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Actualités - REPORTAGES

"The Horseshoe" : la nostalgie n'est plus ce qu'elle était ...

«The Horseshoe» a longtemps été l’endroit à la mode, où il faisait bon être, à toutes les heures de la journée. Un autre «chez soi» qui a réuni des gens, des histoires et, plus tard, beaucoup de nostalgie. Et c’est parce qu’il manque à ses – encore – habitués que l’envie de le retrouver pour un moment se fait insistante; et que pour l’assouvir, il faudrait se perdre, avec bonheur, dans les dédales de la mémoire. La rue Hamra, tendrement appelée «Hamra» – plus tout à fait la même, pas tout à fait une autre. Désertée par les visages du passé qui ont fait sa gloire, habitée par de nouveaux locataires et par les rides du temps, elle garde pourtant le parfum d’un passé heureux. Un parfum qui s’échappe lorsque les souvenirs viennent rejoindre le présent. Alors, se balader dans cette rue qui a fait battre la capitale au rythme de son cœur passionné et s’arrêter – surtout – devant l’enseigne – presque intacte, presque ironique – de ce qui fut The Horseshoe, fer à cheval qui a longtemps porté à tous ses habitués des bonheurs particuliers. S’arrêter et se souvenir, un 22 novembre de l’an 1959, jour d’ouverture d’un «café-trottoir» nouvelle formule, inspiré du charme des cafés parisiens, et qui fut – bien justement – accompagné d’une campagne publicitaire avec pour slogan très français «À la manière des Champs-Élysées»! Maître Sleiman avait 12 ans, les Dabaghi «osaient» le cinéma al-Hamra – avec Solid Gold Cadillac en ouverture – la boutique L’Aiglon et enfin The Horseshoe. Le tiercé gagnant esquissait déjà les premiers traits d’une rue qui aurait l’âme d’un artiste. Le journal an-Nahar, l’Université américaine, les écoles allemande, italienne, française et les firmes étrangères apportèrent à la rue des couleurs internationales et l’envie d’exister. Les artistes, peintres, acteurs de théâtre, sculpteurs, écrivains et journalistes «de tous bords» trouvèrent leur havre, leur page blanche; ils s’y retrouveront pour s’exprimer et partager des idées, des colères ou simplement des fous rires. Les années de bonheurs The Horseshoe est donc né un jour d’indépendance, pas étonnant pour un lieu si libéré de toutes contraintes, de toute idée préconçue ou imposée. Les premiers invités découvriront, ravis, la charmante décoration de Roger Cachard, une trentaine de tables et une ambiance très colorée, «à la française», bien sûr ! Au menu, ce jour-là, des rafraîchissements ! La spécialité du café – restaurant, le «chicken à la broche» suivra très vite, pour le plaisir des gourmands. Mais plus qu’un simple restaurant, The Horseshoe était un lieu, un «café culturel» diront certains, qui a vu défiler les plus grands noms du monde intellectuel libanais. Le premier, Jean Khalifé, puis Rafic Charaf, Nazih Khater, Onsi el-Hajj, Paul Guiragossian, Hrair, les frères Basbous, Roger Assaf, Antoine Kerbage, Raymond Gebara et tant d’autres auront leur table, leur coin préféré. Ils viendront chercher et trouver l’inspiration, créer, se révolter et même y donner une représentation improvisée . Nidal Achkar, en 1973, fut contrainte par les forces de l’ordre à déserter le Théâtre de Beyrouth . Elle le fit et emporta avec elle sa pièce interdite –Majdaloun – pour un soir, au... Horseshoe ! Le lendemain, l’événement sera rapporté par la BBC, dans les News of The World. Plus qu’un simple lieu de rencontres, The Horseshoe possédait surtout une personnalité à part entière, qui manquait à ses «amis» s’il n’était pas visité tous les jours. Ouvert sans interruption sept jours sur sept jusqu’à une heure du matin, sauf les jours d’élections, il recevait, les bras ouverts, toute personne qui s’y sentait à l’aise. On y récupérait son courrier, recevait ses coups de téléphone et ses amis, «comme chez soi»! Monah Dabaghi veillera, durant toutes ces années, à innover, semer la différence, précisant ainsi et en toute modestie, «on ne fait pas une rue, on y crée une ambiance particulière», allant même, pour la première fois au Liban, jusqu’à décorer l’avenue à l’occasion des fêtes de Noël. «Il y avait un arbre gigantesque près de l’église des Capucins. Nous avons eu recours aux pompiers pour accrocher les décorations, venues spécialement de Londres». Les fêtes et la fête y seront célébrées durant seize belles années. En 1975, les décorations tombent comme des feuilles mortes. The Horseshoe change de vocation, ses habitués viendront y consommer leur révolte. La continuation Cette «récréation» particulière qui animait la rue Hamra s’achèvera avec la vente de cet endroit mythique en 1982. «La guerre l’a bouffé», dira un inconditionnel. La page d’«avant» se tourne; la grande famille de fidèles se sent brusquement amère et orpheline. Silencieuse. «La vie change, rien ne demeure intact, la continuation est essentielle». M. Dabaghi, apparemment, mais seulement apparemment peu nostalgique, a tenté de consoler ses amis en créant en 1995 un autre lieu, le City Café, «on ne peut jamais refaire la même chose, ce sont les gens qui font l’endroit, nous offrons une qualité identique». Dans ce café qui a également trouvé sa – juste – place dans la capitale, le propriétaire a installé sa propre nostalgie, un immense panneau créé par Rafic Charaf avec des images des «visiteurs» d’antan, et des tableaux de chevaux, sa passion affichée depuis The Horseshoe. Avec tout de même une nouvelle approche, nouvelle couleur, la touche de son fils Omar, plus concerné par l’avenir que par le passé. Sur «son» mur défilent toutes les coupures de presse nationale et internationale, témoignages d’un succès mérité, et dans ses paroles de professionnel apparaît son envie – légitime – d’encore plus. Celle-là même que ressentent les «rescapés» d’avant 75, en regardant l’enseigne encore éclairée de The Horseshoe; comme une présence. Une émotion intacte.
«The Horseshoe» a longtemps été l’endroit à la mode, où il faisait bon être, à toutes les heures de la journée. Un autre «chez soi» qui a réuni des gens, des histoires et, plus tard, beaucoup de nostalgie. Et c’est parce qu’il manque à ses – encore – habitués que l’envie de le retrouver pour un moment se fait insistante; et que pour l’assouvir, il faudrait se perdre,...