Le Tunisien Mohammad Jebali et le Libanais Jean Chahid dans « Kalila wa Doumna ». Boris Horvat/AFP
L'opéra, genre éminemment occidental, n'a guère essaimé dans le monde arabe, hormis quelques tentatives dans les années 50 notamment au Caire, explique-t-il. C'est donc une création atypique, fruit du métissage de plusieurs cultures – compositeur palestinien, librettiste syrien, musiciens et chanteurs de tout l'arc méditerranéen, metteur en scène français – qui voit le jour.
Le parcours de Moneim Adwan, 46 ans, est à lui seul une saga : né à Rafah dans le bande de Gaza dans une famille de 17 enfants, il débute en apprenant le chant coranique, puis le répertoire classique et populaire. Il est aujourd'hui chanteur, interprète de oud et compositeur.
Il fait ses premiers pas à Aix en 2008: le directeur du festival Bernard Foccroulle, qui veut tisser des liens avec la Méditerranée, lui propose de monter un chœur d'amateurs pour accompagner l'opéra Zaide, mis en scène par l'Américain Peter Sellars.
Six ans plus tard, en 2014, une première histoire tirée du recueil de fables animalières Kalila wa Doumna, La Colombe, Le Renard et le héron voit le jour à Aix, comme « un test » pour la future création, explique-t-il.
Kalila wa Doumna est un grand classique de la littérature arabe, connu de tous les écoliers, comme le sont en France les fables de La Fontaine. « Je connais l'histoire depuis tout petit, j'avais six ans », dit-il.
Le recueil a été écrit au VIIIe siècle pour l'édification des princes. « Ce sont des histoires faites pour réfléchir, elles ont une portée universelle », ajoute-t-il.
« La fable raconte comment on pourrait changer un régime dictatorial sans violence, avec des histoires, de la musique et des chansons », dit-il. Un message pour le monde d'aujourd'hui, souligne Moneim Adwan, qui s'était engagé au moment du printemps arabes avec une série de concerts en 2013 en Jordanie, en Syrie et en Égypte.
Repas arabe sur une table française
Sur scène, cinq musiciens et autant de chanteurs racontent l'histoire du roi Lion et de son conseiller, Doumna, ivre de pouvoir. Doumna présente au roi le poète Chatraba, qui lui ouvre les yeux sur son peuple, loin des ors du palais. Jaloux, Doumna susurre dans l'oreille du roi que Chatraba attise la braise de la révolte auprès du peuple. Le poète sera assassiné mais « si vous tuez un poète, il renaîtra en mille chansons », promet le livret.
Pour l'écrire, Moneim Adwan a fait appel au poète syrien Fady Jomar, qui a fait six mois de prison en Syrie, avant de prendre la route de l'exil. « J'ai rencontré Fady sur Facebook et je lui ai demandé d'écrire le livret avec son expérience de la prison. »
La première réunion avec Fady Jomar se fait à Istanbul, car il n'a pas visa pour venir en France. « Nous avons rencontré toutes les complexités possibles », raconte en riant Émilie Delorme, directrice de l'Académie du festival qui porte le projet depuis 4 ans.
Les chanteurs sont des vedettes dans leur pays, comme la Libanaise Ranine Chaar, qui incarne Kalila, la douce sœur de Doumna, ou Jean Chahid (Chatraba), finaliste de la Star Ac libanaise. Les paroles de l'opéra sont en français et le chant en arabe dialectal.
Le metteur en scène Olivier Letellier a appris aux chanteurs à bouger, loin de la tradition arabe très statique.
Qualifié dans le quotidien algérien al-Watan de « Repas arabe sur une table française », l'opéra de poche est donné dans le petit théâtre du Jeu de paume d'Aix, un écrin parfait, où il a été bien accueilli par le public.
Il voyagera au Festival de Baalbeck au Liban, ainsi qu'à Lille, Le Mans, Dijon et Paris en France, avant une tournée mondiale en projet (Tunisie, Bahreïn, etc.).
Moneim Adwan rêve à présent d'un opéra à partir de cet autre grand classique de la culture arabe que sont Les Mille et une nuits.
Marie-Pierre FEREY/AFP