Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Résistance sans conscience Mahmoud HARB

Lorsque la victime s’amuse à jouer aux petits bourreaux, le conte de fées d’une lutte pour l’émancipation nationale se rancit et dégage un relent nauséeux de mascarade et de sang. Aux dernières nouvelles de la bande de Gaza, les apprentis sorciers du Hamas semblent se plaire à parodier les grands généraux. Le « coup d’État » qui a accordé au mouvement islamiste le contrôle d’un des territoires les plus pauvres du monde a fait l’objet de nombreuses discussions véhémentes qui n’ont abouti qu’à faire bénéficier le Hamas de la présomption d’innocence, eu égard à l’éventuelle responsabilité du Fateh post-Abou Ammar dans le conflit fratricide. Mais la répression dans le sang de la manifestation anti-Hamas par la milice du mouvement islamiste vendredi dernier révèle indubitablement la quintessence d’un projet qui est tombé dans la souricière de ses propres antagonismes. Au-delà de la bastonnade et des salves grâce auxquelles la « force exécutive » n’a exécuté rien d’autre que la dernière liberté d’un peuple prisonnier de son occupant et de ses dirigeants, ce sont les propos de l’ancien Premier ministre et actuel homme fort de Gaza, Ismaïl Haniyé, qui frappent de plein fouet. Vêtu de sa toge des vendredis, Haniyé a en effet estimé que « la prière en plein air a ses fondements théologiques, mais nous refusons que cette prière sorte de sa trajectoire réelle et véritable ». C’est dire combien le concept de citoyenneté est étranger à la pensée et au lexique d’un mouvement qui ne voit autour de lui que des fidèles et des mécréants, bien qu’il soit arrivé au pouvoir par les urnes. Et la crise du projet hamsaoui aujourd’hui est avant tout une crise de concepts, de valeurs, d’objectifs et de conscience. Une résistance sans conscience – il va sans dire que la paraphrase de Rabelais est flagrante – n’est que ruine de l’âme intrinsèque de l’acte même de la résistance, en tant que projet œuvrant pour le bien-être de la population qui passe certes par la bataille contre l’occupation, mais également par le labourage permanent d’un terrain fertile pour la floraison de la liberté. Et le terme « conscience » n’a rien de moralisateur ni de moral. Il s’agit, au contraire, pour ceux qui cherchent à affranchir la terre et ses habitants de prendre conscience de tout ce qui permet de « créer le sens de la terre », comme dirait le grand Nietzsche. Il s’agit pour le Hamas de réaliser que seules des sociétés libres peuvent refuser l’occupation en tant que réalité antinomique de leur État et de leurs droits culturels, sexuels, religieux et politiques. Le Hamas doit également comprendre que ses militants qui subissent le joug de l’occupation sont mille fois plus libres que leurs confrères, hôtes du maître de céans damascène. Tel est le sens profond de la lutte d’un Yasser Arafat grâce auquel le Hamas peut se targuer aujourd’hui d’avoir remporté des élections et que ses ténors n’hésitent pas à accuser de félonie. Abou Ammar a passé sa vie à combattre à la fois Israël et les régimes autocratiques frères qui n’ont voulu de la Palestine qu’un slogan creux justifiant l’avènement des tribunaux d ’exception et une arène pour laisser libre cours à leurs innombrables dissensions. Et c’est cette lutte qui a accordé à la Palestine une place sur la carte mondiale ainsi que des frontières, certes rétrécies et poreuses, mais avant tout tangibles. Mais « la volonté de puissance » du Hamas – les guillemets renvoient encore à Nietszche – n’a fait que reproduire à Gaza un autre modèle de la crise de l’arabité et de la stérilité criminelle des régimes arabes. Ce sont soixante ans de martyre que le Hamas a ponté dans « son jeu de dés avec la mort ». Et lorsque le maléfice se retournera contre les apprentis sorciers, l’échec du Hamas mettra en péril non seulement la mouvance islamiste, mais également l’existence même de la Palestine. C’est avec les péripéties à Gaza que l’on se rend compte de l’effroyable véracité de la sentence de Truman Capote qui affirmait que « c’est sur les prières exaucées que l’on pleure le plus ». Étrange est cette capacité de la Palestine à concentrer les dix plaies d’Égypte et du monde arabe. Lorsque les militants du Fateh insultent les janissaires hamsaouis en criant « chiites, chiites ! » pour dénoncer leurs liens avec Téhéran, l’on réalise à quel point l’embrigadement dans les conflits des axes régionaux et mondiaux a détruit les dernières digues d’unité de nos sociétés et menace de les noyer dans le déluge des conflits confessionnels. Et l’on peut se permettre de transformer la souffrance d’un peuple en parabole et d’en tirer une morale en incitant les chantres libanais du patriotisme et de l’arabité à jeter un coup d’œil du côté du Sud, pour découvrir que Gaza n’est au final pas si loin de Beyrouth.
Lorsque la victime s’amuse à jouer aux petits bourreaux, le conte de fées d’une lutte pour l’émancipation nationale se rancit et dégage un relent nauséeux de mascarade et de sang. Aux dernières nouvelles de la bande de Gaza, les apprentis sorciers du Hamas semblent se plaire à parodier les grands généraux. Le « coup d’État » qui a accordé au mouvement islamiste le contrôle...