L'acheminement vers le vide présidentiel se confirme progressivement. Les députés émettent ouvertement déjà leurs doutes sur la tenue de la prochaine séance électorale mercredi prochain, faute d'assurer le quorum des deux tiers. Il est fort probable que ce scénario se répète jusqu'au 25 mai, toutes les parties politiques s'étant entendues sur l'exigence du quorum des deux tiers pour la tenue de chaque séance, y compris au cours des dix derniers jours qui précèdent la fin du mandat présidentiel. Cette interprétation du texte constitutionnel est critiquable puisqu'elle fait fi carrément de la disposition relative à l'élection d'un président à la majorité absolue aux tours de scrutin qui suivent le premier tour.
Toutefois, d'un point de vue politique – et c'est ce qui a toujours compté – cette interprétation concoctée par le président de la Chambre sied actuellement à toutes les parties. En effet, le quorum des deux tiers ôte a priori leurs chances aux 14 Mars et 8 Mars d'imposer un candidat qui aurait réussi à rallier les votes des députés centristes, et donc à assurer le quorum de la majorité absolue.
Cet équilibre favorable au consensus, qui revêt désormais un sens antinomique à la bataille électorale, s'est établi depuis la première séance électorale mercredi. L'élan démocratique que les 124 députés ont convenu de montrer en se présentant à l'hémicycle a été aussitôt amorti par le retrait des députés du Changement et de la Réforme et du Hezbollah dès la fin du premier tour de scrutin, faisant avorter le second tour, et donc la possibilité d'élire un président à l'issue d'une bataille électorale en bonne et due forme.
Si ce premier tour de scrutin aura été « le plus près d'une présidentielle démocratique et purement libanaise », comme le relèvent de nombreux observateurs, il a été empêché d'aboutir. À peine amorcée, la dynamique électorale a été paralysée.
À l'heure où le patriarche maronite réitérait hier, à partir de Aïn el-Tiné, son appel à l'élection « d'un président qui satisfait toutes les parties », ces mêmes parties pataugent depuis mercredi dans un attentisme, que certains tentent d'exploiter en vue de décrocher ce fameux « consensus ». Il en va ainsi principalement du président Amine Gemayel et du général Michel Aoun.
D'abord, l'engagement du bloc des Kataëb en faveur de Samir Geagea est mis en doute dans certains milieux du 14 Mars, à la lumière des résultats du premier tour de scrutin. Certains rapportent avoir ressenti « une perplexité » parmi les députés des Forces libanaises, qui s'attendaient à décrocher au moins 50 voix, précisément 51. Plongés dans le réexamen des pointages à l'issue du premier tour, ils tentaient de repérer les trois députés ayant failli à leur engagement.
(Repère : Qui, quand, comment... Le manuel de l'élection présidentielle libanaise)
Nul ne peut prétendre détenir la vérité sur la répartition des votes. L'on peut retenir toutefois une version, apportée par des milieux du Futur. Le candidat Henri Helou aurait réussi à rallier trois votes inattendus, mus par des intérêts électoraux ou des affinités personnelles. Il s'agirait des votes respectifs du député Sélim Karam (Marada) et de Farid el-Khazen (Changement et de la Réforme), et de Fadi Habre (Kataëb), qui en auraient informé à l'avance leur chef de bloc respectif. Un observateur rapporte, pour la petite histoire, que le député Abdellatif Zein avait failli voter Henri Helou, s'il n'avait été repéré en train d'inscrire un nom sur son bulletin de vote par le ministre Ali Hassan Khalil, qui en a immédiatement informé Nabih Berry.
Quoi qu'il en soit, ces trois votes auraient permis de dissimuler une partie des bulletins blancs non prévus par les pointages et qui seraient ceux des Kataëb, selon les mêmes milieux. Il va sans dire que le doute plane entre les différentes parties elles-mêmes.
(Voir : Qu'attendez-vous du prochain président ? Les Libanais, à travers le pays, répondent)
C'est ce même doute qui entoure par ailleurs la nature de l'ouverture entre le général Michel Aoun et le leader du Futur Saad Hariri. Les députés du Futur continuent de réfuter catégoriquement cette ouverture qui se traduirait par leur appui à la candidature de Michel Aoun. Ces milieux contestent surtout l'authenticité du « consensus » par lequel le chef du CPL veut se positionner. « Il existe une profonde différence entre un candidat soutenu par toutes les parties et un candidat qui veut s'imposer comme le produit d'une solution régionale », relève un député du 14 Mars.
Plus que l'attente donc, c'est ce genre de solution que craint le 14 Mars : une entente saoudo-iranienne serait seule à même de garantir l'arrivée du général Aoun à la présidence, renouant avec la tradition d'attendre une solution convenue à l'étranger. Ce n'est pas cette tradition qui est critiquée, mais « le fait de l'avoir ramenée de force au cœur de la présidentielle, en prétextant de surcroît le souci d'un consensus interne ».
Mais ces députés du 14 Mars ont beau transmettre leurs critiques, Saad Hariri pourrait se trouver face à une alternative difficile : le vide ou Michel Aoun.
(Lire aussi : Geagea salue « une victoire pour la démocratie, grâce au 14 Mars »)
Cette même logique est invoquée en contrepartie par le 8 Mars, qui met en garde contre l'équation de Samir Geagea ou le vide. Sauf que le vide serait principalement craint par le 14 Mars, et précisément par Saad Hariri, puisqu'il paverait la voie à l'Assemblée constituante, à laquelle appelle le Hezbollah, depuis qu'il a préconisé, lors de la conférence de Saint-Cloud, la substitution de la parité par la règle des trois tiers.
D'où la cour assidue qui est faite aux joumblattistes dans l'espoir de les amener à se rapprocher de l'idée d'un accord avec le 14 Mars. Le vice-président du courant du Futur, l'ancien député Antoine Andraos, a d'ailleurs appelé à « une nouvelle stratégie et une nouvelle démarche à l'égard de Walid Joumblatt », à l'issue de sa visite au ministre Boutros Harb. Le leader des FL, Samir Geagea, a adressé lui aussi un message direct à Walid Joumblatt, lors de son interview télévisée diffusée en soirée en lançant à l'intention du leader socialiste que « seule l'édification d'un État effectif sauvera le Liban ». Sauf que l'apport souhaité du groupe Joumblatt n'est pas suffisant pour atteindre le quorum des 86 députés susceptible d'assurer l'élection.
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commentaires (8)
CORRECTION ! Merci : "le résultat obtenu avec ces 52 votes Noircis-blanchis correspond sans doute au souhait de ces 8 Martiens simplets et Aigris..."
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
14 h 55, le 27 avril 2014