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Liban - reportage

Les militaires libérés par al-Nosra ont passé un mois menottés et les yeux bandés

Malgré le bonheur des retrouvailles, les familles des ex-otages du Front al-Nosra ne peuvent pas s'empêcher de penser aux proches de ceux qui sont toujours détenus par le groupe État islamique.

Georges Khazzaka, originaire de Jdita, entouré de son fils, 4 ans, et de son père et sa mère.

Ils auront presque deux semaines de repos avant de rejoindre leurs postes militaires. Les seize otages libérés mardi passaient hier du temps dans leurs familles, après un an et quatre mois d'absence. Hier en matinée, certains se sont rendus auprès du secrétaire général de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, d'autres ont effectué des examens médicaux.

Le paysage est le même dans les villages de la Békaa, notamment à Jdita, Rayak et Douris. Des banderoles souhaitant la bienvenue à l'enfant du pays, libéré par le Front al-Nosra, ornent les rues. Ici et là se dressent des portraits géants des militaires relâchés. Les familles des anciens otages ainsi que les soldats et membres des FSI libérés étaient toujours comme stupéfaits de l'heureux dénouement de leur calvaire.

Les familles manquaient de mots et les militaires répondaient vaguement aux questions posées. Quelques rares informations concernant les conditions de leur détention ont filtré. Ces quelques détails ont été rapportés par leurs proches, même si les militaires ont opté pour le silence devant la presse.
Lors de leur premier mois de détention, les otages – soldats et membres des FSI – ont été interrogés par les hommes du Front al-Nosra. Ils sont restés tout un mois menottés et les yeux bandés.
Durant la période de captivité, les lieux de détention ont changé à plusieurs reprises. Les huit derniers mois, ils étaient dans une grotte d'où ils n'avaient pas le droit de sortir. Il y a presque un an, ils avaient été obligés de creuser une sorte de tranchée dans laquelle ils auraient dû être emprisonnés mais les lieux ont été bombardés. Et les militaires étaient soulagés du résultat du bombardement...

 

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Au cours des derniers mois, ils ne mangeaient que du blé concassé trempé dans de l'eau. Certains souffrent actuellement de problèmes à l'estomac. Hier, Ziad Omar, membre des FSI originaire de Baalbeck, qui souffrait du côlon avant sa détention, a été transporté en début d'après-midi en urgence à l'hôpital, indiquent des proches, affirmant qu'il avait une hémorragie. En fin de matinée hier, Pierre Geagea, membre des FSI, originaire de Barka, dans la Békaa, s'est également rendu à l'hôpital pour des analyses, rapportent ses proches.

Dans la Békaa, hier, les familles des militaires libérés ne pouvaient pas s'empêcher de penser aux autres familles moins chanceuses. Celles dont les fils sont toujours détenus par les miliciens de l'État islamique.
À Rayak, la mère de Mohammad Taleb, Samira, dont le fils a été libéré mardi, déclare : « Je n'arrive pas à penser que mon fils est avec moi désormais, alors qu'il reste encore neuf militaires pris en otage. Nous avons passé seize mois avec leurs familles. Nous avons tout partagé. Hier, malgré tout mon bonheur quand j'ai su que mon fils est sorti, j'ai pensé à eux. »

Mohammad, père de trois enfants, âgés entre quatre et neuf ans, qui ont décidé hier de ne pas aller à l'école pour célébrer le retour de leur père à la maison, est sorti tôt de chez lui pour se rendre à Beyrouth, où il s'est entretenu, comme d'autres militaires libérés, avec le directeur général de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim.
« C'était une éternité, soupire encore Samira. Durant les trois derniers jours, j'ai cru que j'allais mourir en attendant. »

(Lire aussi : « Nous craignons que les otages détenus par Daech aient été liquidés », souligne l’épouse d’un soldat)

 

Le couteau à la gorge
Douris, le village de Abbas Mchayk, père de trois enfants, dont le tout dernier, Hussein, âgé d'un an, est né alors que son papa était en détention.
Des guirlandes multicolores et des guirlandes lumineuses propres aux décorations de fin d'année, des boules de Noël argentées, des rubans jaunes et bleus et des bouts de tulle rouge et blanc ornent l'entrée de la maison.
Abbas, 35 ans, membre des FSI, grand sourire et poignée de main solide, refuse de parler à la presse. Le Front al-Nosra avait à plusieurs reprises menacé de l'exécuter. « À diverses occasions, ils lui ont mis le couteau à la gorge. À des moments, je pensais qu'ils (les militaires détenus) n'en sortiraient pas vivants », raconte un proche.
L'épouse de Abbas, Zahra, souligne qu'elle s'était rendue avec ses trois enfants à deux reprises dans le jurd de Ersal. Elle avait réussi à voir son mari. « La première fois, le tout petit avait quelques mois. Je tenais à ce que Abbas voit son benjamin. À chaque fois, je rentrai à la maison la mort dans l'âme. Je suis profondément croyante, mais il y a eu des moments où j'ai perdu espoir », dit-elle.

Abbas Mchayk souffre d'une malformation congénitale au foie. Une condition qui nécessite la prise quotidienne de médicaments. Le militaire a passé plusieurs semaines sans ses médicaments mais ses geôliers ont été plus cléments plus tard. « Parfois, je faisais en sorte de lui en envoyer moi-même », poursuit-elle.
Zahra ne veut pas évoquer l'enfer qu'elle a vécu durant ces seize mois. Elle parle de son bonheur de retrouver son mari. « Je n'arrive pas à mettre des mots sur ce que je ressens, note-t-elle. Je tiens seulement à remercier tous ceux qui ont œuvré pour la libération des militaires. J'aurai souhaité que le malheur des familles des soldats et des policiers toujours détenus par l'État islamique s'achève avec le nôtre. Cela n'a pas été le cas. Il ne faut pas baisser les bras. Eux aussi méritent de voir leurs bien-aimés rentrer à la maison », ajoute-t-elle.

(Lire aussi : Au lendemain de sa libération, Georges Khoury, ex-otage, revient sur ses conditions de détention)

 

« Le plus beau cadeau de ma vie»
Jdita, un arc de triomphe, à base de ballons blancs, rouges et verts, aux couleurs du Liban, orne l'entrée de la maison familiale de Georges Khazzaka, membre des FSI.
Comme chez tous les militaires libérés, la maison ne désemplit pas. Et comme partout ailleurs, il faut se servir à plusieurs reprises du grand plateau de baklawa pour souhaiter la bienvenue au militaire rentré au bercail.

Georges Khazzaka, 32 ans, a, lui aussi, la poignée de main solide. Il est le père d'un garçon de quatre ans, Charbel, qui ne quitte pas depuis hier les genoux de son père et qui raconte à qui veut l'entendre qu'il n'a pas été à l'école pour rester à la maison avec son papa. Georges Khazzaka a cinq sœurs et pas de frères.
Son père, Nicolas, retraité de l'armée, et sa mère Lili avouent que depuis seize mois, ils n'ont pas eu une seule bonne nuit de sommeil.
« Toutes les nuits, je me réveillais en sursaut. Je me mettais à la fenêtre. J'attendais... avoue Lili. Même si mes autres enfants étaient avec moi, la maison était vide sans lui, poursuit-elle. En seize mois, je n'ai jamais perdu espoir. J'ai mis une relique de saint Charbel sur son portrait et j'ai attendu », dit-elle.
Le père du militaire confie de son côté : « Je suis un homme croyant. Tous les soirs, je parlais à la Sainte Vierge en lui disant : "Rends-le moi vivant." Elle m'a exaucé. » Nicolas Khazzaka ne veut plus parler des seize mois d'enfer vécus. « Nous nous sommes remis à vivre il y a tout juste 24 heures. Voir mon fils à nouveau près de moi, est le plus beau cadeau que la vie m'a fait. »

Georges Khazzaka parle à peine de ses longs mois de détention. Il affirme qu'il était bien traité. Le moment le plus difficile ? « Un jour, ma famille m'a rendu visite dans le jurd de Ersal. C'était avant la fête du Fitr. Je croyais que je serais relâché, que je partirais avec les miens. Quand ma famille est partie, le sang s'est glacé dans mes veines, c'est comme si tout mon cerveau s'était figé. »
Georges Khazzaka sait, comme tous les autres militaires libérés, qu'il lui faudra du temps pour se réadapter à la vie. Il sait aussi qu'il n'oubliera jamais.


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