La compagnie Eastman évoluant sur les planches de la Magnanerie aux sons de l’ensemble vocal corse A Filetta. Press Photo
Ce spectacle polyphonique cadre bien dans l’atmosphère ambiante. Il vient nous rappeler combien l’homme s’est éloigné de son humanité et de lui-même. Nous rappeler que l’histoire de l’humanité se répète elle-même et que l’on n’invente rien. Qu’il faudrait donc tirer des leçons du passé. Nous rappeler également qu’il faudrait retrouver les pièces perdues de ce grand puzzle humain, à l’image d’un Lego géant. L’homme a beau taper sur la pierre, renverser ou rouler la roche comme Sisyphe, construire des tours à l’image de celle de Babel, il finira toujours par en être prisonnier. Prisonnier des pierres, mais aussi de ce manque de communication qu’il instaure tous les jours, et des murs qu’il érige lui-même. Les images bibliques traversent le spectacle mais aussi des images d’autres religions car on sait combien le chorégraphe tient à l’union des croyances et des cultures. Preuve en est ce tag final sur le mur effectué par un danseur (semble-t-il improvisé pour l’occasion) : « Le Liban est un message de coexistence et de paix. »
Derrière la morosité, l’espoir ?
Une magnifique mise en scène, donc, qui compense une chorégraphie un peu éculée, s’étirant en longueur, plus d’une dizaine de danseurs de la compagnie Eastman empilant des blocs gris (à l’image de la grisaille de notre époque). Ils s’élèvent, retombent, roulent par terre. Ils tentent de se libérer, de se refaire une autre peau. Leurs gestes sont répétitifs, un peu lents. Le chorégraphe a voulu jouer la simplicité, l’épure, voire la tristesse. Et il a réussi ; il flotte une sorte de lourdeur dans la première demi-heure, une mélancolie presque insupportable. Et l’on a été tenté d’imaginer, juste pour quelques secondes, que ce jeu de pierres aurait bien résonné avec les grands blocs du temple de Bacchus. Mais vite l’idée est chassée et voilà qu’apparaît l’ensemble vocal masculin A Filetta, qui accompagne le chorégraphe belgo-marocain depuis 2003 et qui redonne magie et majesté au spectacle qui semble s’incruster dans la roche.
Les chanteurs seront suivis par la voix limpide et profonde de Fadia Tomb el-Hage. Cette polyphonie de voix issues de cultures différentes ranimera les pierres, qui résonneront aux plaintes de ce coryphée semblant sortir d’une véritable tragédie grecque.
Les sept voix, dont une seule féminine, s’élèvent en un seul chant tantôt lyrique, tantôt populaire, et vont soudain faire basculer les pierres. La roche statique devient mobile, vibrante. Le répertoire traditionnel corse mêlé à l’oriental (traversé par des extraits inspirés de la liturgie) se mélange en toute harmonie avec les sons du flûtiste et percussionniste japonais Kazunari Abe, donnant un souffle humaniste et universel aux tableaux de danse qui se succèdent. C’est ce que souhaite Cherkaoui. Essayer de comprendre comment les pièces éparses d’un puzzle peuvent s’imbriquer l’une dans l’autre, formant un tout harmonieux, quelles que soient leurs origines. Pas de dissonances entre mouvements et chants formant un tout. Il n’a plus sur scène qu’un mouvement unanime qui va crescendo pour la survie de l’homme.
Reportage vidéo
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