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Culture - Cimaises

Fragrance des villes avec Mireille Goguikian

Vingt-cinq ans de peinture. Un quart de siècle de labeur. Une date charnière dans une vie et dans une carrière. Mireille Goguikian les fête avec sa douzième exposition individuelle à la galerie Matossian* de l’Université Haïgazian.

L’artiste dans son atelier.

Une palette qui, de hameaux perdus en cités émergentes, jette le camaïeu ramagé de ses couleurs. Une longue et solide histoire d’amour la lie aux pinceaux et aux chevalets. De même qu’à l’arôme et les fragrances des villes. En un mélange de profil presque abstrait aux teintes à la fois douces et audacieuses.
Mireille Goguikian a lentement, mais sûrement, frayé son chemin pour retrouver «Ce pays où l’on n’arrive jamais», pour reprendre le titre du célèbre roman d’André Dhotel. Pays des couleurs vives, des tonalités contrastées et des phosphorescences mystérieuses. Pays imaginaire pour une incurable nostalgie où les villages les plus reculés ont non seulement un charme capiteux et discret, mais aussi des présences étonnantes et détonantes.
Pays où les villes, petites mégalopoles lovées nonchalamment sur elles-mêmes, calfeutrées au sein d’une nature rongée par le consumérisme, ont des émergences insoupçonnées et séduisantes. Comme un pimpant lever de rideau. Comme des villages qui auraient grossi de taille et changé d’allure au fil des années. Comme des mères nourricières souriantes dans leur rondeur, leur bienveillance, leurs gestes onctueux, leur chair opulente mais toujours ferme.
Des villes de nulle part et de partout... méditerranéennes, méridionales, rupestres, urbaines, rurales, fines, toscanes, espagnoles, sudistes, nordistes. Des Casablanca, des Fès, des Barcelone, des Tanger, des Tirana, des Florence, des Naples, des Venise, des Mykonos, des Beyrouth, des Erevan. Ou peut-être pas!
Mais ce sont toutes des villes blanches, inondées de lumière, embrumées, portées dans un halo de poussière, éclaboussées de couleurs, pétries de rêve, de sang et de feu. Elles défilent en un cortège obsessionnel ces villes à l’architecture finement dentelée. Dans leur chahut, leur silence et leur désordre organisé, entre monolithes, demeures ancestrales et tours le nez dans les nuages, elles sont les témoins, muets et bavards à la fois, d’une traversée humaine et du passage du temps.
Villes radieuses se prélassant coquettement sous la lumière vive du soleil ou somnolentes sous les rayons argentés d’un croissant de lune aux allures d’un rêve de «Booz endormi»... Avec pour ciment, unité, piquant ou fil conducteur, des toitures en ardoises rouges, ocres, bleues, grises, même jaunes. Ardoises souriantes et hospitalières coiffant des fenêtres cachées derrière la chaleur ou la sinistrose d’un point minuscule ou d’un petit trait, symboles des prisons modernes des ruches en béton.
On chercherait en vain un sentier de traverse, une bretelle d’autoroute ou un ruban de boulevard tant on peine à trouver un quelconque chemin au milieu de ces maisons et immeubles agglutinés les uns aux autres. Comme un jeu de boîtes d’allumettes adroitement superposées et vissées. Et tout le charme, tout le paradoxe, justement, est dans ces façades au front à la fois ouvert et buté.
Pour ce voyage aux confins de l’évasion et du rêve, l’artiste présente quarante huiles, huit collages, 10 pastels et trois mixed medias. Avec des dimensions variables allant de 2 m x 1 m à 16 cm x 22 cm.
Dans le silence de son atelier d’Achrafieh, sous le regard médusé de ses deux enfants, les conseils avisés de son mari architecte et les jappements de son blanc bichon Pucci, Mireille Goguikian, avec une patience d’un peintre pointilliste entre Seurat et Signac (avec un léger cousinage local apparenté à la touche de Ali Chams), revisite ses impressions, sonde ses randonnées entre promenades de ville et de campagne, interroge ses souvenirs et fouille son arménité. Arménité qui surgit dans ces rougeoiements d’un cœur de grenade éclatée ou d’une brosse à la traînée flamboyante et orangée...
Et ce sont des images de paix (parfois de fébrilité) qu’elle retrouve en apposant de grands aplats de couleurs (estompées ou pétaradantes), en frottant le grain de la toile, en laminant et pulvérisant des grumeaux rêches, en insistant, comme pour une écriture appliquée et mécanique, sur la nervosité d’un crayon pris de panique et de vertige pour un espace toujours plus lisse, toujours plus près des songes qui nous gardent éveillés.
Échappés aux ombres incertaines de la mémoire et de l’imaginaire, ainsi naissent ces hameaux, ces villages, ces bourgs, ces bourgades, ces villes d’aujourd’hui et d’hier. Ces villes de toujours. Sans frontière. Avec leur murmure de forêts profondes et leur senteur de thym, de romarin, d’if, de pins. Au gré des paysages, des horizons, des ports.
Cadastre inconnu et polymorphe ramené sur les toiles ou le papier canson au détour des arbres, dont les branches et les troncs se transforment brusquement en cadres et écrins. Pour des images jaillies du creux d’une vallée ou du haut d’un coteau. Vue imprenable et plongeante pour une vision bucolique, à la fois ancrée dans le passé et visant la modernité, tendant vers le confort de la sédentarité, mais n’oubliant jamais la notion d’une épanouissante liberté.
Hymne à la vie et chant de la terre que ces villes exhumées, dépistées, retrouvées, captées dans la beauté fugitive d’un instant de joie, de sérénité, de contentement, d’euphorie, de bonheur.

*Rue du Mexique, Kantari, jusqu’au 20 avril.
Une palette qui, de hameaux perdus en cités émergentes, jette le camaïeu ramagé de ses couleurs. Une longue et solide histoire d’amour la lie aux pinceaux et aux chevalets. De même qu’à l’arôme et les fragrances des villes. En un mélange de profil presque abstrait aux teintes à la fois douces et audacieuses. Mireille Goguikian a lentement, mais sûrement, frayé son chemin pour...

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