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Moyen Orient et Monde - Quatre ans après le soulèvement en Syrie

« Aujourd’hui, je ne peux plus accepter de ne pas être libre »

Mohammad, un jeune Syrien devenu photographe de guerre dans son pays, raconte sa vie depuis le début de l'insurrection.

Une petite fille entretenant un feu à Harasta el-Kantara, dans le rif de Damas, en avril 2014.

En 2011, quand éclate le soulèvement populaire contre le régime de Bachar el-Assad, Mohammad Abdallah vit à Barzeh el-Balad, un quartier de Damas. Il a 29 ans et suit des études de traduction. La mère de Mohammad est originaire du Caucase et son père, syrien de confession alaouite, est agent des services de renseignements.
« Je me rendais à toutes les manifestations, je ne demandais pas la chute du régime, je demandais la liberté », se souvient le jeune Syrien, interviewé à Beyrouth. « Le goût de la liberté », c'est tout ce qui lui reste aujourd'hui. « Je viens de réaliser que quatre années ont passé depuis le début de la révolte », dit-il avec une triste lueur dans les yeux.


En avril 2011, quelques semaines après le début du soulèvement, Mohammad est arrêté à un barrage de l'armée. Il ne s'inquiète pas outre mesure, pensant que la mention de sa confession – celle du président – sur sa carte d'identité va le protéger.
« J'ai attendu dans une pièce, les yeux bandés. Puis on m'a roué de coups avant de me transférer d'un bureau de renseignements à un autre. À chaque fois qu'ils voyaient que j'étais alaouite, ils me frappaient encore plus fort, ils disaient que j'étais un traître et me crachaient dessus », raconte-t-il. Le calvaire dure une semaine, jusqu'à ce que le père de Mohammad obtienne sa libération contre un pot-de-vin de 60 000 livres syriennes (un peu plus de 1 200 dollars à l'époque).


« Il était très fâché mais aussi très inquiet pour moi. Il disait que j'étais un jeune homme éduqué et que je ne devais pas participer aux manifestations », poursuit-il. Mais cela n'est pas suffisant pour convaincre le jeune homme. En juillet 2011, il manifeste à Hama, en novembre 2011 à Homs et en 2012 à Zabadani. « Pendant toute cette période, j'avais toujours sur moi de quoi me faire une injection contre le tétanos et des poches de sérum au cas où un manifestant était touché par les balles du régime, se souvient Mohammad. Quand je repense à tout cela, je me demande comment j'ai fait pour être aussi courageux. »


Jusqu'en avril 2012, Mohammad se fait relativement discret lors des manifestations. Mais à cette date, il se rend avec deux amies dans un centre commercial avec des pancartes où il est inscrit « Arrêtez de tuer, nous voulons bâtir un pays pour tous les Syriens ».
Ils sont rapidement arrêtés par les membres de la sécurité du centre qui sont en fait des agents des renseignements. Ils ne sont détenus qu'un jour, mais la vidéo de la scène se répand comme une traînée de poudre sur le web et dans les médias. Un mois plus tard, un ami activiste de Mohammad, Bassel Chehadé, un cinéaste de confession chrétienne, est tué par une roquette à Homs. Mohammad se rend à ses funérailles et se montre au grand jour avec la photo de Bassel en main. Il est filmé et les images sont retransmises sur plusieurs chaînes satellitaires arabes. Pour sa famille alaouite, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase, et le comportement de plusieurs de ses proches devient plus hostile. « Il était devenu évident que j'étais contre le régime, et à partir de là, j'ai commencé à être menacé de mort. »


Traqué par les SR, Mohammad ne se rend plus à l'université et se cache dans la Ghouta orientale, près de Damas, durant un mois. Mais en septembre 2012, le régime entre dans la Ghouta, Mohammad fuit au Liban. Son séjour sera de courte durée. Après s'être rendu dans des camps de refugiés pour aider ses compatriotes, il réalise que les Syriens qu'il doit aider sont ceux restés dans son pays en guerre. Il décide alors de rentrer en Syrie.

 

Les enfants morts de la Ghouta
« J'ai marché pendant toute une journée dans la neige dans la région de Ersal (Békaa-Nord) pour pouvoir passer la frontière. Lorsque je suis arrivé au Qalamoun, un soldat de l'Armée syrienne libre (ASL) m'a intercepté et m'a demandé de faire office de traducteur. » Mohammad se retrouve à traduire la conversation entre le soldat et un homme qui ne parle que l'anglais. Cet homme s'avère être un photographe de guerre de renommée internationale. C'est une occasion en or pour Mohammad, amateur de photo. « Il m'a proposé de l'accompagner durant son voyage en Syrie. J'ai commencé par être son traducteur, puis il m'a enseigné la profession de photographe sur le terrain. »


Devenu photographe, Mohammad fixera dans son objectif les combats entre l'ASL ou le Front al-Nosra et le régime, mais aussi des scènes du quotidien. Et des horreurs. Comme le 21 août 2013, quand il se rend dans un hôpital de la Ghouta orientale à Kafr Batna. « À mon arrivée, j'ai cru que les enfants dormaient. Puis j'ai vu du liquide blanc qui coulait de leur bouche et leurs bras étaient devenus bleus. Quand j'ai réalisé qu'ils étaient morts, j'ai eu comme une décharge électrique. » Malgré sa main qui tremble et les larmes qui emplissent ses yeux, Mohammad prend des photos. « Je voulais montrer au monde entier la réalité, photographier les preuves qu'ils avaient été tués dans une attaque chimique. » Après quelques clichés, Mohammad, qui a inhalé la matière chimique se trouvant sur les vêtements des enfants, s'évanouit. Il sera sauvé grâce à 20 injections d'atropine.


Des combats qu'il a photographiés, Mohammad se souvient surtout de ceux du 28 février 2013 à Jobar. Alors qu'il couvre les affrontements entre al-Nosra et le régime, une roquette, tirée par les soldats syriens, s'abat près de lui. Tout le côté droit de son corps, de son épaule à son genou, est gravement touché. « Les combattants d'al-Nosra m'ont emmené dans leur hôpital, j'y suis resté une semaine à attendre mon tour, puis ils m'ont opéré. » Jusqu'à aujourd'hui, Mohammad ne sait pas où se trouvait cet hôpital de campagne où il a été transféré et dont il est sorti les yeux bandés.


Quand il peut faire enlever ses plâtres, deux mois après l'opération, Mohammad veut reprendre des photos. De retour dans la Ghouta, il se déplace, appareil photo au cou, sur une chaise roulante. « Je prenais le quotidien de mes compatriotes en photo. Nous vivions sans pain, le régime avait coupé l'eau, le prix du mazout avait explosé, certains hôpitaux avaient fermé leurs portes, les médicaments étaient devenus de plus en plus rares. Il n'y avait plus que 350 000 personnes dans la Ghouta, alors qu'avant la guerre il y en avait plus de 800 000. »
Les semaines, les mois passent, et le genou de Mohammad ne se remet pas. En août 2014, il revient au Liban, grâce aux services d'un passeur payé 4 000 dollars. Aujourd'hui, le jeune homme attend de pouvoir partir à l'étranger pour se faire opérer.


Malgré les blessures et les traumatismes, quand il repense aux manifestations, à cette « révolte de la dignité », Mohammad est très fier. « Dans un pays où les murs ont des oreilles, les Syriens ont osé dire non, dit-il. Tout ce qui me reste de la révolte syrienne, c'est le goût de la liberté. Mais c'est déjà beaucoup. Aujourd'hui, je ne peux plus accepter de ne pas être libre. »
Sa tristesse, sa grande tristesse, est de voir ces enfants qui sont nés et qui grandissent dans une Syrie en conflit. « Ils ne connaissent que la guerre et savent mieux ce que sont les funérailles et les martyrs qu'une poupée ou un jouet. »

 

 

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En 2011, quand éclate le soulèvement populaire contre le régime de Bachar el-Assad, Mohammad Abdallah vit à Barzeh el-Balad, un quartier de Damas. Il a 29 ans et suit des études de traduction. La mère de Mohammad est originaire du Caucase et son père, syrien de confession alaouite, est agent des services de renseignements.« Je me rendais à toutes les manifestations, je ne demandais pas...

commentaires (3)

Tout à fait. Enfin bien dit !

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

10 h 25, le 21 mars 2015

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Commentaires (3)

  • Tout à fait. Enfin bien dit !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    10 h 25, le 21 mars 2015

  • APRÈS TANT DE MARTYRS... LA LIBERTÉ ACHETÉE AU PRIX DE TANT DE SANG NE DEVRAIT PLUS ÊTRE NÉGOTIABLE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 16, le 21 mars 2015

  • Et le drame continue pour une Syrie au sort inconnu toujours .

    Sabbagha Antoine

    13 h 37, le 20 mars 2015

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