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Présidentielle US 2012 - Analyse

Le non-débat des candidats américains

Christopher R. Hill, ancien secrétaire d’État assistant américain pour l’Asie de l’Est, a aussi été ambassadeur des États-Unis en Irak, en Corée du Sud, en Macédoine, et en Pologne, envoyé spécial des États-Unis au Kosovo, négociateur pour les accords de paix de Dayton, et chef négociateur américain avec la Corée du Nord de 2005 à 2009. Il est aujourd’hui doyen de la Kobel School d’études internationales de l’Université de Denver.

Pour les non-initiés, spécialement les observateurs étrangers, l’élection présidentielle peut s’apparenter à une épopée épique dont les protagonistes traversent différentes épreuves pour assurer leur salut, et dans laquelle la couverture médiatique omniprésente résonne comme un chœur grec. Maintenant que se sont déroulées les conventions républicaines et démocrates, organisées spécialement pour la télévision, l’odyssée du président Barack Obama et de son opposant républicain, Mitt Romney, va se poursuivre avec trois débats en face à face programmés en octobre. 


Le premier débat est programmé ici, à l’Université de Denver, le 3 octobre. Les deux candidats ont été critiqués (à raison) lors de leurs conventions respectives pour avoir tenté d’émouvoir leur public plutôt que de se confronter aux faits et aux programmes; ce qui ne devrait pas être le cas au cours des prochains débats puisque les candidats seront face à face et tenteront de convaincre les électeurs. Mais le 3 octobre ne sera que le début. Les candidats à la vice-présidence s’opposeront le 11 octobre, tandis qu’Obama et Romney se retrouveront le 16 octobre, puis une dernière fois le 22 octobre.


La politique étrangère a fait quelques incursions dans la campagne mais le débat final est supposé être consacré à ce sujet, ce qui permettra aux électeurs d’avoir une idée précise de la vision du monde de chacun des candidats. Obama s’est exprimé à plusieurs reprises durant sa présidence sur des sujets de politique étrangère (précédemment toutefois à la campagne actuelle), contrairement à Romney qui est resté assez discret dans ce domaine. Soucieux de se démarquer de l’héritage de la précédente administration républicaine, il ne cite jamais l’ancien président George W. Bush et évite de mentionner les deux guerres de la précédente décennie. En effet, lorsque Romney a officiellement accepté sa nomination à l’occasion de la convention du parti, il n’a même pas fait mention de la présence de troupes américaines sur le terrain, une omission que les démocrates n’ont pas manqué de critiquer lors leur convention qui s’est tenue une semaine plus tard. Ironiquement, ce sont bien les républicains qui ces dernières années se vantaient d’être le parti à avoir repris à son compte l’appel du président John F. Kennedy à « payer n’importe quel prix » et à « assumer le fardeau » pour la défense de la liberté. Mais ni Romney ni son colistier, Paul Ryan, n’ont véritablement fait preuve d’intérêt pour les affaires internationales, en dehors d’avoir assuré leurs électeurs que les intérêts d’Israël seraient préservés, ceux de l’Iran, non, et que la position des États-Unis, quoi qu’ils envisagent, doit être ferme et éclatante.


Si le troisième débat est réservé aux questions de politique étrangère, les téléspectateurs resteront sur leur faim en ce qui concerne ce qui pourrait subvenir en matière de conduite des affaires de l’État. La politique étrangère dans la politique américaine est souvent une démonstration de force plutôt que de sagesse. En ce qui concerne l’Iran, le débat envisagera, au mieux, les moyens de « résoudre » (personne n’osera utiliser le terme gérer) la menace nucléaire par des sanctions et une intervention militaire. Il est peu probable que soit sérieusement abordée la question des moyens envisagés pour maintenir les négociations multinationales naissantes entre l’Iran et les six plus grandes puissances mondiales (autrement dit, le P5 + 1) – un processus dénoncé par de nombreux spécialistes américains comme une perte de temps. Car les aspirations nucléaires de l’Iran, l’une des questions les plus pressantes de notre époque, pourraient bien se résumer à savoir si les États-Unis soutiendront Israël en cas d’une intervention militaire. Il est très rare de trouver un analyste estimant que des attaques aériennes israéliennes pourraient faire mieux que retarder le programme iranien de quelques mois tout en cristallisant une opinion iranienne désunie autour d’un soutien des armes nucléaires.


Une autre question fondamentale, la position de la Chine dans l’ordre mondial, ne sera probablement pas discutée de manière significative. On peut en effet s’attendre à ce que le débat se concentre sur la manière de réagir à court terme contre la Chine, plutôt que sur les moyens de développer des liens de coopération à long terme. La plupart des Américains n’ont pas encore intégré l’idée que les relations sino-américaines sont trop importantes pour échouer. La Chine d’aujourd’hui s’apparente à la description que donnait Winston Churchill de la Russie, une « ritournelle enveloppée de mystère à l’intérieur d’une énigme » – une nouvelle grande puissance rivale difficile à comprendre pour les responsables américains. De même, Obama et Romney ont peut-être tacitement choisi de ne pas aborder les choix politiques envisagés dans la tragédie syrienne, parce que ni l’un ni l’autre n’a d’intérêt à discuter de ses complexités internes dont la maîtrise sera essentielle pour galvaniser un soutien international dans l’hypothèse d’une solution politique. Mais pour l’opinion publique américaine, la Syrie et ses carnages quotidiens sont devenus le sujet de politique étrangère le plus morne et le plus anesthésiant, malgré le risque de voir se répandre la violence dans l’ensemble du Moyen-Orient (particulièrement en Iran et au Liban voisins). L’exportation de la guerre civile syrienne exigera vraisemblablement bien plus de temps dans les mois à venir que ne voudraient l’admettre les deux candidats.


D’autres questions de politique étrangère exigent une attention pressante : éradiquer la grande pauvreté et les pandémies dans l’hémisphère Sud ; renforcer la gouvernance internationale, y compris les structures démodées et en sous-effectif des Nations unies; développer la coopération internationale autour du nombre croissant de désastres naturels ; et repenser l’axe Afghanistan-Pakistan, en comprenant bien que le Pakistan est bien plus grand et bien plus en colère, loin d’être un fou nucléaire, et qu’il ne devrait donc pas être relégué à un second rôle dans les difficultés afghanes.


Enfin, les aspirations nucléaires de la Corée du Nord sont un sujet récurrent pour n’importe quel président américain. Les efforts conjoints des États-Unis et de la Chine en la matière pourraient à terme représenter la clé illusoire d’une relation améliorée. Pourtant, cette question pourrait elle aussi ne pas retenir l’attention qu’elle mérite de la part des deux candidats.


Que cela plaise ou non aux Américains, et dans la mesure où l’Europe, la Chine et l’Inde sont polarisées sur leurs affaires intérieures, la gouvernance internationale et l’intendance des problèmes du monde resteront fermement entre les mains américaines. Pourtant, la campagne électorale américaine, même les débats qui se dérouleront au mois d’octobre, ne parviendront pas à soulager les doutes de la plupart des observateurs qui se demandent si un pays est véritablement aux commandes.

Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats.
© Project Syndicate, 2012.

Pour les non-initiés, spécialement les observateurs étrangers, l’élection présidentielle peut s’apparenter à une épopée épique dont les protagonistes traversent différentes épreuves pour assurer leur salut, et dans laquelle la couverture médiatique omniprésente résonne comme un chœur grec. Maintenant que se sont déroulées les conventions républicaines et démocrates,...