Le cabinet verra-t-il le jour avant le 22 novembre, comme l'ont souhaité déjà plusieurs pôles politiques et spirituels, dont le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï ? Il est vrai que les vetos et contre-vetos successifs ont quelque peu plombé, ces derniers jours, la volonté, partagée par la plupart des protagonistes, d'entamer rapidement le mandat Aoun, placé sous le signe de la relance des institutions et de l'exigence de la stabilité.
Cependant, des sources bien informées, proches de la genèse du cabinet, précisent que la date du 22 novembre a été avancée en raison de sa symbolique – l'Indépendance – dans l'optique d'optimiser d'entrée de jeu le nouveau mandat et le nouveau régime. Toutefois, un risque a été pris, ainsi : celui de faire attendre une population avide de tourner la page du vide présidentiel et du blocage institutionnel, et, partant, de la décevoir rapidement par rapport à ses attentes. En d'autres termes, il s'agirait de l'effet boomerang d'un onirisme, ou d'un idéalisme trop prompt, et trop difficile à incarner dans l'ultraréalité politique locale. « Paradoxe à part, une semaine après la désignation du Premier ministre, l'impression est déjà que le gouvernement tarde à voir le jour », notent les sources précitées. Aussi celles-ci rappellent-elles, pour mémoire, que les trois derniers gouvernements ont mis plusieurs mois à voir le jour, également sur fond de bras-de-fer mémorables autour des noms de ministrables et de portefeuilles. Il est donc bien trop tôt pour parler de retard dans la formation du cabinet, soulignent les mêmes sources. Dans l'ordre des choses, la mise en place de l'équipe ministérielle pourrait prendre théoriquement jusqu'à un à deux mois de gestation sans que cela ne soit particulièrement choquant.
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Pour contourner l'impasse provoquée par le déluge des conditions des uns et des autres et optimiser la formation du cabinet, une idée aurait fait son chemin durant le week-end : celle d'opter pour un cabinet de 24 plutôt que de 30 ministres. Il s'agirait d'une formule plus leste, plus souple, plus compacte, moins encombrante, surtout pour la formation du cabinet : qui dit moins de portefeuilles à distribuer dit également moins de parties à satisfaire, faute de place. Les problèmes – appétits et rivalités – s'amenuiseraient de facto, faute d'espace pour tout le monde. D'autant que le corollaire naturel d'une telle formule serait la disparition des ministères d'État. Des sources proches de la Maison du Centre n'ont pas infirmé hier soir à L'Orient-Le Jour la possibilité de trancher en faveur d'une telle formule, si « elle s'avère être la meilleure », soulignant que l'idée d'un cabinet de 24 n'a, du reste, « jamais été abandonnée ».
Une formule de 24 signifierait donc pour tout le monde qu'il va falloir se serrer la ceinture et réduire ses ambitions. Ce serait là notamment, estiment des sources bien informées, le résultat d'un manque de coopération du président de la Chambre, Nabih Berry, qui n'aurait pas facilité la tâche au président de la République et au Premier ministre désigné.
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Voilà que, désormais, toutes les questions sont ouvertes sur la morphologie et la composition d'un cabinet de 24. Qu'adviendra-t-il d'abord des ministres qui n'appartiennent pas aux grands partis et aux grands blocs, si le nombre de portefeuilles se réduit ? Seront-ils sacrifiés sur l'autel de la représentation des « plus grands » ? La question se pose à titre d'exemple pour Talal Arslane, puisqu'il n'y a plus que deux ministres druzes dans une formule de 24 (ils seraient trois dans une formule de 30), et qu'ils pourraient tomber dans l'escarcelle de Walid Joumblatt. Une formule proposée serait de confier l'un des ministères grecs-orthodoxes à l'un des fidèles lieutenants du chef du Parti démocratique libanais, en l'occurrence l'ancien député Marwan Abou Fadel. Et le cas Arslane n'est pas le seul du genre.
Une autre question serait de savoir ce qu'il adviendrait des Marada et du parti Kataëb, qui avaient exprimé le souhait d'intégrer le cabinet, sans avoir accepté d'adhérer à la solution Aoun ? Il serait quand même question d'un portefeuille pour les Marada dans une formule de 24 – ce serait les Télécoms, la Santé ou l'Énergie. Le ton serait moins optimiste concernant le parti Kataëb, qui a pourtant manifesté une nette volonté de participer – auquel cas l'ex ministre de l'Économie Alain Hakim (grec-catholique), dit-on, retournerait au cabinet, pour avoir fait preuve de fidélité au parti au sein du cabinet Salam, aux heures cruciales. Le Hezbollah serait aussi peut-être affecté par ce remodelage et ne désignerait qu'un seul ministre pour le représenter, laissant ainsi la place à la participation d'une personnalité du Parti syrien national social.
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Les spéculations vont donc bon train et les tractations aussi. Ce qui est certain, c'est que le président de la République conserverait trois portefeuilles – maronite, grec-orthodoxe et minorités – dont deux iraient à Gebran Bassil et Élias Bou Saab. Ce dernier pourrait également se retrouver, dans ce cadre, vice-président du Conseil. Concernant le parti Tachnag, le nom d'Alexis Sarkis Demirdjian serait avancé.
Une autre exigence du gouvernement serait d'y intégrer des femmes. Le nom de l'ancienne ministre Leila Solh est encore sorti du lot hier, de même que celui de l'ancienne ministre Wafa' Diqa Hamzé, qui avait elle aussi fait partie du gouvernement Karamé, déraciné en février 2005 par la révolution du Cèdre.
Reste la question des ministères revenant aux Forces libanaises (FL). À ce propos, rien n'est encore certain. Dans le cadre d'une formule de 24, deux portefeuilles devraient en principe revenir aux FL. L'un des nœuds porte sur l'attribution d'un portefeuille régalien aux FL, en particulier la Défense. Mais le Hezbollah (plus particulièrement Wafiq Safa, « celui qui semble négocier vraiment pour le Hezb en lieu et place de M. Berry, contrairement à ce que le Hezb avait annoncé », s'étonnent certaines sources) y aurait opposé son veto par le biais de Gebran Bassil. Une source FL précise pour sa part que le parti chiite pose comme condition que le ministère soit une courroie de transition entre l'armée et la milice du Hezbollah, une hérésie que les FL pourraient difficilement accepter. La situation constitue un véritable test pour la solidité de l'accord de Meerab entre le Courant patriotique libre et les FL, et une sorte de baptême de feu pour le nouveau mandat. Certaines sources faisaient état hier d'un accord qui aurait été opéré permettant aux FL d'obtenir la Défense et d'y placer le général Wehbé Katicha. Mais d'autres sources paraissaient plus perplexes concernant ces informations, estimant que les FL seraient contraintes de se contenter, compte tenu du veto du Hezbollah, de la Justice et des Télécoms.
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commentaires (10)
Il l'aura son ministère régaliens + un autre !!
Bery tus
17 h 13, le 14 novembre 2016