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Culture - Exposition

Quatorze talents s’exposent au BAC

N'en déplaise à certains, oui, c'est de l'art. Et du bon. De l'art qui parle du corps, de son sexe, de son genre, de sa mort, de sa maladie, de sa mémoire, de sa censure, de son exil, des idéologies et des militantismes qui l'animent... Le corps dans tous ses états, sujet à tous les débats au BAC, dans « Exposure 2013 ».

L’espace contestataire de Maxime Hourani.

Dans « Exposure 2013 », l'art des jeunes talents s'exhibe sur les murs du BAC, le Beirut Art Center, ce cube blanc de l'avant-garde culturelle beyrouthine qui offre annuellement ses murs immaculés à la jeunesse créatrice, à ces « artistes émergents résidents ou originaires du Liban ». Jusqu'au 11 janvier 2014, l'on peut ainsi voir une cuvée de quatorze artistes inégale, sertie d'œuvres plus ou moins percutantes, mais toujours intéressante. Pour cette cinquième édition, le jury était composé de Gregory Buchakjian (historien de l'art et artiste), Farès Chalabi (philosophe), Tarek Aboul-Foutouh (curateur) et Rania Stéphan (réalisatrice et artiste), en plus des membres du comité du BAC dont l'ensemble constitue une voix.
Bien qu'utilisant différents médias, Camila Salamé, Christine Kettaneh, Hélène Kazan, Inaya Hodeib et Maha Kays expriment des sentiments un peu similaires, attachés à la mémoire et au sentiment d'appartenance à un « home », à un foyer, à des racines.
Salamé, née en Colombie et vivant à Paris, a visité souvent le pays de ses ancêtres et développé ainsi une œuvre à forte résonance identitaire non dénuée de nostalgie, justement intitulée « Hypocondria of the Heart ». Sa sculpture de maison jaune, qui semble flotter sur un nuage de petits grains de lentilles de la même couleur, transmet bien cette impossibilité d'atteindre un logis perdu, idéalisé sans doute, mais toujours inaccessible.
Christine Kettaneh, artiste visuelle bardée de diplômes (beaux-arts et économie), présente ici une sorte de nouvelle écriture, mi-cunéiforme mi-gravée sur des plaques accrochées au mur, et imprimées sur un livre aux pages détachables. L'écrit, la matière et le langage sont les thèmes qu'elle explore dans ce travail.
Yasmina Haddad propose à travers ses sculptures une réflexion sur l'histoire d'une galerie de meubles beyrouthine spécialisée dans l'Art déco.
Inaya Hodeib présente là un grand autoportrait aux couleurs vives. Yeux tristes derrière une monture carrée, teint blanchi, lèvres carmin, gros bonnet à œillères et croquis de Goldorak (ou Grendizer), ce superhéros de télé qu'elle suivait, recroquevillée dans sa baignoire, lorsque les bombardements s'intensifiaient dans le Beyrouth de son enfance.
Dans un espace clos, Yasmine Eid Sabbagh et Rozenn Quéré invitent le visiteur à explorer la vie de quatre sœurs. Historienne, anthropologue et photographe, Sabbagh a vécu entre 2006 et 2011 dans le camp de Bourj el-Chemali, près de Tyr, où elle a mené un projet avec un groupe de jeunes Palestiniens. Avec Quéré, elle expose là « Vies possibles et imaginaires », une relecture des archives photographiques d'une famille, une installation multimédia où photos d'archives, récit oral, partitions musicales tissent l'histoire de quatre sœurs ayant vécu dans le Beyrouth des années 1960 puis séparées par la vie et l'exil.
Le visiteur s'attardera également sur l'œuvre de Waël Kodeih, Lost and Found. L'artiste, connu également sous le nom de Rayess Beik (le rappeur), est allé à la recherche de ces bouts de mamelon qui sont censurés sur Internet. Une militante avait enlevé le haut et posté ce « selfie » narguant en guise de protestation sur son profil virtuel. Le lendemain, en ouvrant sa page, elle découvre son torse uniforme, sans ses « papilles ». Elle lance alors un avis de recherche qui tombe dans les mains d'un curieux artiste libanais natif de Nabatiyeh. Qui décode l'algorithme suivi par les censeurs de mamelons. Il les chipe et les expose sur un ordinateur pour les restituer à leurs propriétaires d'origine.
Chez Shirine Abou Chacra, le corps prend une dimension plus cérémoniale. Dans « I think the World of It », une installation alliant son, échographie et deux performances enregistrées en vidéo, elle illustre la maladie qui l'a touchée il y a plusieurs années d'une manière à la fois poétique et poignante. Le cancer diagnostiqué, le traitement, la convalescence, la renaissance, un épisode de la vie, de sa vie qu'elle raconte ici par des gestes (le découpage et le rasage des cheveux, les entrailles qui s'entremêlent, les points rouges qui battent la chamade) comme un « rite laborieux de passage ».
Pour Maha Kays, le corps apparaît comme un spectre puis s'estompe sur le voile d'un rideau soufflé par le vent. En bas, on reconnaît un trottoir européen, sans doute parisien, ville où réside l'artiste actuellement. Puis retentit la sirène. Comme elle le fait une fois par mois, dans la Ville Lumière, pour commémorer les victimes de la Seconde Guerre mondiale. Dans As if it Was Berlin, Kays a superposé des images et des sons pour constituer une vidéo à trois scènes, où l'image s'accélère puis ralentit, sur un poème racontant la nécessité de fermer le tombeau sur un mort. Le cri strident de la sirène n'est pas sans rappeler le « son silencieux de la frayeur » qui règne sur Beyrouth...
Dans une cuvée à majorité féminine, Pedro Barakat fait figure d'outsider, surtout que ce dernier réfute l'appellation d'artiste. Dans Flânerie, il s'est armé d'un stylo et d'un carnet, puis il a attaqué les rues de Beyrouth. Sur papier, il fait des listes de tout et de n'importe quoi. Il répertorie et classe, inventorie et dresse des listes, encore des listes. De vendeurs de falafel, de minimarchés, de noms d'immeubles, de restos de burger, de conversations avec les chauffeurs de taxi... Il expose ici ses carnets et sa collection de douilles du fusil de chasse de son père...
Maxime Hourani aborde dans Disembodied Places : The Withdrawal from Geography les causes de la contestation. Il a monté tout un espace de « protestation » mettant cartons et crayons feutre à la disposition du visiteur afin que ce dernier y inscrive ses revendications. Une bibliothèque achalandée des « classiques » des grands penseurs du XXe siècle et de ses révolutionnaires est également proposée à ceux qui cherchent l'inspiration. L'apprenti contestataire est également invité à se faire tirer le portrait, son affiche brandie comme un trophée.
Mounira el-Qadiri n'a pas vu le soleil pendant deux ans car l'astre était caché derrière d'épais nuages noirs provoqués par les puits de pétrole en feu lors de la guerre du Golfe. Behind the Sun montre donc des rushs amateurs de ce feu qui a volé le soleil du Koweït.
Côté photographie, Lara Tabet explore des thèmes de mémoire, de traumatisme, de ville et de corps à travers ses images nimbées de tristesse et de noirceur.
Randa Mirza, quant à elle, s'amuse à jeter le trouble dans les esprits et les rétines du regardeur devant les portraits nus de personnes de sexe hybride. Le regard de ses modèles est franc, direct, sans une once de défi ou de provoc. Des images fictives, montées avec tellement de minutie que le doute sur leur véracité persiste, même après la découverte d'une petite enclave à travers laquelle le voyeur (en tout cas nous sommes mis sciemment dans cette position) aperçoit deux femmes nues sur un divan.

Exposure cuvée 2013
Shirine Abou Chacra, Mounira el-Qadiri, Pedro Barakat, Yasmine Eid Sabbagh, Rozenn Quéré, Yasmina Haddad, Inaya Fanis Hodeib, Maxime Hourani, Maha Kays, Hélène Kazan, Christine Kettaneh, Waël Kodeih, Randa Mirza, Camila Salamé et Lara Tabet.

Dans « Exposure 2013 », l'art des jeunes talents s'exhibe sur les murs du BAC, le Beirut Art Center, ce cube blanc de l'avant-garde culturelle beyrouthine qui offre annuellement ses murs immaculés à la jeunesse créatrice, à ces « artistes émergents résidents ou originaires du Liban ». Jusqu'au 11 janvier 2014, l'on peut ainsi voir une cuvée de quatorze artistes inégale, sertie...

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