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À La Une - Reportage

Porter la barbe et le niqab peut devenir dangereux en Égypte

Les médias alimentent une chasse aux sorcières contre les signes ostensibles de piété.

Une nuée de femmes en niqab défilent lors d’une manifestation pro-Morsi... Elles sont désormais assimilées aux Frères musulmans dont certains dirigeants avaient émis le souhait de généraliser le port du voile. Asif Hassan/AFP

Abdel Salam Badr n’avait pas le choix : il a rasé sa barbe car en Égypte, depuis que les forces de l’ordre répriment dans le sang les partisans du président islamiste destitué Mohammad Morsi, les signes ostensibles de piété peuvent s’apparenter à une cible dans le dos.


Outre la nervosité des soldats et policiers aux innombrables barrages dont Le Caire est truffé, des milices de quartier, groupes de jeunes excités armés, s’en prennent violemment aux barbus et parfois aux femmes portant le voile intégral, le niqab.


Une majorité de la population a pris fait et cause pour l’armée qui a évincé M. Morsi, et les médias, publics comme privés, alimentent quasi unanimement cette chasse aux sorcières en diffusant en boucle des images de barbus armés qui ont fait le coup de feu quand les soldats et policiers ont lancé le premier assaut sur les manifestants islamistes il y a une semaine. Ainsi, la vidéo d’un homme portant barbe hirsute et drapeau jihadiste jetant des jeunes du haut d’un immeuble à Alexandrie, dans le Nord, a fait un tabac. Et les médias, à l’unisson avec le gouvernement, assimilent les Frères musulmans à des « terroristes ».


Les « comités populaires », le nom des milices de quartier, s’en donnent à cœur joie, notamment au Caire pendant le couvre-feu nocturne. Le gouvernement mis en place par l’armée, qui les a laissé faire plusieurs jours, les a finalement interdits en début de semaine, mais certains continuent à sévir impunément.

 


 « La vie est devenue plus sûre sans la barbe »
« J’étais dans un taxi collectif pour emmener à la morgue la dépouille d’un ami tué lors des manifestations lorsque j’ai été intercepté par des membres d’une milice parce que je portais la barbe, raconte avec amertume M. Badr, ingénieur de 29 ans, qui assure n’appartenir à aucun camp. Je n’ai dû mon salut qu’au fait que je transportais un mort. » Et c’est dans un petit salon de coiffure poussiéreux qu’il s’est fait raser « car la vie est devenue plus sûre sans la barbe ».
Barbe et niqab sont souvent les attributs des musulmans pieux, mais ceux qui les portent sont désormais assimilés aux Frères musulmans, dont certains dirigeants avaient émis le souhait de généraliser le port du voile quand M. Morsi était au pouvoir. Le problème, c’est que les groupes islamistes radicaux et violents, dont se distingue la confrérie, font aussi du port de la barbe hirsute un devoir.


« Les gens qui portent la barbe sont en train de payer pour certains des Frères musulmans et d’autres groupes islamistes qui ont recours à la violence » dans les manifestations, estime May Moujib, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire. Elle redoute aussi qu’avec les milices, les dérapages se multiplient.
Un photographe de presse occidental qui portait la barbe a ainsi préféré s’en séparer après avoir été apostrophé continuellement dans la rue, voire menacé, par des Égyptiens qui le prenaient pour un Frère musulman. Un chauffeur de taxi barbu avoue que des clients hésitent à faire appel à ses services. « C’est peut-être le début d’une campagne de boycottage des taxis barbus », s’interroge-t-il.


Mohammad Ibrahim, un pharmacien qui porte la barbe, indique avoir réaménagé ses horaires de travail et ses itinéraires pour éviter « les frictions avec les milices populaires ».
« L’hostilité des gens est plus dure que le harcèlement des policiers », souligne Mohammad Tolba, militant salafiste. « On veut observer un rite musulman mais on fait face à la haine de la population », déplore ce jeune qui a récemment lancé une série comique sur Internet dans laquelle il se met en scène avec des amis pour donner une autre image des salafistes.


« Prendre pour cible les barbus est un comportement déplorable qui menace la coexistence pacifique entre Égyptiens », s’indigne Nivine Messad, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire. « C’est un mauvais signe pour l’avenir et un indice sur une division des Égyptiens, et il faut que des sages interviennent pour mettre fin aux violences et aux incitations », conclut-elle.

 

 

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Commentaire

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