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À La Une - Liban

Beirut Art Fair : Aller à la chasse à la culture

Pour sa quatrième édition, Beirut Art Fair (au BIEL) a élargi l’horizon et table sur la diversité et les artistes émergents. Branle-bas pour à peine quatre jours (du 19 au 22 septembre) sous le chapiteau pour retrouver peintres, photographes, sculpteurs et designers libanais et étrangers de tous crins. Unique carré de notre capitale où l’art se porte mieux que les gens...

Une œuvre de David Chan.

Presque quatre mille mètres carrés (pour être très précis 3950 m2) en front de mer, 46 galeries, 14 pays, 200 artistes et 3000 œuvres d’art. Pour un événement mêlant hardiment les genres où le public est invité – même en «out doors», hors de l’espace du BIEL, en paysage urbain (du 18 au 24 septembre) – à se promener entre toiles et couleurs, objets de design divers, installations, photographies et sculptures en plusieurs et différents
matériaux.
Monde bigarré, hybride et trop plein comme un bazar rutilant, mais bien rangé où le «déjà-vu» côtoie la nouveauté et parfois l’insolite. Créations dans tous les sens du terme pour un univers où, non seulement l’Orient (avec une part léonine, quantitativement et qualitativement, pour le Liban) a sa voix et sa lumière, mais aussi l’Asie (Sud, Sud-Est), une certaine partie de l’Europe ainsi que deux voix, solitaires, de l’Amérique du Nord et du Sud.


Pour Beyrouth, saisie en ce moment de marasme économique et gainée par un état sécuritaire peu rassurant, mais toujours très active côté galeries et peinture, le dynamisme ne se limite pas à ressortir du placard certains noms, artistes ou toiles, bref à aérer et gratter les fonds des tiroirs, mais à présenter des œuvres nouvelles, des percées qu’on aurait tort d’ignorer ou de bouder. Et les galeristes en lice, sauf quelques-uns, rivalisent d’inventivité et de variations autour de produits déjà généreusement exposés tout au long de l’année ou du parcours de leurs poulains.  

 

Lithographie de Kameel Hawa.

On passe outre le dépoussiérage des œuvres du défunt Élie Kanaan, les palettes surexposées de Hussein Madi, Saïd, Oussama ou Ayman Baalbacki, les nouveaux battants et stars de la peinture libanaise actuelle, Paul Guiragossian et sa progéniture toute marquée par le pinceau, et les sempiternels insipides coloriages de Missak Terzian.
Et on retrouve avec plaisir, par exemple, la force et l’originalité de suggestion de Chawky Frenn avec ses souriants masques de la mort...
On s’arrête volontiers sur ce qui vient de Syrie, d’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Pour la découverte et la satisfaction d’un certain sens de la curiosité. Même si la production est distillée un peu au compte-gouttes à côté de la profusion, souvent répétitive mais d’un dynamisme certain, des œuvres présentées par les galeries du pays du Cèdre que le public ne cesse d’ailleurs assidûment de fréquenter. En témoigne, dans une ville saisie de léthargie, ce nombre accru de centres d’art qui poussent comme des champignons tout en clamant qu’on ne fait pas suffisamment florès dans le métier.


Femme pensive avec une robe «matissienne» de Kameel Hawa de Djeddah, Les Trois grâces, non pas de Raphaël ou de Carpeaux, mais selon Nasr Warour de Damas, ainsi qu’un hakawati et le cheval de Antar, en un subtil et minutieux désordre organisé de Boutros al-Maari, toujours des rives du Barada. Tout en soulignant la beauté des sculptures – lettres arabes emmêlées – murales de Simeen Farhat, on aurait aimé connaître d’une galerie de Dubaï autre chose que cette calligraphie en saillie, telle une redite, car déjà précédemment offerte aux regards du public.


Sans être en rupture de ton, l’Europe offre un florilège d’œuvres qui sonnent haut et fort. Tout en donnant la voix et la présence à des artistes étrangers, souvent originaires de pays arabes ou d’Afrique.
Magie en touches de feux d’artifice des rives du Bosphore pour Istanbul érigé avec le chatoiement d’un conte des mille et une nuits sous le pinceau et la palette débridés de Amey. Crise d’identité avec Sabyl Ghoussoub où trois personnages de religions monothéistes sont en quête d’attitude à offrir. Pour soi et pour les autres.


Dans une ronde effrénée, vibrations intenses pour des couleurs pétaradantes avec Soly Cissé. Portraits à la Bacon avec Hom Nguyen, qui a une carrière d’artiste-artisan iconoclaste: il a le talent de patiner les chaussures! De Belgique, la série de graffitis sur «skateboard» est certes ludique (avec pour l’une, la signature en reproduction de Jeff Koons), mais ne manque pas de pertinence moderne. L’espace urbain du Portugal est perçu comme une grille sélective où même dans les HLM on peut être heureux et paisible, selon la vision de Driss Quadahi qui parcelle l’architecture du bâtiment en ruche d’abeilles. 


De Chicago, le saisissant et violent baroque de Vivian Van Blerk, avec d’imperceptibles touches modernes, pour un fastueux cafouillis intitulé After the Party. Dans un ton aussi véhément mais d’un lyrisme moins aigu ou péremptoire sont les paysages poétiques échappés de Buenos Aires, avec une forêt saturée de brumes signée Edouardo Hoffmann. 

 

Une acrylique de Boutros al-Maari.

 


Le plus surprenant est sans doute l’apport des œuvres des neuf galeries asiatiques. Travail d’une finesse extraordinaire avec une pulsion créative dont les données et représentations ont leur spécificité, leur singularité, leur savoir-faire précis et minutieux. Une absolue et époustouflante patience et grandeur dans le détail.
De Singapour, la torche lumineuse d’une silhouette aux couleurs incendiées signée Ruben Pang. Des Philippines, cette petite fille d’Annie Cabigting, assise dans un fauteuil, a le secret, le mystère et la densité d’un personnage «balthusien». De Bangkok, un caniche blanc salonnard sur fond de motif ramagé pour Attasit Aniwatchon. Et la palme d’ébouriffante minutie est attribuée à Kuala Lumpur pour la toile Le Monde est plat de Chang Yoong Chia où, avec un astucieux et vertigineux collage de bout de timbres et d’adhésifs, on aboutit à une carte d’une déconcertante netteté.

De la photo à la sculpture, en passant par le design
La photographie, avec ses multiples techniques de transformation, s’est hissée au premier rang des images. Non seulement témoignage ou dénonciation du moment vécu, mais aussi absolue fantaisie et univers parfois aux confins s’étalant du plus troublant des hyperréalismes au surréalisme le plus ahurissant.
De Caroline Tabet à Mohammad Abou el-Naga, des photos de Marilyn Monroe à celles de Picasso (avec brindilles, paillettes et perles fines), de ce Moujahid en turban de Aman Mojadidi aux subterfuges et mises en scène de Mohammad al-Hawajry, des corps étalés de Vassilios Paspalis à la superbe enclave des photos de la génération de guerre, reporters libanais nés dans les années 1960, la photo a pris toutes ses lettres de noblesse. Un album riche et diversifié, accusateur et libératoire où l’image est à la fois mémoire, souvenir, fantaisie, illusion et parfois même arme de combat pour une vérité nue et crue... Pour une lutte sans merci entre la vie et la mort, entre l’éclat et la flétrissure.


La section sculpture a aussi ses richesses et ses surprises. On retrouve un Ghassan Zard Abou Jaoudé plus déluré que jamais, plus proche de l’innocence de l’enfance que du désenchantement de l’âge adulte, avec ses tortues, mini ou méga (en bois ou alu), toutes au dos rond et lisse, en boule, avec une tête en tête d’épingle ou balle de ping-pong...
Sinueuse, sifflante et d’une allure reptilienne est cette silhouette en bronze de Claudia Elissar Chahine. Décousu et coupé comme l’homme invisible est ce jeune homme au sac en bronze de Bruno Catalano. Mais le plus frappant et sortant des sentiers battus sont les représentations venues de Singapour avec ce duo de personnages surréalistes échappés à un conte à la Cocteau filmant La Belle et la bête: femme avec tête de tigresse cachant un serpent qui se faufile vers un nouveau-né et un centaure à tête de lion portant collerette amidonnée sur cravate claire et veste noire étriquée... Chimères signées David Chan, faites d’aluminium et de fibre de verre peintes à la main.


Signe des temps avec les bonbonnes de gaz toutes tailles confondues, à tons terreux et boueux, comme des grenades à dégoupiller, en rang de soldats par Samar Mogharbel. Mélange de bois, de «steel» galvanisé et peint, cuivre, bois et éléments luminescents pour un ensemble, formant un banc tout en équilibre et illusoire fragilité, signé Martin Boyce. Femmes assises, intégralement nues, en résine et bois, pour un moment de regard, reflété comme un miroir, et c’est l’œuvre de Choi Xooang. Cheveux au vent, lunettes sur le nez, un pilote dans un avion: figurine colorée digne d’être un joyeux gadget d’enfant. Pour ce vol plané, léger et insouciant, fibre, plastique renforcé, papier coréen, peinture orientale, fusain et tout le talentueux savoir-faire de Yim Tae Kyu.

 

Une huile de Chawky Frem.


Entrée en grande pompe des designers ou des boîtes de design dans la ronde culturelle. Bokja n’est plus à présenter: recyclage vif et amusant, mais non sans élégance et esprit. Karen Chekerdjian s’affirme dans un monde à la fois feutré et froid, moderne, lisse, aux lignes pures et étudiées, aux courbes fières et tendres. Notamment ce paravent-confessionnal en cuivre et métal brossé. Orientalisme revisité et réactualisé avec Nada Debs, qui joue aussi bien des formes que du mouvement décoratif. Amusantes sont sans nul doute les tables basses, alliance du métal et du bois, de Diana Tabbara qui ont des allures d’ovni d’une autre planète. À ajuster et assembler selon une certaine humeur ou fantaisie, dans la logique d’un puzzle...


La plateforme de la BLC Design reste un espace pour découvrir de jeunes talents, presque en herbe, car encore peu familiers du grand public. Une dizaine de noms dont les travaux captent l’attention. Les lampes en cané de Nayef Francis et les tables Floppy Disk de Deema Kotob, par exemple.
Une petite pensée et un geste de solidarité pour les moins favorisés ou nantis avec la Lebanese Autisme Society qui propose, par le biais du pinceau de Ali Tlaïs, une rafraîchissante promenade sous des arbres en fleurs. Tout comme ces skateboards peints, dont un certain bénéfice des ventes est versé à une ONG pour les enfants d’Afghanistan et du Cambodge.


Beirut Art Fair, dans sa quatrième édition, se veut non seulement un point de rencontre, de choc et de fusion de culture, mais aussi un point d’opulence artistique, d’échange entre artistes et communion entre créateurs et public.
Trois mille œuvres étalées sur quatre mille mètres carrés pour seulement trois jours. En faisant le compte que l’ouverture a eu lieu jeudi soir (et on démantèle dimanche soir!), c’est bien peu et bref. Les frais sont somptuaires, lâchent les organisateurs. Heureux, et on veut absolument le croire, dans une capitale telle que Beyrouth où le citoyen étouffe entre embouteillages monstrueux et délirants et difficultés économiques et sécuritaires, que l’art ait des allures aussi flamboyantes. Une foire, c’est toujours pour une activité payante, en principe lucrative. Alors, dans ces conditions, pour quel public, pour quels acheteurs ?
Mais déjà on parle de la prochaine date, mais ailleurs: celle du 27-30 novembre 2014 où Singapore Art Fair aura un pavillon à l’honneur du Liban.

 

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