politique)


Sa descente aux enfers, la malheureuse la raconte de manière saccadée. Comment sa sœur a recueilli sa fillette encore bébé, pour la maltraiter et lui faire subir des sévices sexuels avec la complicité de ses amants. Comment de plongeuse, femme de ménage, elle en est venue à vendre son corps. « Mon souteneur me battait pour me forcer à coucher avec les clients », se rappelle-t-elle. Viennent alors les démêlés avec la police, les histoires de drogue, les accusations de prostitution, d'appartenance à un réseau mafieux. Dina est arrêtée, emprisonnée, harcelée par des membres des forces de l'ordre. « Mes geôliers me faisaient des avances. Ils n'hésitaient pas à recourir au chantage », révèle-t-elle.

 

(Repère : L’adultère au Liban : que dit la loi ?)

 

L'écriture, pour oublier
Aujourd'hui, la jeune femme se dit épuisée. Épuisée de coucher avec des hommes qui ne la reconnaissent pas, le lendemain. Épuisée d'espérer une aide de sa famille, qui ne viendra jamais. Épuisée de ne voir sa fille de 14 ans, finalement placée dans un village SOS, qu'une fois par mois. « Je ne peux même pas la gâter. Parfois, je n'ai pas 250 LL sur moi. Je voudrais tant pouvoir la rassurer, lui promettre qu'elle aura bientôt des papiers d'identité, la recevoir chez moi, dans un logement décent. » Alors, Dina sombre dans le désespoir. « Il m'arrive de ne rien faire d'autre durant la journée que fumer, boire du café et pleurer », dit-elle tristement.
Seul espoir pour Dina. Ce beau soldat avec lequel elle a eu une liaison et qui lui a offert 100 dollars pour sa fille. « Je l'aime tellement. Il m'a même proposé de m'épouser », dit-elle, tout sourire. La seule marque d'amour qu'elle ait jamais reçue. « Jamais personne ne m'a aimée, jamais personne ne s'est occupé de moi », avoue-t-elle. Mais elle n'a toujours pas obtenu son divorce. « Je n'ai plus de nouvelles de mon mari. Je ne sais même pas s'il est vivant. » Son beau soldat s'est alors engagé ailleurs, mais continue de demander d'elle, de temps à autre.


Dans l'attente de jours meilleurs, Dina écrit pour oublier. Elle écrit son histoire, à travers des personnages fictifs. « Cela m'aide beaucoup. » Elle écrit aussi ses sentiments, sa haine notamment envers son père : « Je lui souhaite la mort. Je pourrais alors me reposer. »

 

Lire aussi
L’assourdissant silence des femmes

 

« J'ai besoin de raconter mon histoire. Mais personne ne veut m'écouter. Personne ne se soucie de ma souffrance, des épreuves que j'ai endurées. Je suis victime de la violence de mon père et de mon mari. Ma mère m'a abandonnée. Je suis seule, sans le sou, sans personne pour m'aimer. Je n'ai nulle part où aller, pas même une chambre où je pourrais vivre et assurer un toit à ma fille....

commentaires (4)

QUE DE DINA DANS LES RUES..,. DANS DES MAISONS CLOSES... ET DANS DES SUPPOSES STUDIOS DE MASSAGE ET D,AUTRE... ET SURTOUT DES BARS DE LA BORDELLERIE... NULLE PART CES FLEAUX N,ONT PU ETRE CONTROLES ET LES POURVOYEURS ( POUR NE PAS DIRE LEUR NOM EN ARABE ) VIVENT CHICHEMENT AUX DEPENDS DE CES AMES QUE LE DESTIN A DAMNEES !

LA LIBRE EXPRESSION

15 h 41, le 16 mars 2016

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Commentaires (4)

  • QUE DE DINA DANS LES RUES..,. DANS DES MAISONS CLOSES... ET DANS DES SUPPOSES STUDIOS DE MASSAGE ET D,AUTRE... ET SURTOUT DES BARS DE LA BORDELLERIE... NULLE PART CES FLEAUX N,ONT PU ETRE CONTROLES ET LES POURVOYEURS ( POUR NE PAS DIRE LEUR NOM EN ARABE ) VIVENT CHICHEMENT AUX DEPENDS DE CES AMES QUE LE DESTIN A DAMNEES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    15 h 41, le 16 mars 2016

  • Il faut que l'Etat l'aide, c'est inhumain.

    Georges Zehil Daniele

    14 h 17, le 16 mars 2016

  • et vice versa ..

    FRIK-A-FRAK

    13 h 04, le 16 mars 2016

  • Pauvre femme... Il y en a tant comme elle... Pourquoi??????

    NAUFAL SORAYA

    07 h 12, le 16 mars 2016

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