Les récentes déclarations du ministre de la Santé Waël Bou Faour ont fait office d'une véritable bombe médiatique et populaire dans la rue libanaise et sur les réseaux sociaux. Se doutant depuis longtemps des conditions sanitaires douteuses de certains établissements et restaurateurs, les Libanais en ont eu la confirmation mardi, applaudissant chaleureusement le ministre pour « son courage » d'avoir cité les noms des établissements présentant des produits avariés, et d'autres où l'hygiène fait défaut.
Rapidement, les Libanais ont crié au scandale, se promettant de ne plus jamais manger dehors. Et si la liste rendue publique par le ministre Bou Faour notait parfois un seul produit avarié dans l'un des restaurants, il va de soi que les gens peineront à comprendre que le reste des produits proposés par le même établissement sont plus que conformes aux critères de sûreté alimentaire.
De ce fait, et si l'initiative du ministre est louable a priori, vu que le secteur avait besoin de ce choc afin d'entamer une réforme, de nombreux responsables et organismes ont dénoncé l'approche adoptée par le ministre de la Santé, estimant qu'il a « mis en péril » l'industrie alimentaire locale et posant plus d'un point d'interrogation à ce sujet. Des questions auxquelles il sera nécessaire d'apporter des réponses bientôt afin de mieux comprendre si cette affaire méritait vraiment tout ce tapage médiatique.
(Voir ici la liste des entreprises incriminées par Bou Faour)
Des questions sans réponses
D'abord, le ministre de la Santé affirme que l'enquête menée a englobé plus de 1 000 commerces répartis sur l'ensemble du territoire, mais la liste révélée jusque-là ne semble pas couvrir tout le Liban, certaines régions ayant été omises. Si le ministre Bou Faour possède d'autres chiffres qu'il n'a pas jusque-là publiés, comme il affirme, il sera plus juste de les dévoiler au plus tôt afin d'éviter tout tort aux établissements déjà cités. Ensuite, la liste révélée mardi relève les infractions concernant certains produits dans certains établissements, les marquant de la mention « non conforme » (aux normes, NDLR), sans toutefois noter en quoi ces produits ne sont pas conformes et quels sont les critères d'évaluation. Par ailleurs, la liste ne semble pas exhaustive.
Va-t-on croire qu'une cinquantaine de restaurants seulement (la plupart étant des établissements reconnus) présenteraient des infractions sanitaires ? Si c'était le cas, il y a de quoi se réjouir. Qu'en est-il des petites épiceries et snacks présents en profusion en banlieue, dans la capitale et dans les villages? Enfin, ces résultats publiés sont-ils l'aboutissement d'une enquête basée sur plusieurs évaluations de ces établissements ou d'une unique visite surprise ?
Interrogées par L'Orient-Le Jour – le ministre de la Santé étant injoignable –, des sources proches des enquêteurs au sein du ministère de l'Économie et du Commerce ont affirmé que « des listes similaires à celles publiées hier sont émises au quotidien par les enquêteurs du ministère ». « Chaque jour, plus de 120 enquêteurs à Beyrouth seulement et de nombreux autres dans le reste du Liban se rendent en mission pour examiner les cuisines de divers établissements et présenter des rapports, ont-elles expliqué. Ces documents précisent quels sont les produits qui sont non conformes aux normes internationales, examinant par exemple si le taux de salmonelle est acceptable dans le poulet ou s'il dépasse la teneur habituelle. Ces listes publiées n'incriminent pas directement ces établissements auxquels nous envoyons des avertissements d'abord. Le dossier est alors déféré devant le parquet et de nombreuses visites s'imposent. Le juge étudie aussi l'historique du restaurant et c'est ainsi qu'il peut finalement décider d'une amende qui peut varier entre un et cent millions de livres libanaises. C'est pourquoi nous nous interrogeons : les listes publiées par le ministre Bou Faour sont-elles juste le résultat d'une seule visite en cuisine? » « Même si nous jugeons responsable de toute infraction le dernier maillon de la chaîne alimentaire, en l'occurrence le restaurant, il ne faut pas occulter que la violation peut être commise par le fournisseur, le distributeur, ou par l'erreur d'un simple employé, et que de nombreux établissements cités par M. Bou Faour ont affirmé n'avoir jamais reçu le moindre avertissement concernant leurs produits », ajoute-t-on de même source.
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Le point de vue de Hakim
Des affirmations reprises hier par le ministre de l'Économie Alain Hakim qui s'est confié à L'Orient-Le Jour : « Ce qui s'est passé hier n'est pas un scandale mais un travail routinier qui a été exposé à la télévision. Au ministère de l'Économie comme à la Santé et au Tourisme, nous traitons en moyenne 50 à 60 dossiers de plaintes par jour contre des entreprises diverses, que nous signons et envoyons à la justice, sur des questions de prix, de qualité... Chaque plainte a son degré d'importance. Il faut que la justice suive son cours et qu'une enquête soit ouverte pour savoir pourquoi ce produit présenté au consommateur ne répond pas aux normes, et à quel niveau de la chaîne alimentaire sa qualité a été altérée. »
« Mais de manière générale, je ne suis pas pour le fait de nommer des entreprises, même si je ne suis pas favorable à leur assurer une couverture en cas de contravention », a ajouté le ministre qui a rappelé que des problèmes de sûreté alimentaire existent partout, même en Europe. « Il faut savoir qu'à ce jour, nous constatons une augmentation de 4 % de la consommation au Liban, ce qui est excellent. Le secteur alimentaire, en particulier, présente des chiffres positifs », a-t-il noté.
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Des réactions mitigées
La conférence de presse de M. Bou Faour a par ailleurs été critiquée par le ministre du Tourisme, Michel Pharaon, qui a estimé que celle-ci aura un impact négatif sur le tourisme, ajoutant que les informations publiées par le ministre ont besoin d'un examen plus approfondi. « Les contrevenants ne seront pas couverts », a-t-il toutefois assuré, estimant que plus de 90 % des restaurants au Liban respectent les règles de sécurité alimentaire. Recevant une délégation des propriétaires de restaurants, M. Pharaon a estimé que les intentions du ministre Bou Faour sont bonnes, mais précisé son désaccord avec le fait de nommer les établissements avant que ne soient émises des décisions judiciaires en ce sens.
De son côté, le vice-président de l'Union libanaise des syndicats touristiques, Ali Tabaja, a estimé que « M. Bou Faour a fait preuve de précipitation ». Quant au président du syndicat des propriétaires de restaurants, Tony Ramy, il s'est élevé contre ce qu'il a qualifié de « diffamation ». « La santé des Libanais est la priorité du secteur, et le syndicat refuse toute forme de diffamation avant que ne soient adressés des avertissements écrits et avant que ne soient publiées des décisions judiciaires condamnant des restaurants », a indiqué M. Ramy dans un communiqué. « Les normes de sûreté alimentaire diffèrent entre un ministère et un autre, entre une mentalité et une autre, et ce d'autant que la loi sur la sûreté alimentaire n'a pas encore vu le jour, a-t-il martelé. Il n'y a pas de loi précisant les normes imposées pour assurer la sûreté alimentaire. »
Il reste que l'initiative de M. Bou Faour a été saluée massivement par de nombreux responsables et organisations. Recevant le ministre au Grand Sérail, le Premier ministre Tammam Salam a salué les efforts qu'il déploie dans l'intérêt des citoyens et de leur santé, l'incitant à prendre les mesures légales adéquates à l'encontre de quiconque met la santé des Libanais en danger. Les positions du ministre de la Santé ont par ailleurs été saluées par l'Association pour la protection du consommateur, le président des organismes économiques Adnane Kassar, le bureau des médecins au sein du Parti socialiste progressiste, le bureau des syndicats au sein des Forces libanaises, les députés Simon Abiramia et Atef Majdalani, le secrétariat général du 14 Mars, les ministres Nabil de Freige, Akram Chehayeb et le député Robert Fadel, qui a salué « le courage de M. Bou Faour ». Le ministre des Affaires sociales, Rachid Derbas, a déclaré pour sa part que le chaos sécuritaire dans le pays a affecté négativement le dossier de la sûreté alimentaire, tandis que le ministre Akram Chehayeb a souligné l'importance « de former un comité ou une institution indépendants pour la sécurité alimentaire où les ministères, les administrations concernées et le secteur privé y seront représentés ».
Lors d'un atelier de travail relatif à la loi antitabac, le dossier alimentaire était également au menu des discussions. Le ministre de la Justice Achraf Rifi a sur ce plan avoué qu'il aurait préféré que les établissements ne soient pas nommés, pour éviter la diffamation, même si cela peut réduire les infractions. « Nous ne portons atteinte ni au tourisme ni à l'économie avec cette campagne. Notre objectif consiste à être au service de la santé des gens et à les protéger, a répondu Waël Bou Faour, également présent. Le citoyen doit savoir. Nous avons demandé au ministère de l'Intérieur de fermer certaines cuisines contenant des produits avariés, mais combien de citoyens continueront à manger ces produits en attendant une hypothétique mise en application ? »
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commentaires (8)
Avant de penser aux touristes potentiels, pensons a nos enfants, a nos amis, a nos familles et a nous. Le fait de publier ces informations met une pression sur les restaurateurs, afin de les stimuler a s'informer et adopter des normes internationales. La mauvaise foi de certains est evidente! Ils ont l'obligation en tant que restaurateurs de maitriser les differentes etapes de leur metier. Bravo au Ministre Bou Faour. Surtout qu'il ne s'arrete pas en si bonne voie!
Carine Husni
12 h 49, le 13 novembre 2014