Actualités - OPINIONS
L’émergence d’une conscience nationale
Par FRANGIE Samir, le 05 janvier 2001 à 00h00
L’année qui vient de s’écouler marque un tournant dans la vie du pays. Pour la première fois depuis l’indépendance, une véritable conscience nationale, dépassant les clivages traditionnels, commence à émerger. Elle s’exprime dans un discours de type nouveau qui se construit de jour en jour autour de plusieurs idées maîtresses. Au point de départ de ce changement, la prise de conscience par les Libanais que leur pays n’a pas d’avenir s’il ne parvient pas à recouvrer son indépendance et sa souveraineté nationale. La première expression de cette prise de conscience avait été le consensus de fait qui s’était réalisé contre l’occupation israélienne. La résistance n’aurait pas porté ses fruits si un tel consensus n’avait été établi depuis longtemps déjà. La solidarité qui s’était exprimée à l’égard des réfugiés du Sud au moment des deux flambées de violence de 1993 et 1996 avait montré que les Libanais avaient enfin compris la nécessité de faire front contre un adversaire qui a constamment tenté de les dresser les uns contre les autres et de saper les fondements mêmes de leur nation. Mais ce n’est qu’après la libération du Sud que les Libanais ont commencé à développer un nouveau discours unitaire portant sur les questions essentielles qui les avaient jusque-là divisés. Parmi ces questions : La souveraineté nationale : avec la libération du Sud, la question de la souveraineté nationale s’est trouvée posée et un nouveau consensus portant, cette fois, sur le refus de la tutelle syrienne commence à voir le jour. Il est à noter que ce consensus, qui s’opère en marge du pouvoir, est le résultat d’une double évolution : celle des «opposants» à la Syrie qui reconnaissent aujourd’hui la nécessité d’établir des relations d’étroite coopération entre les deux pays, et celle de la majorité des dirigeants musulmans qui estiment que, sans souveraineté nationale, le Liban ne peut plus assumer ses responsabilités à l’égard de ses citoyens. Le respect de la loi et des institutions : pour la première fois de leur histoire, les Libanais commencent à prendre conscience du fait que le respect de la loi est au fondement de leur vie collective et que toute violation, quels qu’en soient les motifs, ne peut que remettre en cause les bases mêmes sur lesquelles repose leur société. Dans le débat en cours sur la présence syrienne, les Libanais font preuve de légalisme. Ils ne réclament que la stricte application de l’accord de Taëf. C’est le pouvoir qui, dans ce cas, ne respecte pas la loi et tente de contourner l’accord sur lequel se fonde sa légitimité. Le dialogue : dans une société pluraliste et fortement différenciée, seul le recours au dialogue permet de résoudre les problèmes et les conflits qui peuvent surgir à tout moment. Les Libanais l’ont compris et veulent engager le dialogue avec leurs dirigeants. Mais le pouvoir n’est malheureusement pas de cet avis et tente d’imposer son autorité par la force en décrétant que la question des relations libano-syriennes ne peut faire l’objet d’aucun dialogue. Il lui faudrait, pour être crédible, commencer par convaincre le pouvoir syrien qui a, depuis deux mois déjà, entrepris des contacts avec des personnalités de tous bords pour discuter de l’avenir des relations entre les deux pays. La convivialité intercommunautaire : celle-ci est une nécessité absolue pour l’avenir du pays. Elle ne peut se fonder que sur l’égalité entre tous les citoyens. L’ère des «privilèges» communautaires est définitivement révolue. Le départ des Syriens ne signifie pas le retour à la situation qui prévalait avant l’accord de Taëf. Là encore, le pouvoir se démarque de sa société en brandissant à tout moment le spectre de la guerre civile et en menaçant les Libanais des pires représailles s’ils persistaient dans leur volonté de rétablir la convivialité entre eux. Ce discours unitaire qui commence à voir le jour est le résultat d’une profonde évolution des mentalités basée sur le sentiment partagé d’une déchéance commune. Il exprime également la conscience aiguë qu’ont les Libanais de la contradiction qui existe entre leur société que la souffrance, les déceptions et les privations ont mûrie et la classe politique pour qui la guerre a été une source d’enrichissement et de promotion sociale. Deux sociétés coexistent au sein d’une même nation. L’une, fermée sur elle-même, s’acharne à empêcher tout changement utilisant pour cela tous les moyens qui sont à sa disposition, et l’autre, qui commence à retrouver son dynamisme et sa vitalité, cherche par tous les moyens à lutter pour sa survie. Le fait nouveau qui a marqué l’année 2000 a été justement l’émergence de cette autre société, de cette contre-société. Celle-ci s’est constituée à partir d’initiatives et de contributions venues de toutes parts – du clergé, des universités, de la Chambre des députés, de la presse, des milieux intellectuels – qui se sont exprimées de manières diverses, par des communiqués, des interventions parlementaires, des manifestations, des sit-in, des pétitions, des articles de presse, des débats télévisés... La coexistence entre ces deux sociétés – l’une qui appartient au passé et l’autre ouverte sur l’avenir – est, par définition, instable. La transition s’annonce difficile, car l’ancienne société tente d’identifier ses intérêts propres à ceux de la Syrie et de compenser sa faiblesse par le recours à la force syrienne. La société qui émerge n’a d’autre choix que d’opposer le droit à la force en faisant du respect de la Constitution et de la défense des libertés et des droits de l’homme son cheval de bataille.
L’année qui vient de s’écouler marque un tournant dans la vie du pays. Pour la première fois depuis l’indépendance, une véritable conscience nationale, dépassant les clivages traditionnels, commence à émerger. Elle s’exprime dans un discours de type nouveau qui se construit de jour en jour autour de plusieurs idées maîtresses. Au point de départ de ce changement, la prise de...
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