Actualités - OPINION
Tribune Juges en Europe et bourreaux du tiers-monde
Par MALLAT Chibli, le 25 octobre 1999 à 00h00
C’est une valse judiciaire internationale qui secoue le monde depuis l’arrestation d’Augusto Pinochet en octobre 1998, et la confirmation de la procédure d’extradition par le juge anglais unique Bartle la semaine passée. Une récente déclaration de M. Védrine au Monde ne reflète pas assez l’embarras d’une diplomatie habituée principalement à la Realpolitik, qui se voit confrontée de plus en plus souvent à des actions en justice engagées devant ses tribunaux par les proches de victimes de meurtre ou de torture dans des pays lointains. Compétence universelle et diplomatie classique se conjuguent mal. On ne peut que se réjouir de la poursuite de ceux qui n’hésitent pas, dans leur pratique du pouvoir, à enfreindre les droits les plus élémentaires de la personne humaine. Avec le procès anglo-espagnol de Pinochet, l’inculpation de Slobodan Milosevic, le développement d’une argumentation similaire contre les dirigeants irakiens avec la visite à Paris en juin dernier d’une délégation d’INDICT – la campagne internationale pour traduire en justice ceux parmi les dirigeants irakiens qui sont coupables de crimes contre l’humanité – et le départ précipité du vice-président irakien de Vienne en août, la diplomatie européenne se voit taxée par des formes imprévisibles de débordement par le judiciaire. En France, une action de la FIDH a entraîné l’arrestation au printemps du capitaine Ely Ould Dah, accusé de torture et incarcéré pendant plusieurs semaines. Si la Chambre d’accusation de Montpellier a décidé le 28 septembre de le remettre en liberté sous contrôle judiciaire, il ne peut quitter le territoire français et doit «pointer» une fois par semaine au commissariat de Montpellier. Dans le même esprit, le mandat d’arrêt prononcé par le juge d’instruction français Bruguières empêchera le dirigeant libyen Kadhafi de se rendre tranquillement à Paris, ou même en Europe, malgré le dénouement provisoire de l’affaire Lockerbie. L’embarras des diplomaties européennes, dont la Realpolitik ne peut quêtre affectée par la condamnation judiciaire des instruments essentiels du pouvoir dans les pays autoritaires, est compréhensible dans cette perspective. Il y aura nul doute des excès, et il faut craindre l’emballement de ce qu’un collègue de la Cour de cassation française avait décrit comme “le terrorisme judiciaire”. Lord Goff, l’un des juges britanniques les plus remarquables, avait refusé de suivre la majorité dans la décision Pinochet II, en insistant dans un avis éloquent sur les entraves qui risquent d’affecter la politique de Londres en Irlande. Mais que de joie aujourd’hui chez les torturés de Mauritanie et leurs familles, comme hier chez les Serbes et les Albanais, victimes des bourreaux de Milosevic, et les disparus du Chili. Justice est faite, nul ne pourra le nier. Mais comment concilier diplomatie et justice internationale ? En premier lieu, la netteté du dossier d’inculpation et son professionnalisme sont essentiels. Plus il y aura d’actions motivées, plus les chefs d’accusation seront précis, mieux ils seront documentés et plus le respect de la sanction pénale des abus contre les droits élémentaires de la personne s’imposera internationalement. Par ailleurs, l’uniformité de la règle de droit, c’est-à-dire son application impartiale dans plusieurs pays, doit se renforcer. La ratification de la Convention de Rome établissant le tribunal pénal international s’impose donc, mais il faut noter que les décisions de Montpellier et de Londres sont en avance sur ce droit-là, plus lent et plus lourd. Il faudra donc que les pays occidentaux où la règle de droit prime, notamment dans l’Europe communautaire, conjuguent leurs efforts pour tenter une uniformité procédurale. Mais c’est surtout à la diplomatie de réviser son fonctionnement à la lumière de ces nouvelles réalités. Aux États-Unis, une section autonome a été établie par le département d’État, spécialise dans cette nouvelle branche du droit : à sa tête, deux juristes éminents, l’ambassadeur David Scheffer et l’avocat Thomas Warrick. Mais les chancelleries européennes ne manquent pas de talents juridiques de premier plan. Il faudra bien que la diplomatie leur donne les moyens de s’adapter à cette nouvelle réalité mondiale, qui donnera son titre de gloire à une humanité en mal de justice universelle.
C’est une valse judiciaire internationale qui secoue le monde depuis l’arrestation d’Augusto Pinochet en octobre 1998, et la confirmation de la procédure d’extradition par le juge anglais unique Bartle la semaine passée. Une récente déclaration de M. Védrine au Monde ne reflète pas assez l’embarras d’une diplomatie habituée principalement à la Realpolitik, qui se voit confrontée de plus en plus souvent à des actions en justice engagées devant ses tribunaux par les proches de victimes de meurtre ou de torture dans des pays lointains. Compétence universelle et diplomatie classique se conjuguent mal. On ne peut que se réjouir de la poursuite de ceux qui n’hésitent pas, dans leur pratique du pouvoir, à enfreindre les droits les plus élémentaires de la personne humaine. Avec le procès anglo-espagnol de...
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