Insatiable et passionnée, Vénus Khoury-Ghata est considérée comme l'un des plus célèbres écrivains et poétesses libano-françaises.
Elle a bâti au fil des ans une œuvre riche, alternant poésie et roman, qui a été couronnée de nombreux prix, dont le prix Apollinaire, le prix Mallarmé et le prix de la Société des gens de lettres. Elle est aussi membre de plusieurs jurys dont les prix Mallarmé, France-Québec, Max-Pol Fouchet, et du jury du prix des Cinq Continents.
Lorsqu'on lui a annoncé la nouvelle, cette grande dame de la littérature francophone avoue avoir ressenti une grande joie. Il s'agit là d'une consécration, certes, mais aussi d'un gage d'acceptation. « Cela fait 35 ans que j'écris en français. J'ai publié 40 livres dans cette langue que je défends bec et ongles. Bien que de nombreux francophones soient souvent sélectionnés, ce sont la plupart du temps les auteurs français qui reçoivent les prix. »
Elle précise par ailleurs qu'elle a failli obtenir ce même prix quinze ans plus tôt. « Puis il est parti à quelqu'un d'autre. Je n'ai pas pris ombrage. » Après une petite pause, elle poursuit : « Il faut être patient », dit-elle, amusée.
Vénus Khoury Ghata privilégie-t-elle l'écriture de romans ou la poésie ?
« Quand j'écris de la poésie, dans un langage qui survole le langage, je ressens après le besoin de m'ancrer dans le réel. Le besoin d'écrire une histoire qui s'implante dans les esprits. « C'est devenu pour moi un véritable double langage. Je ne peux pas écrire un recueil de poèmes sans le faire suivre d'un roman. Et je ne peux pas écrire un roman sans écrire de poésie. La poésie est un langage rétréci, une sorte de senteur du langage, d'esprit du langage, de larme du langage. Et il y a un moment où je me sens à l'étroit et j'éprouve le besoin de passer à la prose. »
Souvent c'est le sujet du roman qui vient à elle. « Je ne cherche pas à écrire de la poésie. Mais quand une histoire vient me frapper en plein plexus comme l'histoire du roman Sept pierres pour une femme adultère, je n'arrive plus à m'en défaire. On dirait que les personnages s'emparent de mon écriture. »
Adepte de la prose plate, Vénus Khoury Ghata déclare éviter la rime comme la peste. « C'est très vieux jeu. Il faut se libérer de ces contraintes. Sinon, cela devient une obsession. La vraie poésie n'a pas besoin de rimes. Elle a besoin de rythmes. »
La regardant jardiner, son ami René de Obaldia lui a dit un jour : « Tu creuses la terre pour t'ancrer dans ce pays. » La France, son pays d'adoption, certes. Mais le Liban ne reste jamais absent de son cœur, de ses pensées. « Il a fallu vivre loin de mon Orient pour que je veuille le ressusciter dans mon écriture. Je le raconte mais aussi le réinvente. Je le nourris de mes fantasmes et de mon imaginaire et c'est ma manière à moi d'habiter à nouveau le Liban. La page est le chemin que je prends pour y retourner », dit-elle avant de conclure : « Une justice m'a été faite. Je remercie l'Académie qui m'a donné vraiment l'impression d'être acceptée en France. Aujourd'hui, je me sens pleinement libanaise et française. »
Alexandre Najjar : « Un combat au quotidien »
Pour Alexandre Najjar, la francophonie est un combat au quotidien, « non seulement parce que la langue française est une langue admirable que j'aime profondément et dont je partage les valeurs, dit-il, mais aussi parce qu'elle représente un merveilleux instrument de dialogue interculturel et une ouverture nécessaire dans cet Orient miné par l'obscurantisme et le fanatisme (on l'a vu avec l'épisode Gad Elmaleh) ». L'homme de lettres et de loi ajoute que sans la francophonie, le Liban perdait une partie de son âme, sa spécificité même. Mais il reconnaît cependant que ce combat pour la francophonie est loin d'être gagné. « Il exige ténacité et vigilance, dans un environnement où l'anglais (qui devrait compléter le français et non s'y opposer dans un système éducatif où le trilinguisme devrait être systématique) est omniprésent et où certains milieux qui s'accommodent mal d'un Liban civilisé rejettent l'ouverture du pays sur le monde. » « Cela dit, les dangers qui menacent la francophonie viennent parfois de l'intérieur même de la France et je le regrette profondément : quand la France réduit de 30 % les budgets consacrés à sa présence culturelle dans le monde, sa marge de manœuvre devient forcément bien plus limitée ! Pire : quand on voit des écrivains francophones s'attaquer à la francophonie et réclamer son remplacement par le concept vague de « littérature-monde en français » qui n'en est que la périphrase, on ne peut que ressentir une grande amertume... »
Le combat pour promouvoir la francophonie, il le mène sur différents fronts, en parallèle à son métier d'avocat : en écrivant en français, en publiant en français des œuvres littéraires ou juridiques, en relançant L'Orient Littéraire, en encourageant de nombreux écrivains francophones, adultes et jeunes, à se faire éditer, en multipliant les rencontres dans les écoles et les centres culturels aussi bien au Liban qu'à l'étranger, en récompensant les meilleurs auteurs à travers le prix Phénix de littérature, en étant partenaire du Salon du livre francophone de Beyrouth, en soutenant les Jeux de la francophonie, etc. « Je fais tout cela par conviction profonde, parce que je mesure toute l'importance de la francophonie pour le Liban, et toute l'importance du Liban pour la francophonie », affirme le lauréat.
Alexandre Najjar se réjouit que les prix de l'Académie aient récompensé 4 auteurs libanais, chacun dans un domaine différent - francophonie, essai, poésie, théâtre. « Cela prouve la richesse de notre culture et l'importance accrue de la francophonie libanaise. Cette distinction m'encourage à persévérer dans la défense de la francophonie et dans la sauvegarde d'une certaine idée du Liban... », affirme-t-il en associant à cette récompense tous ceux qui l'ont toujours soutenu (en particulier ses parents, son éditeur et ses enseignants au collège Notre-Dame de Jamhour : le père Dalmais, Maroun Checrallah, André Abouchacra, Naïm Saadé et le responsable de la revue du collège, Nagi Khoury, qui a publié mes premiers articles) ainsi que toute l'équipe de L'Orient Littéraire.
Hyam Mallat : « Un motif de fierté »
Le prix Pierre Benoît couronne son travail pour un ouvrage aussi précieux qu'érudit. La rencontre de Pierre Benoît et Georges Lecomte, de l'Académie française avec le Liban se rapporte au séjour au Liban de deux membres éminents de l'Académie française au XXe siècle, le premier Pierre Benoît auteur de La Châtelaine du Liban et le second Georges Lecomte qui a été le secrétaire perpétuel de l'Académie française de 1946 à 1958.
« Depuis longtemps je me proposai de publier une monographie à leurs sujets quand le hasard des choses m'a permis d'accéder au collège des pères lazaristes de Antoura à un stock important de correspondances non publiées de ces deux écrivains ainsi que de Maurice Barrès avec le père Sarloutte, supérieur du collège de Antoura, qui m'ont permis de constituer la trame profonde de ce nouvel ouvrage que les éditions Geuthner ont bien voulu publier. C'est donc à travers ces correspondances une rétrospective de la vie culturelle et politique du Liban de la première moitié du XXe siècle. »
Ce livre est-il porteur d'un message ? À cette question, Mallat indique qu'il a « toujours pensé qu'un devoir de mémoire s'imposait vis-à-vis de ces écrivains qui, à un moment ou à un autre, ont témoigné de leur engagement envers le Liban ».
Cet ouvrage vise ainsi « à faire sortir de l'oubli et de l'ingratitude des écrivains dont les préoccupations et les intérêts ont croisé ceux du Liban et que nous devons restaurer dans la mémoire de notre pays ».
Pour l'avocat, l'acte d'écrire représente un choix, un engagement et un défi. « Tout le monde n'est pas porté vers l'écriture et c'est pourquoi le fait d'écrire et de publier vise incontestablement à faire parvenir un message de nature à inscrire l'expérience humaine dans la durée. » « C'est donc une mission de témoignage et d'engagement envers la sauvegarde des valeurs et des idéaux auxquels nous tenons que sont conviés ceux qui sont dotés de la tentation de lire. »
« La francophonie, poursuit-il, constitue à mes yeux une grande réalisation reflétant des valeurs de civilisation, de démocratie et de liberté. Elle est porteuse d'un patrimoine éminent tout en constituant un moyen véhiculaire privilégié de rencontre et de dialogue entre des sociétés ayant conscience d'appartenir à cet ordre des choses. Et c'est dans ce cadre que les nombreux ouvrages que j'ai déjà eu l'occasion de publier dont Renan au Liban, puis L'Académie française et le Liban qui avait déjà été honoré de la médaille vermeille de l'Académie française en 2002 pour le rayonnement de la langue et de la littérature française puis ce nouvel ouvrage La rencontre de Pierre Benoît et de George Lecomte de l'Académie Française avec le Liban qui vient d'être doté également du prix Pierre Benoît de l'Académie française constituent, à mes yeux, un juste hommage envers l'apport significatif de la France au Liban depuis de nombreux siècles et qui s'inscrivent dans la promotion de la francophonie dans le monde, précise-t-il.
Sa réaction à cette récompense ?
Le propre des États et de ses grandes institutions est de savoir reconnaître les hommes à leur seul mérite. Et l'Académie française en m'honorant à deux reprises l'a incontestablement fait sur la base de ce mérite. Et c'est donc un motif de fierté pour moi, mon épouse, mes enfants et ma famille. Reste que cela doit aider à faire réfléchir les institutions politiques et culturelles de notre cher Liban.
Wajdi Mouawad, la consécration avant Avignon
À quelques jours de l'ouverture du Festival d'Avignon dont il est cette année l'artiste associé, l'auteur, acteur, metteur en scène Wajdi Mouawad vient de voir son œuvre saluée par l'Académie française. Les membres de la Coupole du quai Conti lui ont décerné leur grand prix du Théâtre pour l'ensemble de son œuvre dramatique dans le cadre d'un palmarès qui comprend quelque 70 prix (de littérature, de la nouvelle, de l'essai, de la biographie). Mouawad, qui succède à Jean Anouilh, Marguerite Duras, Roland Dubillard et Valère Novarina, recevra sa récompense en décembre prochain.