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À La Une - Représentation

« Incendies » enflamme Beyrouth

Dans le cadre du Festival du printemps de Beyrouth, le spectacle de Wajdi Mouawad a été présenté au théâtre al-Madina deux soirs de suite. L’intense émotion suscitée par la pièce s’est prolongée d’une vibrante discussion entre artistes et spectateurs.

Jeter de l’eau pour laver la honte de la famille...   Photo Marwan Assaf

«Maintenant que nous sommes ensemble, ça va mieux.» À la fois point de départ, cri du cœur et clef de l’intrigue, cette phrase hante la pièce de Wajdi Mouawad d’un bout à l’autre. Elle prenait un sens tout particulier ce soir-là, dans le cadre du Festival du printemps de Beyrouth. Au théâtre al-Madina, Incendies était donné pour la première fois devant ceux qu’elle dépeint sans nommer. Libanais et personnages libanais étaient enfin face à face.


Après un mutisme long de cinq années, Nawan quitte ce monde en laissant le soin à son notaire, Hermile Lebel, de transmettre ses dernières volontés à Jeanne et Simon, ses deux enfants qu’elle préfère appeler «les jumeaux». Elle leurs demande de partir à la recherche d’un frère dont ils ignoraient l’existence et d’un père qu’ils croyaient mort durant la guerre. Jeanne et Simon se lancent d’abord à contrecœur comme à contretemps dans cette odyssée dont ils pressentent à peine combien elle sera douloureuse. Ils remontent alors le fil d’une tragédie familiale et historique, découvrent l’horreur indicible de leur propre filiation. Le passé de leur mère se mélange à leur présent. L’héritage familial traverse les époques comme les frontières.


L’écriture est belle et féroce. Les jeux d’acteurs fins, parfois légers, souvent poignants. La scénographie d’une symbolique inépuisable. Tous les éléments s’accordent pour aborder avec justesse et gravité les sujets les plus noirs. L’absurdité de la guerre libanaise comme de toutes les guerres en premier chef. L’importance d’apprendre à lire à écrire et à penser surtout pour arrêter le cycle de vengeance perpétuelle également. Mais Incendies va au-delà même des guerres pour évoquer la douleur de la filiation comme le poids des erreurs. Intégrée à l’origine dans une tétralogie, la pièce qui tourne depuis dix ans déjà a souvent été comparée à une tragédie grecque. Deux jumeaux et une filiation faite de honte, comme une variante de l’histoire de la construction de Rome dans laquelle ce ne sont non plus les dieux mais les décisions qui sont à l’origine de funestes destins.

 

 

(Voir aussi, le programme de la fête de la Musique)



De la culpabilité d’exilé à la parole retrouvée
Dans Incendies, Jeanne et Simon découvrent qu’ils auraient pu s’appeler Jannaane et Sarwane et grandir dans ce Liban-Sud imprégné de massacres. Par là, leur histoire ressemble à celle de Wadji Mouawad comme à celle de tous ces exilés aux racines en forme de points d’interrogation. Né à Beyrouth en 1968, le metteur en scène a quitté le Liban alors qu’il n’avait que dix ans. Dès lors, il sera marqué par cette culpabilité obsédante de l’exilé qui échappe à la guerre «ou choisit de dire qu’il y a échappé comme pour payer la honte de ne pas connaître la totalité de cette guerre qu’on observait à la télé», explique-t-il. Après trois ans et demi de guerre civile, «ni plus ni moins», il a grandi dans un de ces «petits Libans recréés que l’on retrouve chez tous les exilés». Un petit Liban qui n’est fait que de douleur et de questions sans réponses. «Oublie», lui disait-on alors. «Maintenant, je raconte l’histoire de mon pays pour mon père. À son intention mais à sa place également», a-t-il expliqué au public.


Difficile de décrire l’ébranlement dans lequel la représentation a laissé tant les comédiens que le public. Comme le personnage de Nawad qui a choisi de se taire, mais envoie ses enfants dévoiler l’innommable, comme le père de Wajdi Mouawad qui choisissait le silence mais portait cette peine qui trouble l’enfant, le peuple libanais ne sait pas les mots qu’il lui faudrait poser sur son histoire et accepte, avide, le cadeau de cette pièce incandescente.


Le théâtre al-Madina a dû faire face à un afflux de spectateurs saisissant. Nombreux étaient ceux qui imploraient, à l’entrée, qu’on leur accorde les marches pour fauteuil afin d’assister à la pièce. Et la salle est restée presque comble pour l’échange de questions-réponses qui a suivi. Wajdi Mouawad a dû finir par refuser les questions qui auraient pu s’enchaîner jusqu’au petit matin. «Pourquoi cette pièce n’est pas traduite en arabe?» Cette question est revenue sans cesse. Traduite en vingt-quatre langues, Incendies est devenue un classique occupant aussi bien les planches des théâtres du monde entier, les écrans de cinéma avec l’adaptation de Denis Villeneuve, que les bureaux des lycéens. Pour autant, elle n’avait jamais été jouée au Liban à la fois terre d’origine de son auteur et lieu d’action jamais nommé du drame. Et elle n’est toujours pas traduite dans la langue du pays du Cèdre. «Si je vois un jour Incendies jouée en arabe, bien traduite, bien montée, je mourrais de sa beauté», s’est exclamé le metteur en scène d’origine libanaise qui confie avoir l’impression d’écrire «de l’arabe traduit en français.»

 

 

Wajdi Mouawad à Beyrouth, lors de la présentation du festival de printemps, en janvier 2013


Une discussion citoyenne sous le parrainage de Samir Kassir. Beaucoup d’intervenants disaient simplement merci. Des mercis émus et émouvants de ceux qui voient leur histoire enfin racontée par ces «météores dans notre ciel sans étoiles», a dit une spectatrice. Des météores à l’accent québécois qui étaient tout aussi ébranlés que leur auditoire. Richard Thériault interprétant le notaire a raconté son angoisse à l’approche de cette représentation l’amenant à parler de «ces millions de destins, de larmes et de traumatismes» au public libanais qui ne les connaît que trop bien. Le comédien a confié que «venir jouer cette pièce au Liban représente une grâce», concluant: «Je ne pourrais plus jamais la jouer de la même façon.» Wajdi Mouawad a pour autant précisé que la pièce ne porte pas tant sur la guerre libanaise, celle-ci n’étant qu’un «contexte». Un contexte de territoire occupé par une armée ennemie, de massacres et de vengeances entre frères, un contexte qui sonne très familier ici. Qu’importe qu’il ait omis les noms, mélangés les lieux, brouillés les pistes comme les cartes, les Libanais n’ont semblé que se reconnaître davantage dans ce récit. Si forte était l’émotion qu’elle a provoqué une discussion plus large sur le Liban et son impossible travail de mémoire qui le hante. Le public a débattu, se répondant les uns aux autres, oubliant presque le théâtre dans lequel ils se trouvaient. Une discussion citoyenne qui a fait honneur à la mémoire de Samir Kassir, ce que Mouawad, ému, a souligné.

 

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